Les Bonnes Manières 1


Après avoir remporté le Prix spécial du jury à Locarno, Les bonnes manières s’invite dans la compétition officielle de l’Étrange Festival pour une première française. Coproduction franco-brésilienne, cette fable fantastique portée par Juliana Rojas et Marco Dutra surprend, émeut, horrifie, mais surtout éblouit.

Loup y es-tu ?

Le cinéma de Juliana Rojas et Marco Dutra n’a de cesse de faire parler de lui depuis leur grande victoire à Locarno. Et pour cause les deux réalisateurs, ayant d’abord débuté en carrière solo, offrent une véritable leçon de genre avec Les Bonnes Manières, à la croisée de l’horreur moderne et de la fable fantastique. Dans la ville de Sao Paulo, Clara, une jeune infirmière, est embauchée auprès d’une femme enceinte à la recherche d’une nounou, Ana. Cette dernière adopte un comportement des plus étranges les nuits de pleine lune, et souffre de crises de somnambulisme qui lui causent des fringales nocturnes carnivores. Alors que les deux femmes développent une relation amoureuse, Clara comprend que le bébé d’Ana n’est pas ordinaire, car le fruit d’une liaison avec un loup-garou.

Un film de loup-garou brésilien. Le pari est des plus originaux pour un résultat frôlant la perfection visuelle et narrative grâce au parti pris de Rojas et Dutra qui font du fantastique moderne leur marque de fabrique. Tous deux présentaient en 2011 leur première collaboration, Travailler fatigue, bien moins virtuose dans sa mise en scène que son successeur mais débordant d’un imaginaire ô combien fourmillant. Les Bonnes Manières nous plonge au cœur d’une véritable fable urbaine mettant à l’honneur le loup-garou comme on ne l’avait jamais découvert auparavant. L’atmosphère du long-métrage jongle entre drame et véritable féerie où se mêlent musique envoûtante et décors colorés, embellis par la caméra de Rojas et Dutras. Grâce à un habile trucage mêlant images de synthèses et décors réels, les réalisateurs recréent la ville de Sao Paulo et ses buildings qui en deviennent presque futuristes, sublimés lors de panoramiques merveilleux au clair de lune. Les scènes d’intérieurs sont magnifiquement mises en scène, baignées d’une lumière colorée douce et fantastique, à la limite de ce qui pourrait être un rêve éveillé. Tout est mis en scène pour créer une ambiance purement fantastique, sans pour le moins voir ne serait-ce que la patte d’un loup-garou pendant la première partie du film qui se concentre sur la gestation et la mise au monde de l’enfant. La rupture est nette avec une deuxième partie à la mise en scène bien moins accentuée mais toujours aussi travaillée, qui s’engage davantage sur le terrain de l’horreur en tant qu’élément du quotidien.

Si Les Bonnes Manières brille dans sa réinterprétation du mythe lycanthrope c’est avant tout grâce au choix de faire un véritable conte horrifique à la fois moderne et merveilleux. Chaque élément est imprégné des codes du conte, que ce soit à travers la figure de Clara en marraine bienveillante ou des scènes chantées, enchaînant comptines et narration musicale. Chaque lieu fait écho aux contes de fées, que ce soit par sa représentation (Ana enfermée en haut d’un building, abandonnée de tous) ou tout simplement par son nom (le centre commercial Bois de cristal, la pharmacie Aurora, etc.). La figure du loup-garou vient logiquement s’imbriquer dans cet univers déjà magique et intrigant, où il n’est pas surprenant d’entendre un médecin déclarer que l’enfant a « de grands yeux, une grande bouche, de grandes mains ». Le film se veut la rencontre entre deux mondes dont le mariage est des plus réussis, à savoir la ville moderne et le conte tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Ajoutez un loup-garou par-ci par-là et vous obtiendrez une fable extraordinaire nous berçant doucement à la lumière de la pleine lune.

L’œuvre n’en oublie pas pour autant d’être émouvante, terrifiante ou tout simplement drôle grâce à une narration fluide et très épurée. Divisé en deux parties pour une durée de plus de deux heures, Les Bonnes Manières traîne quelques longueurs, en particulier dans son deuxième acte. Ces petits moments de creux sont compensés par le jeu touchant et en tout point impeccable des actrices et de l’enfant-loup. On ne peut que se laisser emporter par la malédiction de ce bébé maudit que l’on voit grandir, subissant de longues nuits de transformation à rester enfermé, enchaîné. La figure du loup-garou rencontre celle de l’innocence, de l’envie de découvertes et d’expériences. Il est difficile de voir en l’enfant le monstre qu’il est, le film se concentrant davantage sur son mode de vie pour le moins particulier, sans tomber dans l’excès horrifique. Les relations intimistes sont au cœur de la narration, où l’amour entre deux êtres est mis en avant, que ce soit la passion amoureuse avec Clara et Ana, ou les relations mère-fils entre Clara et l’enfant-loup. En ressort une histoire davantage humaine que monstrueuse où chacun se fait rattraper inévitablement par l’horreur de cette naissance maudite.

Les Bonnes Manières reste avant tout un film de loup-garou, créature mythique de l’horreur cinématographique, rendue plus ou moins populaire par la Hammer avec La Nuit du Loup-garou de Terence Fisher (1941). Le style de Rojas et Dutra remet au goût du jour le monstre, mais y tire également son plus grand défaut : les effets spéciaux du lycanthrope. Si le bébé loup-garou reste dans le domaine de l’agréable à regarder et bien bricolé, son pendant enfant est une créature entièrement conçue en synthèse pour un résultat un peu malaisant, faisant (très) tâche avec la beauté visuelle du film. Si la créature ne se dévoile finalement pas tant que ça, on regrettera que le manque de moyens ait apporté un tel raté à un long-métrage aussi virtuose, la créature étant pourtant au centre de l’histoire. Les réalisateurs avaient de plus réussi à pallier à ce problème visuel en narrant la scène de rencontre d’Ana avec son amant loup-garou par l’intermédiaire de dessins. Une petite déception est donc au rendez-vous pour les amoureux du monstre, qui sera cependant balayée par les nombreux atouts des Bonnes manières. On notera pour l’anecdote de petits hommages aux pellicules cultes de loup-garou, en particulier une scène de poursuite dans un centre commercial en caméra subjective qui n’est pas sans rappeler l’excellente séquence du métro du Loup-garou de Londres (John Landis, 1981).

Les Bonnes Manières intrigue, surprend, et pose les bases d’un nouvel univers engendré par Rojas et Dutra, dont on ne peut qu’attendre la prochaine réalisation. Il est d’autant plus insolite qu’un tel film ait été récompensé lors d’un festival de cinéma d’auteur comme celui de Locarno, où le Léopard d’Or avait été attribué au très sordide Mrs. Fang de Wang Bing. S’en est suivi le fameux Lion d’Or remporté par Guillermo Del Toro pour son très attendu The Shape of Water. Sommes-nous arrivés à une époque où le genre est enfin reconnu comme un cinéma de qualité par les grands festivals ? N’en reste pas moins que Les bonnes manières ouvre les portes d’un cinéma fantastique qui a beaucoup à apporter au septième art.


A propos de Jade Vincent

Jeune sorcière attendant toujours sa lettre de Poudlard, Jade se contente pour le moment de la magie du cinéma. Fan absolue de Jurassic Park, Robin Williams et Sono Sion, elle espère pouvoir un jour apporter sa pierre à l'édifice du septième art en tant que scénariste. Les rumeurs prétendent qu'elle voue un culte non assumé aux found-footages, mais chut... Ses spécialités sont le cinéma japonais et asiatique en général.


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