Ash vs. Evil Dead – Saison 2 1


Au départ, un sacré défi : transposer au format série la sulfureuse aura d’objet culte qui entoure ce titre mythique des années 80. Revival poussiéreux ou coup de jeune réussi ? Alors que la saison 2 vient de s’achever, on fait le point.

Get your piece of Ash !

Evil Dead (Sam Raimi, 1981 – 1987 – 1992), c’est la saga culte des années 80 dont les adolescents et autres amateurs d’horreur se refilaient les VHS en douce, pour se délecter dans la pénombre de leur chambre des mésaventures de Ash, un sympathique nigaud chargé malgré lui de faire la peau à une myriade de démons obscènes, entre deux démembrements, douches de faux sang, vomissements et autres charmantes sécrétions. C’est aussi l’un des 72 titres sur la liste des video nasties – avec La dernière maison sur la gauche (Wes Craven, 1972), Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1980) et Massacres dans le train fantôme (Tobe Hooper, 1981) – une tentative avortée de la censure britannique, sous la poigne de Margaret Thatcher, de réglementer les flux de violence et de sexe introduits par le changement de paradigme de cette nouvelle décennie. Exit les gentils frissons des drive-in : avec les débuts du magnétophone et des vidéoclubs, les slashers et le gore suscitent plus d’excitation que jamais et accèdent enfin à la reconnaissance critique, tandis que les fans voient apparaître les premiers festivals et conventions entièrement consacrés à l’horreur. Pour mon plus grand malheur, je n’ai pas grandi dans la culture des home videos mais mon père si, et je garde un souvenir ému de nos soirées films d’horreur et de cette fois où j’ai découvert Evil Dead, ses démons aussi grotesques que terrifiants, la BO démentielle de Joe Loduca et cette cabane improbable. Les effets spéciaux délicieusement désuets – bricolés à base de ketchup, stop-motion et pâte à modeler- ne lassent toujours pas et ramènent à une époque bénie mais révolue, où l’on faisait des monuments du genre avec le budget d’un court-métrage de fin d’année. A quoi bon, donc, vouloir remettre le couvert 25 ans plus tard, alors que le spectateur d’aujourd’hui est habitué à des effets numériques plus vrais que nature, ou tout juste blasé par leur laideur ? Bruce Campbell, notre Ash national, en parlera mieux que moi – dans une interview à IGN, visionnable sur ce lien en anglais : “Le projet est venu au monde parce que les fans ne voulaient pas la boucler. Et c’est ce qu’il y a de beau chez eux : quand ils aiment quelque chose, ils l’aiment vraiment et ils vous tourmenteront jusqu’à la fin de vos jours. Sam Raimi et Robert Tapert, il ne vont pas aux conventions (ndr : Comic-Con et consorts). Je m’y rends très souvent. J’ai dû les convaincre genre : “les mecs, vous ne vous rendez pas compte, ils me font la misère ! Il faut faire quelque chose !” On a réfléchi au format du film en termes d’économie. Sam Raimi a réalisé Spiderman (2002-2007) ou Le Monde Fantastique d’Oz (2013), on parle de budgets de centaines de millions de dollars ! Donc si on fait un nouvel Evil Dead avec lui, est-ce que c’est envisageable, 75 millions de dollars pour un Evil Dead ? Je ne pense pas. Mais on peut reprendre le personnage, créer un univers pour la télévision, et s’introduire chaque semaine dans les foyers. Ce serait plus de Ash que les fans en ont jamais rêvé. Je veux dire, on offre à ces gens un festin de Ash !”

Ça aurait fait un autre bon titre pour cette série, “The Ash-Feast”. Du Ash en veux-tu en voilà, et particulièrement dans cette deuxième saison : du Ash carbonisé, assaisonné à toutes les sauces (surtout les plus dégueulasses, et je parle pas de mayonnaise), finement tranché (sa main repousse pour mieux être découpée), revenu aux moignons et aux tripes, mariné dans des litres et des litres (et des litres) de sang… Pour mon plus grand plaisir et le vôtre j’en suis certaine, à moins d’avoir Bruce Campbell en horreur mais sérieusement, est-ce que c’est même imaginable ? Cet homme est le meilleur pote que tout le monde voudrait avoir : une répartie à toute épreuve, un humour irrévérencieux et gras comme il faut (bon d’accord, parfois un peu plus qu’il n’en faut). Il fait d’ailleurs l’objet d’une véritable “bruce-o-mania” auprès des fans (je confesse, presque sans honte, détenir moi-même un t-shirt à son effigie) et s’apprête, entre deux tournées de signatures, à sortir une troisième autobiographie, après If Chins Could Kill : Confessions of a B Movie Actor en 2001 et Make Love the Bruce Campbell Way en 2005. Vous pouvez aussi regarder son film My name is Bruce, mais je n’ai pas encore poussé le vice jusque-là. Alors qu’une suite d’Army of Darkness (Evil Dead 3, 1993) était annoncée aux fans depuis quelques années, Raimi crée la surprise au San Diego Comic-Con de 2014 en annonçant le développement d’une série télévisée, renouvelée pour une troisième saison quelques jours seulement après la diffusion du premier épisode de la saison 2. On retrouvait au début de la première saison, dans le supermarché où Army of Darkness l’avait laissé, un Ash deux fois plus âgé et pas gâté par les années. La saison 2 est l’occasion de plonger encore plus loin dans le passé du personnage éponyme (dans une Amérique bien beauf, bien blanche, bien républicaine), et de découvrir sa ville natale, où Ash n’est plus Ash Williams mais “Ashy Slashy”, le gamin psychopathe qui a décapité froidement toute sa bande d’amis au cours d’une sympathique virée dans le cabanon familial. On apprend ainsi que Cheryl – mais si, vous savez, cette brave fille violée par un arbre dans le premier Evil Dead – n’est autre que sa sœur, et son père une variante encore moins “gender studies” de Ash interprété par un Lee Majors bedonnant et grisonnant. Aux sidekicks de Ash introduits dans la saison 1 – Pablo et Kelly, pour un trio aux allures de Scooby-Gang – viennent s’ajouter une tripotée de nouveaux personnages, dont une ancienne conquête de Ash désormais mariée au shérif Emery, un crétin froussard et revanchard qui n’a jamais digéré des moqueries vieilles de trente ans. Le personnage de Ruby – interprété par Lucy Lawless, l’immémoriale Xena la guerrière – prend quant à lui autant d’ampleur que de grotesque, passant du statut d’ennemie jurée de Ash à celui de mère-ado dépassée par sa progéniture maléfique. Elle adopte d’ailleurs un style complètement improbable, à base de cheveux roses sortis d’on ne sait où et de cravates d’écolière.

Cette deuxième saison, composée de dix épisodes, se partage entre plusieurs nouveaux décors très bien exploités : la maison d’enfance de Ash (sa chambre d’adolescent et celle de sa sœur encore intactes), la petite ville étriquée d’Elk Grove (son bar white trash à souhait, son bureau de police typique – l’occasion de rendre un savoureux hommage à Assaut de John Carpenter (1976) dans l’épisode 5, le bien nommé Huis-Clos -…), un hôpital désaffecté et une morgue tout aussi glauque, qui sera le cadre d’une scène d’anthologie dans l’épisode 2 (Dans le couloir de la morgue). Cette séquence, dont je ne révèlerai pas la teneur pour ne pas gâcher, disons l’effet de surprise, atteint un niveau de crade et de génie que j’ai rarement – voire jamais – vu à la télévision. Si les geysers de sperme ou les substances type vomi en ébullition de la trilogie vous ont dégoûté, fuyez, ça ne va vraiment pas s’améliorer. La première saison suivait un arc narratif relativement cohérent avec cet imbécile de Ash qui recommence tout de même à invoquer les Deadites en lisant une formule du Necronomicon simplement pour choper une fille de trente ans de moins que lui, comme si ce satané bouquin n’avait pas déjà causé la mort de tous ses amis… L’intrigue se résume cette fois-ci à un crescendo de grand n’importe quoi : Pablo se transforme en livre vivant, Ruby décide de trucider ses enfants démons, Ash devient Terminator (James Cameron, 1984) après un lavage de cerveau tandis que son Oldsmobile possédée joue les Christine (John Carpenter, 1983) durant tout un épisode (Conduite à risque, S02E04). Cette avalanche d’idées improbables semble découler tout droit, sans filtre aucun, des brainstormings délirants de scénaristes complètement tarés. C’est une saison à regarder à plusieurs, rien que pour le plaisir de s’exclamer toutes les dix minutes “Mais non ! Ils ont pas osé !”. De la scato à la nécrophilie, spoiler alert : tout y passe. Et ça fait du bien, une série qui ne se prend pas au sérieux, et qui ne cherche pas seulement à se donner des airs prétentieux d’iconoclaste du petit écran. Elle ne se refuse rien, dans un jusqu’au-boutisme compulsif et décomplexé, sans pour autant se foutre de notre gueule. Campbell et les autres le répètent, c’est une série dédiée aux fans, de la première ou de la dernière heure, peu importe, la communauté Evil Dead ne fait pas la fine bouche. Ces fans, la bande d’Ash VS. Evil Dead les connaît bien, et tout semble orchestré pour répondre au mieux à leurs attentes. De l’ultra-référenciation à la mise en scène hyperactive, tous les ingrédients qui ont fait l’originalité de la saga sont au rendez-vous, à la fois dans un remarquable travail d’imitation et une capacité d’innovation assez folle. Les réalisateurs sont formés à la patte de Raimi, qui supervise les épisodes et dont le style reconnaissable est intact – montage épileptique, zooms inattendus, mouvements panoramiques violents, travellings aériens effrénés pour figurer l’arrivée des démons – mais ne se privent pas d’exploiter leur propre inventivité et font preuve d’un sens de la débrouille fidèle à l’esprit des débuts, en accrochant par exemple une caméra au bout d’une perche pour réussir un plan à 360°. Ils n’hésitent pas non plus, par des clins d’œil méta, à se moquer des topos du genre voire de la trilogie elle-même  (“Fine ! Then i’m gonna make like a tree and fuck you !” lance une Cheryl démoniaque à son frère, sans rancune).

Le format hybride de 30 minutes instaure un rythme rapide qui préserve l’intensité des films sans jamais fatiguer l’attention. On ne se lasse pas de repérer les références aux trois Evil Dead, pourtant très nombreuses – les séquences reprises à l’identique, comme l’ampoule qui se remplit de sang, citation elle-même d’un court métrage des Three Stooges, A plumbing We Will Go (1940), sont souvent doublées d’un twist qui en change le sens – et les hommages à d’autres films cultes, voire aux séries actuelles. Cette intertextualité très présente mais jamais plombante est à l’image du groupe d’amis cinéphiles et talentueux qui bidouilla jadis le premier Evil Dead, avec les coups de mains des familles et des voisins, et qui reviennent à l’occasion donner leur avis – la séquence de la morgue est une idée d’Ivan Raimi – ou jouer les guest stars,comme Ted Raimi qui incarne un vieux pote de Ash, et si leur complicité crève l’écran c’est parce qu’elle est bien réelle en dehors. Il est jouissif aussi, de découvrir de nouvelles variations sur un autre motif emblématique d’Evil Dead, les jeux de dédoublement de Ash, qui sont à chaque fois l’occasion d’exploiter au maximum le potentiel acrobatique de Bruce Campbell. Car oui, en plus d’être un mec super cool, hilarant, intelligent, humble (et en cela pas si éloigné de son personnage, puisqu’il est resté un gars simple de l’Oregon, peu friand des paillettes hollywoodiennes), Campbell dispose d’une gestuelle qui ne ressemble à aucune autre : il en faut pour tenir un film à lui seul, rappelons qu’il est tout de même l’unique personnage d’Evil Dead 2 (1987), étant donné que Linda crève au bout de dix minutes. Il se sert de son corps comme un terrain d’expérimentations, ne se refuse aucune torture, dans un perfectionnisme presque masochiste, et mérite pour cela une digne place au rang des plus grands interprètes du burlesque et du comique slapstick, de Buster Keaton aux Three Stooges. Agressé par sa propre main dans Evil Dead 2, assailli par une armée de minis Ash dans le 3, il pousse encore plus loin les limites de son propre corps dans cette saison et se retrouve successivement confronté à son ombre maléfique, à un sosie démoniaque puis à une monstrueuse marionnette à son effigie. En interview, notre cinquantenaire aguerri évoque tout de même la nécessité d’une rééducation physique entre chaque saison, c’est dire.

Même si, comme l’expliquait Bruce Campbell en début d’article, on est ici loin du budget d’un blockbuster – pour rester fidèle à l’esprit des films – cette nouvelle saison n’a de cesse de perfectionner sa maîtrise du gore, en privilégiant la texture old-school des practical effects avant le recours au numérique : je n’ose vous préciser le nombre de litres de faux sang qu’ont nécessité les dix épisodes… Un indice : les acteurs confessent passer plus de temps trempés que secs sur le tournage. Les effets numériques ne sont pas dégueux pour autant et offrent à cette saison des moments d’effroi plutôt réussis tels que les affreux enfants-démons de Ruby. Un détour par le contenu bonus du site de la chaîne Starz permet de saisir l’étendue des efforts déployés par l’équipe des effets spéciaux. Du gore très bien fichu donc, mais aussi des répliques débilo-cultes à la pelle : “Je vais être comme un ninja qui perd sa virginité : discret et rapide”, sans oublier une bonne dose de satire. Rien n’échappe au hachoir d’Ash VS Evil Dead, de la politique de Trump – “Make America Groovy Again” : le teasing de la saison 2, sous forme de spots de campagne #Ash4President, vaut vraiment le détour – au politiquement correct – le casting “diversité” – un latino, des filles badass – n’est pas épargné par les piques savoureuses d’un Ash qui transforme ses restes de white trash réac en running gags anti-sexistes et anti-racistes du genre : “Pablo, first round of ‘ritas is on you because…” / Pablo : ”Oh! Because it’s the drink of my people !” / Ash : “That’s a little racist, don’t you think?”. Et ça commence dès le premier épisode, au début duquel Ash, Pablo et Kelly se payent des vacances bien méritées à Jacksonville – sorte d’Eldorado parodique de rêve américain – jusqu’à ce qu’une fête de spring break vire au massacre de Deadites, dans un ballet de membres déchiquetés où les douches de bière se transforment en giclées de sang.

En résumé, vous l’aurez compris, cette saison 2 est encore plus cartoonesque que la précédente et offre une nouvelle fournée jubilatoire de dialogues et séquences appelés à devenir cultes : une saison plus drôle, plus folle, mais aussi plus critique, qui n’emploie jamais l’argument du genre comme prétexte à se retrancher de tout enjeu réel. La série peut-elle se targuer d’être à la hauteur de cette “ultimate experience in grueling horror” que représente la trilogie Evil Dead ? Elle n’a en tout cas franchement pas à rougir de la comparaison. Groovy.


A propos de Bortolotti Marie

Marie aime autant "L'antre de la folie" que "Les demoiselles de Rochefort" et a configuré Netflix en page d'accueil de son navigateur. Sa consommation de café et de donuts dépasse celle de Dale Cooper et Dexter Morgan réunis. Si elle faisait partie d'un groupe de rock, il s'appellerait Voodoo Bullshit. Spécialiste série au sein de la rédaction, Marie est aussi incollable sur Ghibli et John Carpenter.


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