L’Amant Double 1


Nouvelle tentative du cinéma français de s’atteler au cinéma de genre. Nouvelle sélection en compétition officielle au festival de Cannes. Nouveau film de François Ozon. Nouvel échec. Cette bouillabaisse de références à Hitchcock, Cronenberg et De Palma enluminé d’un esthétisme chic est une catastrophe.

L’amant daube

Je me dois de le dire en préambule, je n’ai jamais été très client du cinéma de François Ozon. Son style appuyé et souvent lourd m’a toujours laissé indifférent, voire énormément agacé. Son cinéma a pu me surprendre et me plaire quand il semblait déplacé de ses obsessions habituelles, par exemple dans la douceur du Refuge (2009), la mignonne étrangeté de Ricky (2008) ou la puissance classique et habitée de son dernier (et plus beau) film Frantz (2016). Mais la plupart du temps, rien ne me transcendait beaucoup dans son cinéma, et surtout pas sa veine faussement sulfureuse, plus ringarde et ridicule qu’autre chose. Autant dire que je n’attendais donc pas grand-chose de cet Amant double puisqu’il semblait renouer avec cette veine-là. Le film raconte l’histoire de Chloé, jeune femme fragile qui tombe amoureuse de son thérapeute Paul. Alors qu’ils s’installent et vivent une belle histoire d’amour, Chloé découvre que Paul a un frère jumeau qu’il essaye de cacher, et avec lui un passé trouble…

L’amant double se veut donc avant tout être un thriller, Ozon expliquant que son retour dans le genre était un moyen pour lui de libérer sa mise en scène et de faire du film un objet ludique jouant avec les codes du genre. Ici commence les problèmes. L’amant double est tout sauf ludique. Engoncé dans la pesanteur de sa forme, la lourdeur de la composition de ses cadres et ses références ostentatoires, il ennuie de la première à la dernière image. Ozon est incapable de générer la moindre ambiguïté dans les rapports entre ses personnages. Tout est dit, sur-dit, sur-explicité, comme dans l’affreux premier plan, référence incroyablement grossière à Luis Buñuel. La majeur partie du film se concentre sur la relation qu’entretient Chloé avec son amant et son frère jumeau. Là encore, amis de la finesse et du trouble, passez votre chemin. D’un côté, la relation douce avec un amant gentil, trop gentil, incapable de s’exciter un peu, et de l’autre c’est la relation beaucoup moins gentille mais évidemment beaucoup plus excitante. C’est bien connu, la femme, chez Ozon, il lui faut un bon petit mari gentil avec qui manger des sushis, mais à côté de ça une bête de sexe capable de « la baiser comme une vraie petite salope ». Au-delà du très déplaisant dogmatisme quant à ses allégations sur la féminité, faisant du long-métrage l’un des plus misogynes qu’il m’ait été donné à voir par ailleurs, la différence entre ses deux parties est très souvent complètement ridicule par manque de crédibilité. Si Jérémie Reigner s’en sort bien dans le rôle de Paul, (aka le jumeau gentil), lui confier de l’autre côté le rôle de la bête sexuelle sans sentiment – oui, oui l’acteur de Cloclo (Florent Emilio Siri, 2012) – relève au mieux de la naïveté, au pire de la stupidité. On ne croit pas une seconde à la relation qui lie les personnages, et Marine Vacht a beau batailler – le casting dans son ensemble n’est de toute façon pas le point fort du film, s’il en existe un malgré la présence de la formidable et trop rare Jacqueline Bisset, complètement perdue ici – le personnage de l’héroïne de Jeune et Jolie (2014) est si caricatural et si mal loti qu’elle ne peut pas sortir le film de sa longue route le menant au désastre.

Désastre qui se confirme lentement mais sûrement pendant toute la durée du film, jusqu’à un final proprement consternant, confirmant un statut de vaste psychanalyse pour les nuls. C’est sans doute l’aspect le plus déplaisant du film : le spectateur a constamment le sentiment d’être pris pour un imbécile, à qui il faut absolument tout expliciter pour être sûr qu’il saisisse la puissance évocatrice de cette histoire que le cinéaste semble croire passionnante et inédite. Or, le spectateur n’est pas idiot et il comprend vite de quoi il en retourne, ) partir de là, aucune surprise n’est possible. En martelant ses références, Ozon croit peut-être rejoindre l’art de citation de De Palma par exemple, pour en retrouver la jubilation et le ludisme. Mais rien de tout ça ne saute aux yeux ici car Ozon est bien trop engoncé dans un esprit trop sérieux, plombant et fatigant. Citer toutes les références qui parcourent le film serait un exercice aussi rébarbatif et fatigant que l’expérience du visionnage de l’œuvre elle-même, je retiendrai simplement le vol hallucinant de ridicule du chat voyeur, venu du dernier chef-d’œuvre de Paul Verhoeven, Elle (2016). Une ombre de Verhoeven à laquelle on pense tout le temps et que l’on regrette pendant toute la durée du film, mais  on se console comme on peut en rêvant son nouveau projet actuellement en tournage, Sainte Vierge avec la géniale Virginie Efira et écrit par le non moins génial Gerard Soeteman)…

Cela peut nous interroger d’une manière générale sur le cinéma de genre chez les auteurs en vogue du cinéma français, et notamment ceux qui ont leur place dans la sacro-sainte sélection officielle en compétition au festival de Cannes. L’an dernier, le très moyen Personal Shopper d’Olivier Assayas était déjà un exemple assez probant de ce cinéma hexagonal de festival qui croit réactualiser le genre en y ajoutant leur dose de prétention, d’esbroufe et de pompiérisme, mais qui ne montre finalement qu’un incroyable dédain dans sa manière de le traiter. Dans le cas de celui-ci, même le final (citant le Alien de Ridley Scott…) qui fait croire à un retour à l’horreur organique et viscérale finit par sombrer dans de la psychanalyse de comptoir, réduisant la scène horrifique à proprement parler au strict minimum. François Ozon préfère à l’organique de la mise en scène la lourdeur explicative du discours. Toujours est-il que la place de ce film en compétition à Cannes interroge véritablement quand on pense à l’absence de gros clients (Bruno Dumont et sa Jeannette notamment…). La colère ressentie face au film permet au moins de s’insurger : on aimerait vraiment que le cinéma de genre en France soit représenté par des auteurs qui l’aiment vraiment, et non pas par des paradeurs chics et vaniteux.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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