Ça 2


On a de quoi se réjouir depuis quelques jours de voir le cinéma de genre revenir tutoyer les sommets du box-office avec le triomphe de Ça, nouvelle adaptation du chef d’œuvre de Stephen King signée Andy Muschietti, réalisateur de Mama (2013). Peut-on toujours autant s’en réjouir après avoir vu le film ? On vous dit si le phénomène de la rentrée fait vraiment pas genre en omettant pas de faire quelques spoilers au passage.

Get it Together

Pour tous ceux qui ont lu ma petite bio sur ce site, il n’est pas très difficile d’imaginer que j’attendais d’un œil plus que sceptique cette nouvelle adaptation de Ça, et ce essentiellement depuis la publication d’un tweet de mon ennemi juré du bon goût : Xavier Dolan. En effet celui-ci a déclaré sur twitter ceci : « Allez voir Ça – pour l’amour de votre enfance, pour les craintes que vous avez cachées et que vous n’osiez pas exprimer. Pour la beauté extrême, modeste et magistrale de la photographie et des décors, pour l’amusement, pour le plaisir sans gêne et sans culpabilité, pour l’esprit, pour Finn Wolfhard, Jaeden Lieberheet et tous les autres, allez le voir … pour TOUT. Ça est ce que le divertissement devrait toujours être, et aussi ce qu’il atteint si rarement. Tous les films devraient avoir des normes afin de vous traiter avec respect pour votre goût et votre intelligence. » Il ajoutait également que c’était son film préféré du siècle. Il faut dire que quand mon esprit mesquin a lu ceci, il fût pris d’une irrépressible envie de haïr le long-métrage dont il est question ici. A ce scepticisme et cette crainte se sont ajoutés les premiers retours mitigés, voire parfois franchement haineux. Qu’en est-il donc ? Ça est-il le meilleur film du siècle, ou bien la bouse intergalactique décrite par certains ? Evidemment, ni l’un ni l’autre.

Ça est l’adaptation d’un roman de Stephen King, qui connût déjà une adaptation restée culte, signée Tommy Lee Wallace. Seulement, contrairement à cette précédente adaptation, prévue pour la télévision, Muschietti et ses auteurs ont décidé de couper largement dans l’intrigue et de se concentrer sur celle qui concerne le groupe d’enfant, et donc la première partie de l’ouvrage de King. Cette idée est sans aucun doute ce qui fait le prix du film. Ce « club des losers » est terriblement attachant, grâce à ses formidables interprètes et surtout une véritable intelligence d’écriture pour éviter les traumas trop insistants ou le passé trop détaillé de chacun des personnages. Ces enfants existent tant qu’ils en deviennent très vite attachants parce qu’ils nous sont donnés d’abord et essentiellement en action. Alors bien sûr, le charme qui opère ici autour d’eux est tout à fait suranné et on peut regretter cette omniprésence aujourd’hui d’une certaine nostalgie dans les fictions contemporaines (Stranger Things, Super 8, etc.). Mais il est difficile malgré tout de ne pas sentir qu’une nouvelle fois, le charme opère bel et bien.

Malheureusement, peut-être que ce charme désuet de teen-movie façon Les Goonies (Richard Donner, 1985)ce côté très chaleureux et confortable, dénote sur l’autre ambition, certainement moins bien relevée : celle du film d’épouvante pur. En effet, l’un des problèmes non négligeables de Ça c’est qu’il fait très peu peur, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, en termes de mise en scène de l’horreur, il est un peu léger. Les effets éculés s’enchaînent et se répètent beaucoup (des jump-scare en veux-tu en voilà) et quand le film est dans le registre de l’épouvante, il ennuie même souvent. L’autre problème est celui de ce fameux clown, Pennywise, incarné par Bill Skarsgard. Quand le metteur en scène essaye d’en faire un facteur de peur, malheureusement, cela ne fonctionne pas. Sa grosse voix et ses regards outranciers le rendent souvent ridicule, ce qui n’est pas dénué d’intérêt par ailleurs. Cela fonctionne dans un autre registre, celui du grotesque, faisant penser par exemple au monstre de Massacres dans le train fantôme de Tobe Hooper. Mais ce monstre-là avait besoin de beaucoup moins d’esbroufe et de moyens pour générer une émotion, et contenir en lui toutes nos peurs. Il n’avait pas besoin de changement de formes et de visages. En fait, au-delà des enfants, ce qui rend Ça finalement attachant et entêtant, c’est certains recoins secrets de son récit, et la violence qui en émane. Une des sous-intrigues qui fonctionne le mieux est celle qui concerne les parents. Ces parents, véritables seconds rôles à chaque fois, sont peut-être les seules vraies sources d’horreur du film. Tout ce qui les concerne est parfaitement maîtrisé en termes de durée, et on retrouve là une véritable qualité de Stephen King, trop souvent oubliée, qu’est celle de dépeindre des univers très riches, pleins de sous-textes, aux caractères plus ubuesques les uns que les autres, avant de faire véritablement peur. Une autre intrigue concernant un groupe d’enfants persécuteurs est menée par un jeune blondinet à la coupe mulet. Celui-ci sombre progressivement vers le côté obscur et son parcours psychologique intéresse beaucoup pour sa dimension incroyablement cruelle, même si on peut regretter que scénaristiquement le dernier mouvement qui concerne cette part du récit est un peu bâclée. C’est cependant la cruauté qui plane sur tout le long-métrage qui empêche de le juger trop rapidement comme un produit mainstream un peu bateau. Il y a dans Ça finalement quelque chose qui vibre, un souffle d’enfance comme on en sent plus tant que ça, quelques beaux élans spielbergiens (comme dans ce beau plan qui voit planer en l’air des enfants morts les bras ballants dans l’antre de Pennywise), et une force indéniable qui est celle du groupe.

Simplement, “sagement” dirons les mauvaises langues, Ça vient joliment magnifier les puissances et les joies du groupe face à l’adversité et la peur. Dans une belle scène proche de la fin du film, les enfants massacrent ensemble leurs peurs incarnées dans ce Clown et autres figures. Cette scène concentre les contradictions de l’œuvre : il y a à la fois la puissance du collectif qui est en jeu évidemment, et en même temps, chaque enfant essaye de vaincre sa propre peur, sa propre angoisse, quelque chose qui lui est propre. Voir ces enfants massacrer ce clown grotesque qui contient en lui une sorte de mash-up de visages terrifiants d’un autre temps donne à réfléchir. On a le sentiment que le cinéaste nous dit qu’il veut massacrer ses propres monstres d’enfants, ces mêmes peurs qui nous obsèdent nous, depuis que nous avons vus les mêmes films de genre des années 80, et un peu plus tard. Pourtant, ce sont ces monstres que Muschietti magnifie une nouvelle fois dans un geste qui semble purement nostalgique. Serait-il temps de massacrer définitivement ces monstres, et avec eux, ces enfants qui appartiennent à un autre temps ? La question reste ouverte à la fin de cet objet, certes un peu vain mais dont on sort finalement assez heureux. Heureux d’avoir pu partager un petit moment d’émotion avec un large public, et de se dire que même sous un filtre charmeur suranné, il reste toujours sous la patine, un peu de magie au cinéma.

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*le titre fait sens avec l’article, mais c’est surtout un titre du dernier album de Drake (qui est chouette et qui pareil fait pas peur du tout)

A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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