Génération Propaganda (Livre) 1


Fais pas Genre vous parle très en retard du nouvel ouvrage publié chez les Playlist Society, Génération Propaganda de Benoît Marchisio. Récit passionnant d’une boîte de production disparue dans l’indifférence presque généralisée il y a 20 ans, en même temps qu’évocation passionnée d’une effusion créative incroyablement vive.

Si tu t’en souviens c’est que tu n’étais pas là

Avant d’ouvrir le livre, j’étais pris d’une légère appréhension. Qu’est-ce qui va bien pouvoir me passionner dans l’histoire de cette boîte de production de clips, de groupes et de chanteurs que pour la plupart je n’aime pas beaucoup, et surtout dont je n’ai jamais vraiment entendu parler ? Je commençais l’ouvrage, il faut néanmoins bien le dire, par sympathie pour son éditeur à qui je serai éternellement redevable d’avoir publié l’essai référence qui manquait tant sur Tobe Hooper (Les territoires interdits de Tobe Hooper, Dominique Legrand). Ce qu’il faut souligner pour commencer cet article, c’est la belle constance de Playlist Society dont les ouvrages se suivent et se ressemblent dans le bon sens du terme. Comme les précédents, celui-ci est court, vif, passionné et passionnant. Si vous ne savez rien sur le sujet et qu’il ne vous inspire rien, c’est presque tant mieux. Il y a quelque chose de profondément stimulant à s’immerger dans la passion très communicative de son auteur : Benoît Marchisio se plonge totalement dans une époque dont on se demande ce qu’il fantasme et ce qu’il retranscrit historiquement… Qu’importe, ce qui compte c’est son récit et la joie qu’on a à le lire. Génération Propaganda n’est pas un essai, c’est un récit, une évocation, et il se dévore.

La société Propaganda est donc une société de production qui a joué un grand rôle dans la culture populaire américaine des années 80 et 90. A la fois par des clips (des Guns N’ Roses, Madonna, Janet Jackson, U2, etc.), des séries (ils ont participé à la production de Twin Peaks) et aussi des films et cinéastes (sont passés par là David Fincher, Michael Bay, Spike Jones). Le livre retrace les 15 ans d’existence de la société comme une sorte de pastille rêvée. 15 ans d’explosion créative, de centaines de clips, dont on retient moins les difficultés que l’ascension fulgurante de leurs participants et de leurs six fondateurs, quatre réalisateurs – Nigel Dick, David Fincher, Greg Gold et Dominic Sena – et deux producteurs, Sigurjon « Joni » Sighvatsson et Steve Golin. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le prologue du livre raconte une gigantesque fête ayant eu lieu au Los Angeles Theater, bâtiment mythique de la Cité des anges, en décembre 1989, qui vient en quelque sorte officialiser sa place au sein du jeu hollywoodien. Greg Gold résume ainsi cette fête qui dura plusieurs jours : « Si tu t’en souviens, c’est que tu n’étais pas là. » C’est sans doute parce que Benoît Marchisio n’y était pas qu’il peut s’en souvenir, et raconter à sa manière cette époque folle, son esthétique over the top, ses pitchs de plus en plus improbables, sa démesure visuelle et progressivement économique. Ces quinze années apparaissent comme une cure de jouvence sauce MTV en Amérique. Marchisio a le mérite de souligner que l’apport de la société et du mouvement qu’elle a engendré n’est pas seulement économique ou symbolique, il est essentiellement esthétique. Derrière ces clips qu’on peut regarder amusé aujourd’hui, il y a non seulement un travail gigantesque mais aussi le regard de cinéastes, dont on peut mesurer toute l’influence aujourd’hui dans le cinéma contemporain. « Par exemple, sur le clip de Roll with it de Steve Winwood, sorti en 1988, David Fincher met une snorkel lens sur une grue Louma. La snorkel lens, littéralement la « lentille tuba », est un objectif, parfois coudé, qui permet de faire des prises de vues sur des objets minuscules en facilitant la mise au point. Elle est souvent utilisée pour les packs shots en publicité, lorsqu’il s’agit de filmer le produit promu. Le système Louma, quant à lui, permet de téléguider un mouvement de grue. Ici, l’effet, est inouïe ; la caméra passe dans des recoins inaccessibles, glisse sans effort sur le sol et s’approche au plus près des instruments de musique. Une maestria qui annonce le braquage de Panic Room, où la caméra parcourt l’intégralité de l’appartement, passant d’une fenêtre à l’autre tandis que Jared Leto, Dwight Yoakam et Forest Withaker tentent de pénétrer à l’intérieur. Et lorsque Fincher souligne les capacités de cette lentille avec un effet de ralenti, cela donne un bouton qui saute d’une chemise sous l’effet des mouvements du porteur. L’objet tourne devant l’objectif, filmé en plan extrêmement serré, « comme un insecte dans un film documentaire » observe Benoît Marchisio, exemple parmi tant d’autres de la grande ambition artistique de la société et de son importance.

Ce qui est à la fois tristement beau et émouvant, c’est de voir à quel point ces images hantent aujourd’hui notre imaginaire et le 7ème art et qu’en même temps Propaganda n’a jamais vraiment réussi la greffe avec le cinéma « de son vivant ». Marchisio écrit : « En bref, ils sont les faiseurs d’images cultes, les artisans d’une sidération esthétique qui captive non seulement la jeunesse collée devant son écran, mais aussi les cadres qui distribuent les bons points. Mais ça ne les pousse pas pour autant à renier leur ambition finale : faire des films ». Pourtant, s’ils ont réussi pour beaucoup d’entre eux à faire des films, la société n’a jamais vraiment réussi à toucher le 7ème Art. L’un des grands symboles de cet échec c’est le Alien 3 de Fincher, puis The Game. L’ironie du sort, c’est que le succès entre temps de Se7en intervient alors que Fincher s’est éloigné de Propaganda pour la production de ce film. Le succès viendra avec des œuvres moins ambitieuses peut-être mais plus en phase avec l’imaginaire qui colle à la société, telles que Bad Boys de Michael Bay par exemple. Ce rêve déçu de cinéma est résumé par une phrase citée dans le livre et signée Stephen Dickstein : « C’est un rendez-vous manqué, pour dire les choses de manière extrêmement diplomatique ». Il semble avoir pourtant renforcé toujours plus l’ambition et la beauté de leur clips.

Marchisio rapporte par exemple ces mots de Doug Biro, directeur créatif pour Coca-Cola et Levi’s : « Ils ont changé le look des spots. Vraiment. D’un coup, la lumière devenait importante, les angles également, la dramaturgie s’est imposée, c’était sexy, osé, très stylisé, très appuyé… Personne n’allait faire des pubs classiques là-bas. Et eux travaillaient pour Nike, Pepsi, Coca, les marques pour les jeunes, une population qu’ils comprenaient. » On voit bien que plus encore que leur ambition artistique, c’est le fait que ces cinéastes soient toujours en phase avec un sentiment générationnel qui a permis leur succès. Ce qui est dit de Michael Bay ne révèle sûrement pas un artiste raffiné, mais cependant une vraie capacité à flairer les désirs de la jeunesse de son temps, et une capacité à produire des images en masse absolument incroyables. Les pages sur Bay sont les plus amusantes tant on se rend compte que tout est déjà là. Marchisio raconte : « L’un des premiers jobs de Michael Bay au sein de la société est dans la lignée de cette tendance. C’est une vidéo soft-porn avec Kerri Kandall, sobrement intitulée Playboy : Kerri Kendall – September 1990 Video Centerfold. Howard Woffinden accompagne le réalisateur sur ce tournage. « Un tournage très rapide, que Bay a plié en un peu plus d’une journée. C’est sorti en VHS, et ça a plutôt bien marché. C’était l’époque où Michael pouvait pondre de l’image 24 heures sur 24. C’était une véritable force de la nature. Il a voulu faire une vidéo comme il faisait ses clips : une quantité astronomique d’images tournées sans lien apparent les unes avec les autres, mais dont le thème principal tournait sûrement autour de « être mouillée ». Michael, c’est un peu cela, en fait : mouiller des t-shirts et explorer la sexualité qui en découle » s’esclaffe-t-il. Le résultat final, érotique, et osé sans être véritablement pornographique, est efficace, mais manque d’une épine dorsale susceptible de provoquer autre chose qu’une pulsion masturbatoire. Ce qu’il manque, c’est une histoire. » Quel meilleur symbole de la folle réussite de la société que la beauferie assumée et clairement démesurée du futur papa des abominaffreux Transformers.

Il y a bien des choses à dire encore sur cet essai et sur la société, mais on en restera là pour ne pas vous gâcher la lecture de ce stimulant récit qui peut se dévorer absolument partout pendant votre été. Encore une fois, même si vous n’y connaissez rien, l’ascension de Propaganda Films aura de quoi vous passionner, et sa chute aura de quoi vous attrister. Cette chute s’achevant sur cette belle et parfaite conclusion de Dominic Sena : « C’est con. C’est con, parce que c’était bien. »


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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