The King of Pigs 1


On l’a répété, Dernier Train pour Busan est le carton coréen de l’année et accessoirement le film qui a obtenu notre modeste label Fais pas Genre 2016. Mais avant ce fait de gloire, son réalisateur Yeon Sang-Ho était un auteur de long-métrages d’animation, et avait déjà bousculé le monde avec The King of Pigs, son premier bébé que Spectrum Films sort en DVD et Blu-Ray collector.

L’enfance nue

Dans la vie, on se sent parfois très seul. Cette maxime admirable de créativité a été, à quelques reprises, mon adage de 2016, notamment au sein de la rédac de Fais Pas Genre. Comme les tops des rédacteurs en attestent, je crois être le seul dans l’équipé à défendre bec et ongles Batman V. Superman (voire même du monde j’ai l’impression), meilleur film de super-héros depuis ceux de Christopher Nolan à mes yeux (logique puisque Zack Synder avait fait le meilleur hors Batman avec The Watchmen), et un des rares à trouver le succès aussi bien critique que public de Dernier train pour Busan très largement exagéré. La faute n’en incombe pas aux qualités plastiques de Yeon Sang-Ho, qui fait preuve d’une aisance remarquable en live pour quelqu’un qui vient de l’animation, ni même du sous-texte social qui est bien sûr pertinent. Mais ces qualités ne sauraient me faire oublier que dans le fond, c’est un énième film de zombies obéissant strictement aux règles canoniques du genre et n’évitant aucun de ses clichés scénaristiques…L’originalité, la puissance, la surprise, Sang-Ho en avait davantage insufflé dans son premier long-métrage (entre autres, évidemment) qui nous parvient aujourd’hui pour la première fois en DVD et Blu-Ray, grâce à Spectrum Films : The King Of Pigs.

Jong-Suk est un écrivain raté et violent qui traîne dans la vie, plus qu’il n’y progresse. Son roman, toujours en attente de trouver éditeur, est évidemment son « chef-d’œuvre » mais ne plaît pas à la personne avec laquelle il est en contact, et sa vie semble n’être qu’un parcours sur le film d’une lourde dépression : c’est ce moment-là que choisit Kyung-Min, un ancien camarade de classe, pour le recontacter, quinze après le dernier mot qu’ils ont échangé, pour dîner avec lui. Le dîner en question est l’occasion de faire le point sur ce qu’ils sont devenus, mais aussi de revenir sur un épisode important de leur enfance et de leur scolarité, lorsqu’ils étaient martyrisés par des gros bras de l’école et qu’un seul élève seulement, Kim Chul, s’est mis entre eux et leurs oppresseurs…Comme s’il était besoin de le préciser, nous ne sommes clairement pas devant un dessin animé pour enfants, pas même à double niveau de lecture : c’est clairement une œuvre d’adulte à la sécheresse, la violence et la noirceur secouantes. L’animation elle-même, stricte, expressive, et peu détaillée plonge dans un univers obtus et enragé, auprès de personnages dont l’enfance n’a rien d’un paradis, brimée, comme cela existe dans toutes les cours de récréation, par les plus forts, les mieux organisés, les plus vieux. Et ce, avec une cruauté, n’épargnant ni la honte, ni l’intégrité physique (entre les coups et les attouchements humiliants) qui peut volontiers choquer n’ayant pour personnage « que » des enfants ».

La richesse de The King of Pigs réside dans le fait que l’enfance y est une porte d’entrée pour comprendre la société coréenne et la vision de l’auteur-réalisateur Yeon Sang-Soo, tiraillé par le thème des milieux sociaux. Allant plus loin dans le pessimisme que Dernier train pour Busan qui se sabrait justement lui-même par un optimisme final angélique et sacrificiel, Sang-Soo démontre combien l’école peut être tout d’abord un microcosme de l’extérieur avec ses hiérarchies, ses injustices et même ses luttes de pouvoir (la scène du délégué qui fait son discours), mais également comme les enfants traversent le glauque monde des adultes loin d’être dupes, sans pour autant tout savoir. La prostitution, le divorce, le suicide, la drogue, la violence conjugale sont abordés de front, sans maquillage, avec une noirceur réaliste qui culmine lors d’un dernier acte à twist certes, mais dont la cohérence tragique est indéniable. The King of Pigs est en tout point un film déterministe, dans lequel les personnages n’échappent pas, dès les premières années, d’abord à leur milieu social, puis, devenu adultes, à leur enfance.

L’édition de Spectrum Films est présentée comme collector car elle est en tirage limité, mais ceux qui y chercheront un grand nombre de bonii risquent déçus, la galette ne comprenant qu’une bande annonce, et une présentation du film, riche cela dit, de près d’un quart d’heure par le monsieur Asie de Mad Movies, Julien Sévéon. De toutes façons, rien que le film est à voir et à posséder absolument, avec des anti-dépresseurs.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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