Tuez Charley Varrick 2


Wild Silde nous gratifie cet été de la ressortie d’un des plus beaux polars des années 70 dans un coffret soigné fait d’un livre du journaliste et documentariste Doug Headline, d’un DVD et d’un Blu-Ray d’une belle copie. L’occasion de revenir sur un film finalement peu connu, Tuez Charley Varrick et pourtant à la belle postérité d’un des grands cinéastes de son temps.

A l’ancienne

C’est sur un braquage que s’ouvre Tuez Charley Varrick ! . La scène est codifiée, les déguisements des assaillants les trahissent immédiatement. Tout est cousu de fil blanc et on sait déjà bien où tout cela va finir, pourtant, la scène est captivante, saisissante. On pourrait mettre cela sur notre capacité à toujours être pris par les mêmes histoires de truands braquant des banques, et à retrouver avec toujours autant de plaisirs les codes d’un genre bien connu. Mais il est évident qu’ici, ce qui nous captive avant tout, c’est un soin et une virtuosité de mise en scène qui donnent les frissons. Cette ouverture est un modèle de rythme, de découpage ciselé, de capacité à surprendre dans cet univers si connu et reconnu…Rien de bien étonnant finalement, puisqu’au moment d’entamer la réalisation de ce film, Don Siegel sort de la réalisation de ses deux plus beaux films peut-être, en tous cas parmi les plus reconnus, L’inspecteur Harry (1971) et Les proies (1971). Voir les années de sortie de ces deux films, et celle de Tuez Charley Varrick (à savoir 1973), donne le vertige sur la productivité de ce genre de cinéastes hollywoodiens de l’époque et leur virtuosité à chaque fois renouvelée. Il y a évidemment un parallèle à faire, et qu’on fait automatiquement d’ailleurs, entre la figure de l’inspecteur Harry, symbole de brutalité réactionnaire, et ce Charley Varrick qui par son côté plus doux, ou en tous cas moins brutal et donc moins efficace, vient complexifier la vision idéologique qu’on peut avoir du maître de la Série B, dont on vous a parlé plusieurs fois et notamment lors de la sortie en DVD d’un de ses films noirs La Ronde du Crime.

Certes, il ne faut pas s’attendre face à Tuez Charley Varrick ! à des successions de bons sentiments habilement agencés. On y retrouve tout ce qu’il faut de misogynie, de bonnes vieilles saillies réacs, et autres plaisirs du genre. Mais ce Charley Varrick paraît presque idiot, pétri des certitudes de ses méthodes old school, sans grandes ambitions avec ses cibles de petites envergures. Il apparaît presque comme un « fin de race », ce que viendrait finalement confirmer son slogan un peu pathétique : « le dernier des indépendants ». Tuez Charley Varrick ! ne raconte rien d’autre que la brutale confrontation de vieux monde-là, devenu petit et un peu ridicule, à un autre, plus ample et bien plus violent. La petite délinquance à l’ancienne un peu miteuse face à celle de la plus haute corruption. L’intrigue démarre après un premier braquage donc, celui qui ouvre le film. Ce braquage tourne mal pour Varrick, parce que la petite banque en question contenait une somme considérable de la pègre. Varrick et son complice se retrouveront donc avec non seulement la police, dont ils ont l’habitude, mais aussi et surtout la pègre, déterminée à retrouver son argent par tous les moyens. Face à la violence qui s’approche, Varrick réalise qu’il ne peut compter que sur lui-même, son complice Harman (incarné par Andy Robinson qui était le tueur de l’inspecteur Harry) se révélant progressivement beaucoup trop impulsif et violent. Là, on pourrait croire qu’on va assister à un spectacle convenu de l’homme seul du vieux Monde face à la corruption du nouveau monde, pourtant, le jeu mutique et presque un peu idiot de Walter Matthau (qui selon son auteur ne comprenait rien à ce que le film racontait) et l’agencement du long-métrage allant progressivement vers la folie et la dévastation dans son dernier mouvement semble raconter qu’on s’approche avec ce film des thriller paranoïaques qui fleurissent au moment du Nouvel Hollywood. Alors bien sûr, comme toujours chez Siegel, le personnage principal est un anti-social, particulièrement à la fin du film qui le sauve sans grande pompe et de façon beaucoup plus triste et amère qu’on pourrait le croire… Mais c’est un anti-social plus paradoxal qu’on pourrait le croire, animé d’une douce mélancolie très émouvante, et même parfois de sentimentalisme. Lors du premier braquage, seule sa femme est tuée, il l’abandonne dans une voiture qu’ils font exploser. Mais deux belles idées dévoilent de beaux sentiments : d’abord, la scène de l’explosion de la voiture, au loin, alors que les deux braqueurs subissent contrôle de police, Varrick regarde les flemmes au loin dans un beau moment suspendu ; l’autre idée, plus évidente et peut-être teintée de plus d’ironie, c’est que pendant tout le film Varrick conserve son alliance.

La question de la dure indépendance de ce héros, jamais ressentie comme une joie (comme le prouve une nouvelle fois le final) est particulièrement intéressante à étudier dans le cas de Don Siegel, rare cinéaste pouvant faire ses films de manière indépendante justement au sein des grands studios. Comme si lui-même ressentait cette indépendance comme une douleur, alors que les jeunes loups du Nouvel Hollywood l’accueillent à ce moment-là avec enthousiasme. Mais bon, chers lecteurs, rassurez-vous. Tuez Charley Varrick ! n’est pas un ennuyeux pensum sur l’indépendance et l’Amérique. Il est avant tout un formidable film d’action extraordinairement mise en scène, que cette édition de Wild Side permet de regarder dans son plus bel écrin, et avec un formidable livre écrit par le documentariste Doug Headline empli d’anecdotes passionnantes. Un film dont les scènes d’action (la fameuse et folle course-poursuite finale avant toute, qui vous en rappellera sans doute une autre…) vous feront prendre un pied terrible, une pure jouissance de spectateur. A l’ancienne.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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2 commentaires sur “Tuez Charley Varrick