Personal Shopper 5


Après l’élégant et beau Sils Maria, Olivier Assayas s’aventure de manière assez surprenante dans un genre qui ne semblait pourtant pas être son lieu de prédilection, le cinéma fantastique. Accueilli très froidement par la presse et les festivaliers au dernier festival de Cannes mais reparti avec un Prix de la Mise en Scène, ce film de fantômes intrigue autant qu’il déçoit. Il a en tous cas le mérite de nous interroger sur la capacité de cinéastes français auteuristes à se confronter au cinéma de genre.

Placement de produit : Kristen Stewart

Maureen est américaine. Elle est belle, jeune, vit à Paris, et exerce le métier parfait pour être à la fois branchée et précaire, jouer sur les deux tableaux, ainsi que pour donner un titre hype au film. Maureen est personal shopper, c’est-à-dire qu’elle s’occupe de la garde-robe d’une célébrité. Mais si elle reste à Paris, c’est avant tout pour attendre des signes de son frère défunt dans son ancienne maison. C’est le point de départ de ce Personal Shopper dont on voit tout de suite qu’il mêle deux films. L’un, chic, sur une jeune fascinée par la mode, l’autre, étant un film de fantômes. Et le problème essentiel du film est ici. On a l’impression pendant toute la durée de la projection que jamais ces deux films ne se rencontrent vraiment. Ils semblent séparés arbitrairement, comme si Assayas avait envie de réaliser ces deux films mais n’avait jamais vraiment réussi à trouver comment coordonner ces deux idées et les lier pour nous donner une œuvre homogène. Ce Personal Shopper, mis en chantier à partir d’une feuille blanche selon les dires de l’auteur, ressemble à un projet abâtardi, au mieux malade, partant un peu dans tous les sens, et dont on peine à cerner le propos, ou le sens.

Il y a donc ce film mode, ou plutôt ce film chic. Assayas multiplie les plans où Maureen s’habille dans des vêtements haute-couture, se recoiffe face caméra, en accumulant jusqu’à l’épuisement les placements de produits. Il y a une telle complaisance chez le cinéaste dans ces placements, affirmant un embourgeoisement inconscient de tout assez insupportable qu’on pouvait déjà redouter dans Sils Maria (2014) mais qui était déjoué par une authentique profondeur du récit et des enjeux. Ici, on ne voit que ces placements de produit, et on veut que ça cesse. Bien sûr, nous ne l’avons pas encore dit, mais la fameuse Maureen est jouée par la sublime Kirsten Stewart. Le film semble d’ailleurs avoir été réalisé pour que chaque critique écrite sur le film contienne cette expression : « la sublime Kristen Stewart ». Le problème, c’est que cela ne suffit pas à passionner. Assayas est aussi complaisant dans sa manière de la filmer que dans sa manière de placer Gucci, Apple et consorts dans son scénario. Pourtant, Stewart est belle, envoûtante et reste une actrice absolument formidable dont la présence suffit à ne pas regretter d’avoir payé sa place pour le film. Mais au lieu de véritablement électriser le film, elle devient alors un produit parmi d’autres, dont Assayas vient mettre en valeur les formes mais à qui il n’offre rien d’autre qu’un écrin pour se regarder langoureusement dans le miroir, ou à la rigueur se masturber pour faire joli avec à la clé, une des scènes les plus embarrassantes de l’année, après la scène de comédie musicale dans La Folle Histoire de Max et Léon (Jonathan Barré, 2016). L’ambition est clairement ici de finalement dresser un portrait du monde contemporain ultra-connecté et mondialisé. Le problème c’est qu’Assayas ne se confronte jamais à ce contemporain, et ne se contente que de le reconstituer de manière extrêmement pauvre. Cela se voit notamment dans les atroces fausses vidéos Youtube, dont une où Benjamin Biolay récite dans un costume 19ème sans doute trouvé à la Grande Récré un texte de Victor Hugo, autre grand moment d’embarras de l’année, même si j’oubliais aussi les scènes de Jared Leto en Joker dans Suicide Squad (David Ayer, 2016) .

Il y a ensuite, ou plutôt parallèlement, le fameux film de fantômes, où Maureen attend des signes de son défunt frère dans une grande maison sombre. On peut louer la volonté d’Assayas de revenir à des figures prosaïques du genre – avec par exemples ces effets spéciaux un peu cheap – pour retrouver une forme de peur primitive. Le problème, c’est que cela ne sonne pas véritablement comme une intention. A bien y regarder, on se rend compte qu’Assayas traite finalement le genre avec dédain, le réduisant à une accumulation des pires clichés de l’angoisse – un robinet se met à couler tout seul, un fantôme tape sur les murs, etc… – que même des étudiants en cinéma n’oseraient plus utiliser. S’il reste alors quelques trouvailles de mise en scène – un verre d’eau qui flotte en profondeur de champ avant de s’éclater à terre, plus beau plan du film – on s’ennuie vite devant les effets horrifiques éculés, et cet aspect du film où l’on envisage sans problème toute la tartine théorique que l’ancien critique Assayas a pu y plaquer. Bertrand Bonello lui, par exemple, dont le récent Nocturama (2016) a parfois aussi reçu cette appréciation de film de genre chic, semblait vraiment habité par les figures du cinéma de genre qu’il venait convoquer, on pensait notamment souvent à John Carpenter. Contrairement à celui-ci, Assayas semble découvrir cette cinéphilie et ne s’y intéresser que très peu. La fin de la partie film de genre de Personal Shopper part alors dans tous les sens et accuse une nouvelle fois un véritable défaut d’écriture. La célébrité qui emploie Maureen est assassinée par le fantôme du frère ? Ou par un de ses collègues qu’on a vu qu’une seule fois peut-être ? Tout ça n’a ni queue ni tête, et on n’y comprend absolument plus rien, jusqu’à ce plan où un spectre invisible vient ouvrir les portes automatiques d’un magasin, tiens, encore un des plans les plus embarrassants de l’année après celui de Jalil Lespert en position fœtale par terre se faisant fouetter par Charlotte Le Bon dans Iris (Jalil Lespert, 2016). Promis c’était la dernière scène la plus embarrassante de l’année. Si cette partie est aussi ratée et incompréhensible finalement, c’est sans doute parce que le film est très paresseux en termes de mise en scène. Une fois qu’on a compris que le projet était de fétichiser Kirsten Stewart, Assayas n’a plus rien à proposer en termes de mise en scène pure, à part quelques plans et scènes à sauver. Il filme ainsi sans grâce les événements qu’il a écrits, comme le prouve cet abus de fondus au noir qui ressemblent plus à des caches misères narratifs qu’à autre chose…

Bizarrement, les scènes dont la presse s’est le plus moquée sont peut-être les plus intéressantes du film, notamment la fameuse scène des textos. En effet, une des belles idées du film est de faire communiquer Maureen avec le fantôme de son frère par SMS. L’idée théoriquement de lier l’immatérialité du SMS au spectral est très belle. Le problème, c’est qu’elle ne s’incarne que partiellement, parce que malheureusement, les scènes en question ne terrifient jamais. Une fois l’effet de surprise passé, n’étant pas écrites au sens dramaturgique du terme, elles finissent par ennuyer. Il n’y a qu’un moment où cette idée devient vraiment belle, et c’est d’ailleurs dans la seule scène où les deux films semblent se rencontrer : lorsque Maureen obéit aux injonctions écrites du fantômes de son frère et qu’elle se met à utiliser les vêtements de son employeuse, afin de devenir une autre. Cette scène, qui ressemblerait presque à une scène de jeu entre enfants, est plus touchante que les multiples poses d’un cinéaste qui ne semble pas savoir ce qu’il veut raconter. Avec ces références massues, ces défauts d’écriture, et son côté abusivement poseur, Personal Shopper déçoit donc, d’autant plus que son ambition pouvait laisser espérer le meilleur. Le ton un peu brutal de cette critique ne veut pourtant pas dire que tout y est à jeter, mais malgré l’intérêt qu’on peut lui porter par moment, la beauté de Kristen Stewart et son jeu toujours convaincant, quelques belles idées théoriques, celui-ci semble raté, engoncé dans sa vanité et sa paresse.


A propos de Pierre-Jean Delvolvé

Scénariste et réalisateur diplômé de la Femis, Pierre-Jean aime autant parler de Jacques Demy que de "2001 l'odyssée de l'espace", d'Eric Rohmer que de "Showgirls" et par-dessus tout faire des rapprochements improbables entre "La Maman et la Putain" et "Mad Max". Par exemple. En plus de développer ses propres films, il trouve ici l'occasion de faire ce genre d'assemblages entre les différents pôles de sa cinéphile un peu hirsute. Ses spécialités variées oscillent entre Paul Verhoeven, John Carpenter, Tobe Hooper et George Miller. Il est aussi le plus sentimental de nos rédacteurs. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/riNSm


Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

5 commentaires sur “Personal Shopper