Le Dernier Maître de l’Air 1


A l’occasion de sa diffusion sur France 4 en ce dimanche 20 août, on vous parle du film le plus mal-aimé de M. Night Shyamalan. Blockbuster accueilli avec une froideur voire une haine d’une virulence rare, Le Dernier Maître de l’Air faillit bien enterrer une bonne fois pour toute la carrière de Shyamalan, avant sa récente renaissance avec The Visit (2015) et Split (2017). On vous dit pourtant pourquoi il faut le revoir ce soir et le réévaluer.

L’enfant et la Nature

J’éprouve une certaine joie à écrire sur Le Dernier Maître de l’Air parce que comme presque tout le monde à l’époque de sa sortie en 2010, je me suis planté dans les grandes largeurs. Considérant dès ma première vision La jeune fille de l’eau (2006) comme son plus grand film, je n’étais pourtant pas tout à fait dans la ligne convenue des avis sur le petit prodige des années 2000, mais je n’avais pas aimé Phénomènes (2008) (que je considère aussi aujourd’hui comme l’un de ses plus beaux films), et à la vision de celui-ci donc, j’avais été littéralement horrifié. J’ai le souvenir d’un abominable mal de tête à la sortie et d’une envie de meurtre pour l’intégralité des personnages de cette fiction que je trouvais laide, niaise, inconsistante. Il faut dire que le film avait eu la mauvaise idée de sortir à l’été 2010, soit six mois après la déflagration Avatar (James Cameron, 2009) au moment où tous les blockbusters étaient gonflés à la dernière minute dans d’abominables 3D, et c’est ainsi que je l’ai vu… Point d’excuse pourtant, je faisais partie du concert de haine autour de ce nouveau long-métrage quasiment unanimement conspué, à l’exception d’un bel article de Jean-Sébastien Chauvin dans Chronicart et quelques voix légèrement discordantes dans d’autres lignes. Il a fallu attendre qu’un ami me convainque de retenter l’aventure : il m’expliquait que les trois films mal-aimés du cinéaste, Phénomènes, Le Dernier Maître de l’Air et After Earth formaient une trilogie thématique…Je les détestais tous les trois, j’ai revu d’abord le premier : surprise, je le trouvais sublime une bonne partie du temps (des scènes de suicides provoqués par la nature renversantes, des moments de mise en scène hallucinants, une candeur toute spielbergienne, etc.) malgré ses quelques défauts (un final un peu expéditif). C’était donc au tour  du Dernier Maître de l’Air.

Soyons clair. Tout n’est pas à sauver. Le scénario est bancal et ses enjeux peu passionnants, le casting est quasiment intégralement catastrophique et les moments de ridicule ne manquent pas. Pourquoi est-il malgré tout défendable, et même une bonne partie aimable ? Le Dernier Maître de l’Air raconte l’histoire de la lutte entre plusieurs Nations : la nation du Feu, celle de la Mer, celle de la Terre, et celle de l’Air. Le film débute alors que la nation du Feu a pris le pouvoir. Au milieu du chaos, le jeune Aang découvre qu’il est le nouveau et dernier Avatar, celui capable de maîtriser tous les éléments et de pacifier de nouveau le monde. Il s’allie à un Maître de l’Eau, Katara, et à son frère Sokka afin de mettre fin au règne de la Nation du Feu. Adapté d’une série animée pour enfants de Nickelodeon, le film souffre souvent de son passage à la prise de vue réelle. Des moments de naïveté enfantine devaient sans doute mieux passer que dans cette version, où parfois le ridicule peut prendre le pas sur l’émotion. Il est clair qu’on frôle parfois le Z, mais ce défaut peut finalement ne pas en être un. En effet, cette naïveté qui est celle de Shyamalan de retranscrire des moments de dessin-animé nunuches directement sur des vrais acteurs, qui paraissent du coup tous un peu perdus, donne quelque chose de finalement assez touchant. Ridicule parfois peut-être, mais complètement vidé de tout cynisme et de tout calcul manipulateur. Le Dernier Maître de l’Air est un film étrange, aussi étrange que la carrière de son auteur et ses détours. Shyamalan ne s’en excuse pas, et la supposée niaiserie n’est que la manifestation d’une croyance réelle et sincère dans les beautés de l’enfance.

D’autant plus que résumer le film à une vision naïve et paradisiaque de l’enfance serait une erreur, que cela soit pour le défendre ou le descendre. A plusieurs niveaux, le film se révèle beaucoup plus dur sur la fin de l’enfance, l’un des grands sujets de son auteur. Combien de fois a-t-il filmé ces enfants dont l’innocence est brisée depuis Sixième sens ? On pourrait citer bien des exemples, mais pour rester sur la fameuse « trilogie », l’image matrice de cette thématique dans les trois films serait le meurtre des enfants, inouï de brutalité, dans Phénomènes. Ici bien sûr, blockbuster à destination des enfants oblige, Shyamalan n’atteint pas ces degrés de violence. Mais secrètement, le film recèle de moments tragiques pour Aang et son enfance. Contrairement à beaucoup d’œuvres de ce genre, le fait qu’Aang soit élu n’est jamais pour lui un véritable objet de satisfaction. Au contraire, plus d’une fois, cet état est ressenti comme une malédiction. L’une des plus belles idées du film est celle de ce refus de la destinée qui a été décidée pour lui : en effet, au milieu du récit, Aang se souvient, au coeur des tombes des anciens de son peuple, du jour où il fuit, refusant le lourd destin qui est le sien, celui de maîtriser la nature, apporter la paix à un monde où les éléments qui la constituent luttent perpétuellement entre eux. Le contre-point parfait de cette attitude de Aang, c’est le beau personnage de Zuko, prince déchu de la Nation du Feu (mal servi par l’interprétation catastrophique de la courge Dev Patel). Celui-ci, à l’inverse de Aang, lutte perpétuellement pour retrouver la place qu’on lui a retiré, et laver son honneur. En quelque sorte, quand le sage Aang voudrait éviter son rôle préétabli, l’inconscient Zuko lutte pour retrouver le sien. Rien que ce rapport à l’ordre paraît beaucoup plus complexe que la plupart des productions grossières des blockbusters actuelles. On note en tous les cas que dans les deux cas, l’enfance est impossible à conserver. Elle est continuellement attaquée et frustrée, ce que manifestent bien les beaux yeux inquiets du convaincant et naïf Noah Ringer.

L’intrigue principale du film est assez simple à ce niveau d’ailleurs, c’est essentiellement le récit d’initiation de Aang à son art, celui de maîtriser tous les éléments, et d’ailleurs avant tout l’eau. Cet enjeu un peu maigre pose un peu problème parce qu’il peine à tenir la route tout le long de l’œuvre, comme si celui-ci avait été écrit avant tout dans l’optique de multiples suites. Mais c’est aussi par cette intrigue qu’on retrouve la véritable patte de son auteur (par exemple, c’est ce que racontait déjà Incassable (2002), l’apprentissage par un super-héros de ses pouvoirs) et que cette dimension plus dure et violente par rapport à l’enfance se révèle pleinement. Jusqu’à la fin du film, on attend donc que Aang soit en mesure de contrôler l’eau, la nature, et on voit toutes les difficultés que cela implique face à une Nature aussi immense, puissante. Là où l’idée d’une trilogie entre Phénomènes, Le dernier maître de l’air et After Earth fait sens, c’est que dans les trois films la Nature y est continuellement déifiée, en même temps qu’elle devient une véritable menace. Contrairement aux autres fables écologistes qui s’accumulent depuis des années à Hollywood, cette vision de la Nature se révèle beaucoup plus inquiète et violente. A travers des effets numériques d’une beauté exceptionnelle (révélant entre autres choses que bien qu’il s’agisse d’une production hollywoodienne aussi importante, Shyamalan ne perd rien de sa virtuosité de metteur en scène), les éléments de la Nature viennent constamment générer un sentiment double dans le regard du spectateur, entre sidération et effroi. Si bien que quand Aang parvient, dans la plus belle scène du film, à maîtriser l’eau et à créer une gigantesque et sublime vague, cela ne se fait pas dans une sorte d’apothéose qu’on pourrait être en droit d’attendre. C’est un accomplissement, mais un accomplissement douloureux. Celui d’un enfant qui pour comprendre et affronter la nature a dû y laisser sa joie et son innocence. Cet enfant sera un chef, mais l’ultime regard, hagard et terrifié, qu’il lance à sa foule d’adorateur donne plus de sens que tous les mots. Ce sera pour lui chaque jour la même lutte. Elle sera douloureuse et immense.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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