Quelques Minutes Après Minuit 2


J’ai pris l’habitude d’introduire mes critiques en ces lieux par des paragraphes abscons et des vannes qui n’amusent que moi au mépris des conventions en vigueur sur le site. Il est de bon ton de commencer par le sujet de l’article, dire de quel film va-t-on parler, à qui le doit-on, quand est-il sorti et à quel point s’est-il fait remarquer, le tout dans l’intention d’informer avant d’expliquer. Et bien laissez-moi me repentir et corriger mes vilaines manies en m’engageant au respect des conventions et au bon service de quiconque vient me lire, aussi laissez-moi annoncer la couleur. Bleu.

Un monstre n’a pas ri

Ah qu’est-ce qu’on rigole. Oui je donne tout maintenant car le film dont je vais vous parler ne se prête pas nécessairement aux calembours ni aux coups de coudes complices avec le voisin du siège d’à côté. Quelques Minutes après Minuit (A Monster Calls) est sorti ce 4 Janvier 2017 grâce à une équipe de gens talentueux dirigés par J.A. Bayona et il est l’adaptation du roman éponyme, Patrick Ness ayant signé le scénario de l’un et l’histoire de l’autre. Pour vous la faire courte, notre histoire est celle d’un conte (j’aime bien les formulations un peu malignes, ça nous assure du rebond sur les ordis de la Sorbonne). Plus précisément de trois contes qu’un Monstre vient raconter à Conor, un jeune garçon de 13 ans qui vit avec sa mère malade d’un cancer qui ne cache plus son jeu. Conor fait face à la situation comme il peut mais un cauchemar ne le quitte plus, un cauchemar dans lequel un cimetière s’effondre sous les pieds de sa mère et à la fin duquel il tente vainement de la retenir de sombrer. J’en savais beaucoup moins que ça avant d’aller le voir et je vous souhaite la même découverte que moi, je compte aussi divulguer plusieurs points de l’intrigue au cours de cet article dont il vaut mieux vous préserver si vous n’êtes pas encore allé.e voir le film.

Ainsi, Quelques Minutes après Minuit – le film comme le livre – reprend la structure, les codes et les objectifs du conte en tant que genre littéraire. La mise en abîme opérée par le Monstre (Liam Neeson) qui vient lui-même réciter des contes au jeune Conor (Lewis MacDougall) parle d’elle-même, de cette manière le film est un récit accompagnant un message adressé à tout spectateur mais plus particulièrement aux jeunes pré-adolescent.e.s. L’histoire a pour but de mettre des mots sur les émotions contradictoires que l’on ressent lors de situations difficiles dont on ne peut avoir le contrôle. Réfléchissez car chacun a connu les siennes ou s’y confrontera un jour. Dans le contexte de Quelques Minutes Après Minuit il s’agit d’un jeune garçon qui doit se préparer au décès prochain de sa mère mais la portée du message permet à chaque spectateur d’y trouver sa propre résonance. Je roule toujours les yeux aux ciel quand j’entends la formule “c’est un film sur le passage à l’âge adulte”, j’ai toujours trouvé que ça sonnait comme une analyse prétentieuse d’étudiant en cinéma qui veut faire son malin devant la prof. Et pourtant c’est ce qui est avancé par certains membres de l’équipe dans la conception du livre et/ou du film. Du coup je désapprouve les mots choisis mais dans le fond, évidemment qu’il s’agit d’un film sur ces premières situations de doutes où l’on a besoin de croire que les choses sont soit toutes noires soit toutes blanches, où l’on a besoin d’être reconnu en martyr d’une situation subie, où l’on souhaite être puni lorsqu’on pète un câble à la fois pour libérer la pression mais aussi pour se faire remarquer. La pré-adolescence est un passage clé dans cette re-conception du monde dans lequel on va vivre, Conor a besoin d’exprimer la vérité à ses proches mais surtout à soi-même et c’est là où cette histoire sonne particulièrement juste.

On n’adapte pas un livre exceptionnel par dessus la jambe et Quelques Minutes Après Minuit donne les plus belles formes possibles pour se montrer à la hauteur de l’histoire originale, mais en vrai il va plus loin que ça : Il la magnifie. Le casting, déjà. Sigourney Weaver y incarne une grand-mère autoritaire mais soucieuse, Felicity Jones – qui nous gratifie d’au moins une nouvelle expression faciale par rapport à Rogue One – a très bien trouvé l’équilibre entre son personnage diminué mais positif, le jeune Lewis Macdougall parvient malgré sa jeune expérience à jouer tout en retenue pour mieux s’abandonner à la détresse de son personnage et enfin Liam Neeson – qui doit enfin partager un film avec un enfant qui ne mérite pas des baffes – exprime rien qu’avec sa voix le tumulte nécessaire pour secouer une âme dans le doute mais aussi la douceur pour la réconforter. Au croisement de plusieurs techniques visuelles, le film alterne des prises de vue réelles, des séquences d’animation à tomber par terre, de la motion capture – Liam Neeson, toujours – et enfin des scènes blindées d’effets spéciaux au service de plans à re-tomber par terre (pensez à ramassez le pop-corn avant de sortir de la salle). En réalité, il est impressionnant qu’un tel patchwork puisse conférer au film une telle cohérence visuelle. Pour rappel, Quelques Minutes Après Minuit est un conte, et en sa qualité de conte il fait évidemment appel à l’imaginaire des spectateurs. Alors autant dans le contexte du livre, paré des magnifiques illustrations de Jim Kay, l’effet coule de source. Sur grand écran, c’est l’interprétation visuelle de toute une équipe d’artistes et d’acteurs à laquelle on doit souscrire. Et comme je l’ai déjà dit plus haut, c’est le monstre qui vient narrer trois contes à Conor et à qui il demande de s’en faire une représentation avant que les séquences en animation ne commencent.

Là dessus, cette astuce de mise en scène rejoint l’une des deux thématiques apportées par le film : l’art plastique. Dans cette version du scénario, Lizzie est une artiste et a transmis cette passion au jeune Conor qui à son tour dessine soit comme un passe-temps soit pour extérioriser ses pensées, chacun son délire, moi je dessinais des Sangoku comme si il n’y avait pas de lendemain. Le film se concentre d’ailleurs fortement sur cette activité, de longs plans rapprochés sur la mine d’un crayon parcourant la feuille, plan en vue subjective du taille-crayon, sur-impressions de dessins, la caractérisation de Conor par ses crayons ne fait qu’une avec l’orientation visuelle du film. L’autre thématique forte apportée par cette adaptation est celle du monstre de cinéma. Du moins c’est l’explication que je me suis faite de cette scène au début du film où Lizzie et Connor regardent une vieille bobine de King-Kong (Merian C.Cooper & Ernest B. Shoedsack, 1933) jusqu’au moment où l’on voit King Kong lâcher prise du haut de l’Empire State Building comme à la fin du cauchemar de Connor, et de cette fabuleuse scène finale à travers laquelle Connor ouvre le livre de dessins de sa mère et y découvre les personnages des contes racontés par le monstre… Que l’on voit dessiné à la toute dernière page avec Lizzie sur son épaule (c’est moi ou quelqu’un épluche des oignons ?). Et alors les deux thématiques se rejoignent puisque l’on comprend que toutes ces scènes ancrées dans l’imaginaire de Connor sortent des crayons de Lizzie. Est-ce que Lizzie a créé ces personnages et le Monstre pour qu’ils viennent aider Connor à traverser cette étape ? Est-ce que ces mêmes personnages ont aidé Lizzie lorsqu’elle aussi a traversé l’épreuve du deuil de son père (représenté par Liam Neeson sur les photos que l’on aperçoit à la fin) ? J’aimerais souscrire à cette version mais j’aime à penser que la présence ces références à King-Kong et cette histoire de dessins vient nourrir l’idée selon laquelle Lizzie a créé en quelque sorte son “monstre de cinéma”. Littéralement. Du moins, il s’agit d’une interprétation rendue possible par ces ajouts scénaristiques que J.A Bayona et Patrick Ness ont trouvé cohérent de faire cohabiter avec l’histoire initiale du bouquin. Cela permet au film de faire appel narrativement et formellement à tout ce que le cinéma permet de raconter sur un tel sujet.

Je souhaite à Quelques Minutes Après Minuit d’avoir un impact semblable à ceux qu’ont pu avoir Big Fish (Tim Burton, 2003) ou Le Labyrinthe de Pan (Guillermo Del Toro, 2006) puisqu’ils se rassemblent autour de thématiques ou d’imageries fortes comme celles du conte fantastique, de l’imaginaire qui raconte le réel, l’enfant qui se découvre et se comprend lui-même. On n’a même pas encore vu la fin du mois de janvier que Quelques Minutes Après Minuit se donne des allures de film de TOP 2017, en ce qui me concerne il faudra du lourd pour me faire oublier un tel bijou. Croyez-moi, des films réussis sur autant de tableaux à la fois, il n’y en a pas toutes les années.


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu


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2 commentaires sur “Quelques Minutes Après Minuit