Les Démons 1


On vous parle d’un film québécois inédit en salles chez nous et qui sort directement en vidéo, ayant trouvé les bonnes grâces de Blaq Out qui l’édite ce mois-ci. Si son titre – Les Démons – son affiche, son pitch, sa bande-annonce et une partie de son casting nous avaient fait pressentir un film qui fait pas genre, la déception est grande. Néanmoins, il convient peut-être tout de même de mettre en lumière ce film, non dénué de qualité, et ce malgré ses accointances assez minimes finalement avec notre ligne éditoriale.

Le Petit Poucet

Lorsque l’on s’autorise à voyager vers d’autres francophonies que le petit microcosme hexagonal, on se surprend souvent à trouver une cinématographie bien plus riche que la nôtre, moins balisée, développant des imaginaires hybrides, transgressant les genres et les codes. A ce titre, les cinémas belges mais aussi québecois parviennent à largement se démarquer du cinéma d’auteur français. Si un certain David Cronenberg a dit que « le Canada c’est les Etats-Unis en plus bizarre » un certain Joris Laquittant (moi) pourrait dire que la contrée de Québec c’est un peu « la France en plus bizarre ». Cette contrée lointaine mais toutefois assez proche de nous culturellement, étonne et amuse souvent le public français, par son accent d’abord et les expressions, ajoutant pour tout regard et oreille française un filtre immédiat de bizarrerie. Mais plus encore, le cinéma québécois s’est souvent illustré dans une audace à manier l’étrangeté, le malaise et même parfois l’angoisse. Nous vous avions déjà parlé par exemple du cinéma de Denis Côté, dont un film comme Curling (2011) est un bon exemple. Même s’il ne fait pas tout à fait genre, Les Démons (Philippe Lesage, 2015) s’inscrit largement dans cette tradition bien qu’on ne cachera pas s’être fait largement duper par son plan promo, puisqu’à peu près tout ce qui tourne autour du film laisse présager un film de genre(s) un vrai : photos officielles, affiche façon giallo, bande-annonce anxiogène, titre qui vend du rêve. Si le film conserve cette étrangeté québécoise, bien aidé par une mise en scène au cordeau et des interprètes parfaits, il n’a pas tout à fait l’identité qu’il prétend.

L’histoire est celle de Félix, un jeune garçon de dix ans qui habite dans une banlieue de Montréal. S’il est très proche de sa mère et de ses deux frères et sœurs, son père – interprété par Laurent Lucas, un autre indice qui nous a fait longtemps croire que ce film ferait pas genre – lui, est de plus en plus absent si bien que l’enfant le soupçonne d’adultère avec la mère de son meilleur pote. Ce petit angelot, naïf, assiste au ballet des adultes autour de lui avec une réelle incompréhension. Etant dans une période particulière de l’enfance, tout, absolument tout, l’angoisse et l’inquiète : peur d’avoir contracté le SIDA parce qu’il s’est amusé avec un camarade à singer un rapport sexuel, peur d’être la prochaine victime d’un pervers kidnappeur et violeur d’enfant, rumeur et psychose de cour d’école. D’abord un simple portrait de ce jeune garçon et énième scénario sur cet âge particulier du passage de l’enfance à l’adolescence, le film séduit par ses qualités indéniables de mise en scène mais donne l’étrange sensation par ailleurs de s’être un peu fait duper sur la marchandise. C’est seulement dans le dernier tiers du film, suite à un tournant scénaristique étonnant, que le film mute vers le thriller, jusqu’à flirter avec le film de fantômes angoissant à mesure que Félix commence à voir un jeune camarade disparu lui apparaître en vision aux pieds de son lit. L’ambiance est réussie et le film, dans son ensemble, séduit par sa proposition d’univers. Indépendamment de ses qualités, ne vous faites pas avoir toutefois par le produit d’appel, largement mensonger, car si vous cherchez là un film sur l’imaginaire enfantin torturé façon Le Livre de Jérémie (Asia Argento, 2005) vous serez très certainement déçu.

Remercions toutefois BlaqOut de donner par le biais de ce film un peu de visibilité au cinéma québécois sur le territoire français dont l’exportation se limite aujourd’hui au cinéma de Xavier Dolan. L’édition DVD est complète mais on regrettera que le master proposé ne soit pas au top de sa forme, l’encodage ne faisant pas de cadeau à certaines séquences – majoritairement celles en basse lumière. Au film s’ajoute une entrevue de onze minutes avec le réalisateur Phillippe Lesage dont l’intitulé est « Tous les enfants sont des psychopathes en puissance ». Malgré ce titre qui aurait pu être le sous-titre du Village des Damnés (Wolf Rilla, 1960) l’entretien du réalisateur révèle que son ambition était bien plus de faire un film sur l’enfance, ses peurs et traumas, qu’un véritable thriller psychologique lorgnant avec le fantastique. Aussi, on ne lui en voudra pas directement puisque le film, de ce côté là, est largement à la hauteur de ses ambitions. Comme souvent en tout cas, le drame québécois aborde des thématiques avec audace pour qu’au final, les films soient suffisamment singuliers pour attirer notre curiosité. Alors si ces films font parfois un peu genre de faire pas genre – on pense au sentiment que nous avons ressenti devant le film brésilien Mate me por Favor (Anita Rocha da Silveira, 2017) sorti il y a peu en salles – on ne leur reprochera pas d’au moins tenter des expériences qui donnent à ces objets hybrides une identité qui leur est propre et qui dénote considérablement avec l’apoplexie du cinéma français.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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