L’étrangleur de Rillington Place


Carlotta Films a décidé d’honorer en fin d’année 2016 Richard Fleischer, avec la sortie en DVD et Blu-Ray de trois de ses films, Terreur Aveugle (1971), Les flics ne dorment pas la nuit (1972), et l’âpre L’étrangleur de Rillington Place, dont Fais Pas Genre vous parle aujourd’hui.

Peines capitales

Longue est déjà la liste des artisans ou réalisateurs jugés trop longtemps comme de simples techniciens que la fameuse sacro-sainte-dictatoriale (en parallèle de cette idée je ne saurais que trop vous conseiller l’article de notre rédac chef sur les bons côtés des reshoots) des auteurs a réhabilités. Le cas Fleischer est peut-être un peu plus complexe. Sa compétence technique n’a jamais fait aucun doute (je me souviens être allé voir L’énigme du Chicago Express (1952) au lycée avec la classe de Cinéma, donc c’est qu’il devait y avoir un intérêt) mais la largesse, pour ainsi dire, de ses choix de carrière (accepter presque tout, quelle que soit la contrainte) et un nombre de films par-là même conséquent (46 longs-métrages) ont rendu l’étiquette d’auteur et d’artiste à part entière plus délicate à poser. Pourtant, plusieurs de ses œuvres méritent bien le nom d’œuvres, tant s’illustre d’une part il est vrai une maîtrise formelle captivante, et de l’autre une profondeur thématique absente de n’importe quel tâcheron de commande. Il suffit de ne voir que L’étrangleur de Rillington Place (1972), édité en DVD et Blu-Ray chez Carlotta, pour le constater.

Tiré d’une histoire vraie et d’un bouquin de Ludovic Kennedy, 10 Rillington Place (titre anglais bien meilleur car ne jouant pas sur la proximité avec le précédent (1968) succès de Fleischer, L’étrangleur de boston) se déroule dans un sacré taudis de merde de Londres, au début des années cinquante. Beryl et Timothy Evans avec leur bébé emménagent au-dessus du propriétaire des lieux, un charmant chauve appelé John Christie que nous avons déjà vu étrangler une femme dès la scène d’ouverture. Donc déjà, lorsque le jeune couple s’installe, on se dit que ça va être tendax, mais ça se complique vraiment lorsque Beryl tombe enceinte, souhaite avorter et accepte que Christie, qui se prétend docteur plus que tueur en série (on le comprend), procède à l’opération illégale à l’époque…Dans des décors glauques, Richard Fleischer fait preuve d’une vivacité technique impressionnante, n’étant pas impressionné par les lieux exigus depuis son film noir dans un train cité plus haut. Parvenant à lier souci de visibilité, réel point de vue de cinéaste sur l’action et illustration plastique de la psyché de ses personnages, le réalisateur livre une direction prompte à l’analyse, tant chaque axe (fréquent jeu sur les contre-plongées), chaque mouvement, en bref chaque choix (décadrages, caméra portées ou non, détails d’objets ou de lumière) est porteur de sens. Brutal, âpre, quasiment dénué de musique, le film est pourtant anti-spectaculaire au plus près d’une espèce de réalisme glaçant abordant de manière pessimiste et sans concession ses deux thèmes : la lutte des classes (c’est grossièrement l’histoire d’un lettré qui manipule un analphabète interprété par un extraordinaire et déchirant John Hurt alors débutant) et la peine de mort (je ne spoilerai pas, mais y a un pendu qui devrait pas l’être).

Carlotta nous propose L’étrangleur de Rillington Place dans une copie superbe agrémentée de quelques bonii à l’intérêt relatif. Pour aller crescendo en qualité, une featurette d’une vingtaine de minutes est une interview de Judy Geeson (qui joue Beryl) sonnant comme une interview de promo quarante ans plus tard tant elle ne fait que livrer des anecdotes et vanter les mérites avec superlatifs de ses collaborateurs. La préface de Nicolas Saada est elle un peu courte (normal, c’est une préface) et présente rapidement le film sous un point analytique mais est surtout éclipsée par le vrai beau bonus de l’édition, un entretien de près d’une demi-heure avec Christophe Gans, qui pour le coup s’enfonce vraiment dans les thématiques du film et le décortique avec l’œil de cinéaste qu’il est. A lui seul, ce complément vaut bien plusieurs bonii et valorise un long-métrage puissant qui n’en avait même pas besoin pour mériter l’achat de la galette.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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