Message from the King 2


Grand prix du Festival Hallucinations Collectives de Lyon, le premier film américain du belge Fabrice du Welz marque un tournant dans la carrière d’un des cinéastes de genre contemporains qui comptent le plus pour nous. Face à la commande, le réalisateur de Calvaire (2004) calme ses pulsions de poésie macabre pour un Pulp âpre et efficace où il ne perd cependant pas son âme.

L.A. MOODS

Après la grande réussite Alleluia (2014) on attendait avec une impatience non dissimulée le nouveau film de Fabrice du Welz. On avait tout de même une certaine appréhension concernant ce Message from the King, son premier film américain, étant donné que les relations entre le cinéaste et la commande n’avaient pas laissé un souvenir impérissable. La production de sa précédente commande, Colt 45 (2014) avait très mal tourné, étant donné que face aux pressions des producteurs et de son acteur vedette Joey Starr, il avait dû quitter le tournage avant son terme, expliquant ainsi l’échec artistique (partiel pour autant, car il reste des choses à sauver du film). C’est en compagnie de Fabrice du Welz que nous avons pu voir le film en avant-première, et celui-ci n’a jamais caché le statut de film de commande de Message from the King ni le fait qu’il n’avait donc pas la main mise sur le cut final, d’où des insuffisances narratives notamment à la fin du film, et un sound design un peu lourdingue. Tout annonçait donc un échec, et pourtant, le long-métrage est largement défendable, voire même intéressant, et nous nous en réjouissons.

C’est l’acteur principal, Chadwick Boseman, qui est allé chercher Welz pour réaliser le projet (qui était arrivé dans les mains de Michael Mann précédemment) après avoir vu Alleluia. Celui-ci incarne Jacob King, sud-africain venu de Cape Town débarquant à Los Angeles à la recherche de sa sœur. Il a un billet de retour pour sept jours plus tard et 600 dollars en poche. Au bout de 24 heures, il finit par trouver sa sœur à la morgue, tabassée et visiblement atrocement torturée avant d’être assassinée. Le film sera donc le récit classique et nerveux de la vengeance de King, c’est ce personnage qui en fait le principal attrait. Remarquablement interprété par Boseman, il surprend par sa fragilité initiale. Son attitude rappelle de beaux personnages du cinéma américain, dimension que l’acteur vient réinvestir par sa voix et son charisme particulier. Fabrice du Welz expliquait lors de la discussion suivant la projection que c’est le personnage qui l’avait le plus intéressé dans l’aventure, et qu’il imaginait plusieurs autres films possibles, notamment sur sa vie à Cape Town, point aveugle de ce film là, qu’on peut uniquement apercevoir dans de beaux flash-backs oniriques sur son enfance. On le comprend, et cette fascination pour le personnage, ainsi que pour le corps de Chadwick Boseman est visible à l’écran tant l’objectif ne le quitte quasiment jamais.

Message from the king est le récit âpre de cette vengeance, et il n’en décollera pas. En découle un programme rondement mené, de manière un brin appliquée et bavarde parfois, mais qui n’ennuie pas. Ce n’est cependant pas là où on retrouve vraiment la patte du cinéaste. En effet, formellement, Message from the king n’est pas son œuvre la plus puissante. La mise en scène est un peu répétitive, abusant des longues focales et d’effets primaires un peu lourdingues (on a déjà parlé du sound design) : cela rend les scènes d’action parfois difficilement lisibles, et on peut penser qu’elles constituent une déception, certainement due à un budget limité. Message from the king est un film avec peu d’argent, dans un beau 35mm malgré tout, mais dont les limites économiques peuvent se sentir. Reste que ce choix de très longues focales génère un beau moment de cinéma, au cours d’une scène où King est tabassé par deux flics ripoux sous une nuit pluvieuse hypnotique, et où l’absence total de profondeur de champ donne un moment d’abstraction curieux et beau. C’est dans ces moments-là, proches de l’onirisme, que pointe de nouveau la patte du réalisateur, sa poésie macabre et son humour noir. Quelques beaux moments oniriques, notamment autour d’un personnage secondaire queer émouvant, viennent faire s’échapper le long-métrage de son programme très âpre et presque irrespirable. Par ces moments, musicaux notamment, le film respire et trouve son emprunte propre au milieu de son univers et de sa forme un brin aseptisée.

Ceci étant, la partie pulp pure et dure est efficace. On y découvre un Los Angeles grisâtre, violent, souterrain, de loin de la version pop d’un Drive (qui est marqué en gros sur l’affiche dans une optique grossièrement publicitaire). Cette vision violente, vient donc s’accompagner de ces moments d’onirisme dont émerge une vision paradoxale de la ville, une ambiance très curieuse, au meilleur du film presque dérangeante qui rappelle les meilleurs moments de la carrière du cinéaste. Si Welz s’en sort également donc dans le divertissement calibré, c’est qu’il peut compter sur un casting très impliqué et puissant. On a déjà salué la performance de Boseman, on peut citer dans le désordre les remarquables Alfred Molina (qu’on a rarement vu aussi drôle), Natalie Martinez, Luke Evans ou encore Tom Felton (qui passe sans casse de Drago Malefoy au dealer) dans des rôles plus ou moins secondaires et qui s’en sortent tous très bien. Enfin, le beau personnage de Kelly, interprété avec émotion par Teresa Palmer, est l’une des plus belles pistes de l’intrigue. Malheureusement, elle a été très clairement charcutée au montage par la production dans la dernière partie du film, ce qui la rend moins puissante qu’elle aurait pu l’être, et on sent clairement l’insuffisance du traitement de son personnage, malheureusement indépendante de la volonté du cinéaste.

On peut toujours regretter les duretés de la contrainte « commande ». La réaction de Fabrice du Welz me paraît on ne peut plus saine. Tout en ayant conscience de ces difficultés à la post-production, nécessitant d’envisager autrement le final cut que dans l’optique d’une politique des auteurs appliquée doctement sur le mode européen, il assume pleinement le résultat du film et essaye de se battre avec humilité pour faire gagner le plus largement possible sa vision. Cette façon d’aborder la commande fait du bien, loin des complaintes un peu naïve d’un Kassovitz à l’époque du désastreux Babylon A.D (2008) par exemple. On peut se réjouir de compter dans les rangs de la Francophonie un cinéaste capable de se retrouver dans ce genre de productions américaines, avec une telle envie et une telle humilité. Alors, malgré tous ses défauts, on a vraiment envie de défendre Message from the king, et de retrouver au plus vite sur notre route Fabrice du Welz au détour de sa carrière aventureuse et riche. Avec cet été, nous a-t-il annoncé, un nouveau tournage, dans ses Ardennes, d’un film d’enfants, mais pas pour les enfants a-t-il averti. On en frémit d’avance.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


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