Polanski, 3 œuvres de jeunesse 1


Carlotta ressort en salles les trois premiers films d’un cinéaste controversé mais qui aura marqué durablement les cinémas de genre. Retour sur Le couteau dans l’eau (1962), Répulsion (1965), et Cul-de-Sac (1966) réalisés par Roman Polanski.

© Carlotta Films / Compton Films / Tekli British Productions

Trio-phrénie

A l’instar d’un Clint Eastwood, Quentin Tarantino, Stanley Kubrick ou encore Dominique Chapatte, Roman Polanski peut se targuer d’être un des artistes les plus appréciés et reconnus du septième art. Réalisateur à la patte atypique, aux multiples œuvres marquantes en parallèle d’une vie, aussi tragiquement personnelle que médiatiquement sulfureuse, Polanski a construit une filmographie au mieux extraordinaire, au moins incontournable, d’autant plus dans les genres qui nous intéressent. Carlotta Films propose de se frotter aux trois premiers films du cinéaste polonais, en salles à l’occasion d’une ressortie en version restaurée  : Le couteau dans l’eau (1962), long-métrage tourné à la maison en Pologne, puis Répulsion (1965) et Cul-de-Sac (1966) premiers films tournés à l’étranger pour le petit Roman. Si visionner les premiers travaux de cinéastes importants est un impondérable de la culture cinéphile, il faut toutefois envisager le truc avec un recul que moult personnages ne sont pas forcément les premiers à faire : ce n’est pas parce que ces films de débuts sont des “films de” qu’il faut y voir des chef-d’œuvres automatiques, selon l’éternelle modification de perception une fois que l’on sait ce que le cinéaste en question est devenu, ou ce qu’il a pu faire par la suite. A l’école, on vous donnait pas de 18 en prévision des 18 que vous aurez après. Même Citizen Kane (Orson Welles, 1941) a des défauts.

C’est pourquoi de manière tout à fait subjective (mea culpa) je vais non pas diviser ces trois œuvres de jeunesse en trois parties rédactionnelles (puisqu’il y a trois films…Pas con le type) mais en deux : d’un premier côté, Le couteau dans l’eau et Cul-de-Sac. Tous deux obéissent à un dispositif cher à Roman – le couple (ou le trio) en huis-clos – et placent deux couples fragiles face à un élément extérieur (un jeune homme pour Le couteau dans l’eau, un gangster dans Cul-de-sac) qui va catalyser à plus ou moins grande échelle (la conclusion du Couteau…est moins définitive que celle de Cul-de-sac) leurs problématiques. Tous deux sondent avec l’humour noir, l’ironie et le ton insidieusement absurde du cinéaste, le rapport amoureux, la frustration, la jalousie névrotique, les rapports de force psychanalytiques, avec la même virulence que les œuvres ultérieures, entre le mari jaloux mais aveugle du Couteau prêt à aller jusqu’à une tentative de meurtre, et le faible Donald Pleasance de Cul-de-sac dont l’absence de virilité est une raillerie constante de la part de son épouse (qui va jusqu’à le maquiller en femme). Cependant malgré cette richesse de fond, il faut bien avouer que contrairement aux longs-métrages qui suivront, exploitant les mêmes thématiques mais de manière souvent plus didactique et populaire dans le bon sens du terme (le passage aux Etats-Unis lui a artistiquement fait du bien) ces deux œuvres de jeunesse de Roman Polanski souffrent d’un rythme auteurisant, via lequel la tension ne paraît que difficilement, autorisant (désolé hein) l’ennui quand même un peu.

A contrario, Répulsion frappe encore réellement près de 52 ans après sa sortie. Déjà, par un motif particulièrement moderne : celui de la frustration sexuelle féminine qui n’est en général exploité que sous un jour victimaire (en couple avec un homme qui n’est pas satisfaisant par exemple) et que Polanski aborde dès 1965 par le prisme de la pathologie en une peur panique du sexe et de l’homme, une maladie meurtrière de surcroît puisque la Deneuve en vient jusqu’à commettre des choses plutôt irréparables. Ensuite, le film se voit comme brillant par la précision et la richesse, toute paranoïaque et machiavélique de son dispositif, nous faisant entrer dans la psyché dérangée d’une jeune femme dont la beauté contraste grandement avec son état mental : au fil des minutes, c’est une véritable plongée formelle (le travail de lumière et de cadrage, de plus en plus dérangeants, sont toujours impressionnants) et intime dans la folie de ce qui a pourtant tout l’air d’être un ange. Propos aussi effrayant que profondément humain hérité de Psychose (Alfred Hitchcock, 1960) et qui fera évidemment le sel de plusieurs œuvres marquantes du cinéaste, comme Le locataire (1976), ou d’autres réalisateurs comme Kim Jee-woon sur Deux sœurs...Quoi qu’il en soit, si à titre personnel, je ne saurais que vous conseiller avant-tout de profiter de l’occasion de la ressortie pour voir ou revoir Répulsion les trois œuvres qui composent ces travaux de jeunesse sont à visionner, avec leurs qualités et leurs défauts, en ce qu’elles sont les premières lueurs d’une filmographie parmi les plus importantes de la seconde moitié du XXème siècle.

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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