Le Samouraï


Dans le cadre de sa diffusion sur France 5, retour sur l’œuvre somme d’un cinéaste extraordinaire (ça, ça veut dire qu’on l’aime bien à Fais Pas Genre), Le Samouraï (1967) de Jean-Pierre Melville.

© Mondadori Portfolio

Poor lonesome cowboy

Tous les cinéastes ont une œuvre phare : certains grands en ont plusieurs. C’est le cas, ce me semble, de Jean-Pierre Melville dont on cite souvent évidemment Le samouraï, considéré comme la quintessence de son style, mais dont L’armée des ombres (1969) est également un chef-d’œuvre total sur la Résistance (faut dire que Melville ayant été résistant, ça a certainement aidé). France 5 ne fait donc pas vraiment dans l’originalité en choisissant de diffuser Le samouraï, mais permet une (re)vision du film éblouissante, qui ne fait douter personne sur sa place au panthéon du septième art., allant bien au-delà du swag intersidéral d’Alain Delon, et du plaisir de voir un Paris 60’s dont on apprécie les modifications de typos des stations de métro (on est attentif au détail ou pas). Le récit, adapté du roman The Ronin de Goan McLeod, n’est pourtant pas révolutionnaire en soi, et pourrait servir de base à n’importe quel film noir ou polar, à l’époque de la sortie du film.

Jef Costello est un tueur à gages solitaire et mutique qui abat un gérant de club jazz. Il lui nique bien sa mère avec une classe étonnante (« – Qu’êtes-vous venu faire ? – Vous tuer ») mais croise, en sortant du club, le regard de la pianiste. Il est ramassé dans une vaste opération de police et est confronté à cette témoin…Qui à sa plus grande surprise nie le reconnaître. Entre désir de savoir pourquoi elle a nié, et souhait manifeste de rester en vie (parce qu’il a failli se faire choper et que du coup ses patrons veulent le dessouder) et en liberté (la police reste sur ses trousses et le met sur écoute) Costello mêne son enquête personnelle jusqu’à une conclusion qui donne tout son sens au titre, évoquant le Bushido qui est un code de vie, mais aussi un art de mourir. Jean-Pierre Melville épouse en quelque sorte l’existence solitaire et aride de son héros, avec ce qui fera son style et sa renommée : une mise en scène minutieuse, un univers glacé, gris, un scénario austère, n’utilisant les dialogues qu’en ultime, ultime recours. Melville n’est indéniablement pas un psychologue, c’est un scrutateur lucide, placide même, et particulièrement sur toutes les « machineries ». Tout au long de sa filmographie, le cinéaste s’attarde méticuleusement sur des séquences d’opération (par exemple, la pose des micros chez Costello) étape après étape, n’épargnant le spectateur par aucune ellipse. A raison, car à l’image de la séquence de braquage de Un flic ou de Bob le flambeur, ce sont des scènes littéralement à couper le souffle, changeant les règles du jeu narratives dans un souci de réalisme et de tension. Du jamais vu à l’époque.

Il est frappant de toujours constater combien Jean-Pierre Melville a littéralement inventé un genre, le polar à la française, à la Melville, et comme un film comme Le samouraï a fait des petits après lui. Sur les mêmes bases que la Nouvelle Vague (influences du film et du roman noir américains) mais avec une réponse tout à fait autre (le Monsieur n’a pas la même vie et pas le même âge que les trublions qu’étaient François Truffaut et Jean-Luc Godard), la patte Melville en a fait certainement un des cinéastes les plus importants de l’histoire du cinéma français, pour ne pas dire mondial tant des petits réalisateurs tels que Martin Scorsese, John Woo, ou Quentin Tarantino ont revendiqué son influence ou quand on pense à des cinéastes comme Olivier Marchal et la nouvelle mode du polar qu’il a lancé, ou encore au William Friedkin de French Connection (les séquences de filature doivent beaucoup à celles du Samouraï). En d’autres termes, Le Samouraï ce soir sur France 5, et toute la filmographie de Jean-Pierre Melville, c’est plus qu’indispensable, c’est un devoir de cinéphile.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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