Le sable était rouge


Tout à fait méconnu, Le sable était rouge est édité en DVD par Sidonis Calysta en ce début d’année 2017, et il faut bien avouer que ce n’est pas trop tôt tant ce film de guerre devance à maints égards, plusieurs autres bien plus réputés…

Duel dans le Pacifique ?

Le cinéphile acharné découvre régulièrement des noms jamais entendus auparavant et c’en est heureusement ainsi jusqu’à ce qu’il soit enfermé dans quatre planches de bois, c’est à dire son petit chalet tranquille de la montagne où il passera une saine retraite en matant des rétrospectives de Julien Duvivier ou Bruce LaBruce. Celui de Cornel Wilde était totalement inconnu à votre serviteur, et c’est somme toute assez logique : Wilde était d’abord un acteur ayant connu son heure de gloire dans les années 30-40 dans des grosses productions hollywoodiennes telles que Les fils des Mousquetaires (Lewis Allen, 1952) et autres joyeusetés sur lesquelles mes goûts et intérêts ne s’attardent que point. Mais ce n’est pas une raison, puisque je ne l’ai pas croisé non plus chez Douglas Sirk (Jenny, femme marquée, pas vu) ou dans le film noir (Association criminelle de Joseph H. Lewis en 1955)…Non si Sidonis-Calysta n’avait pas fait le choix d’éditer en DVD un des films de Cornel Wilde en tant que réalisateur, Le sable était rouge (1967), c’était décidément une personnalité que j’avais manquée. Et c’était un tort, tant la vision de Beach Red (titre anglais, qui est aussi celui du roman d’où il tire sa matière) est une surprise, pour ne pas dire un incontournable, en particulier pour les amateurs de films de guerre.

L’action prend place au cœur de la bataille du Pacifique durant la Seconde Guerre Mondiale. Le spectateur débarque avec les Marines, et suit les soldats yankee dans leur progression dans la jungle au travers de plusieurs personnalités (le Capitaine philosophe MacDonald, le Sergent Honeywell, Egan et Cliff, deux acolytes jeunes et attachants) dont la vie privée, les souvenirs, nous sont dévoilés au fur et à mesure. Ce, par des voix off ponctuelles (nous entendons par endroit ce qu’un tel ou un tel se dit à un moment précis) et de jolies séquences de flashback, ou animées (scènes d’Amour homme-femme ou familial) ou fixes (des photographies, sur lesquelles Wilde promène sa caméra) qui nous plongent dans l’intimité des combattants. Dans la forme et la narration, c’est déjà aussi simple qu’efficace, d’autant plus lorsque c’est traité avec pudeur. Mais là où se trouve la vraie nouveauté, en 1967, c’est que c’est la première fois qu’un film américain traite Ricains et Japonais à la même enseigne : ce que je viens de vous dire là pour les soldats américains, est appliqué aussi à certains soldats japonais, dont nous voyons les inquiétudes, les souvenirs, rigoureusement de la même manière (photos, souvenirs, et même séquences de camaraderie, en japonais non sous-titré de surcroît). En pleine guerre du Vietnam, la posture est courageuse, et a d’ailleurs coûté à son réalisateur de ne recevoir aucune aide de l’armée américaine…Le sable était rouge devance ainsi de 31 ans La ligne rouge de Terence Malick, Lettres d’Iwo Jima de 40 et explose Tu ne tueras point qui a l’air d’un vieux tromblon moral en comparaison.

Au-delà de ce point, c’est aussi dans la forme que le film est dans le turfu. Malgré le fait qu’il ne l’a jamais avoué contrairement à Oliver Stone qui l’a placé lui dans la liste des plus grands films de guerre de tous les temps (d’après Bertrand Tavernier), Steven Spielberg n’a en réalité pas exactement révolutionné la guerre au cinéma avec Il faut sauver le soldat Ryan. Il n’a fait que remaker la séquence d’ouverture du long-métrage de Cornel Wilde, elle aussi débarquement violent et chaotique, filmé à l’épaule, au plus près des corps et de la violence, et partageant aussi des motifs graphiques (la perte d’un bras par exemple). D’une durée ahurissante de plus d’une vingtaine de minutes, la séquence ne fait apparaître des personnages principaux et une intrigue scénaristique qu’au bout d’un instant de cinéma saisissant et précurseur dont on aurait bien aimé que Spielberg replace la paternité. Enfin bon, entre ça et Monsieur The Neon Demon Nicolas Winding Refn qui, à propos d’Only God Forgives, nie l’influence de Robert Bresson…

Nous pouvons d’ailleurs apercevoir Cornel Wilde en bonus, dans une courte interview diffusée certainement à la télévision en 1989, à sa mort, portant non pas sur Le sable…en particulier, mais sur son existence « en gros ». Avec une galerie de photographies et des bandes annonces, les fidèles Patrick Brion et Bertrand Tavernier présentent chacun le film, le réalisateur, l’importance du long-métrage et son contexte, et il est d’ailleurs amusant de voir comme les deux intervenants diffèrent parfois, permettant au spectateur de former son point de vue à partir de deux grands yeux de cinéphile/cinéaste.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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