Rocco


Figure mythique de la pornographie et peut-être même de la culture populaire au sens large, Rocco Siffredi est l’objet d’un documentaire, sobrement intitulé Rocco, et à la richesse, aussi bien formelle que thématique assez insoupçonnée, il faut bien le dire.

ob_e72a38_rocco-bed-credit-emmanuel-guionetLa sueur

Il n’est pas rare qu’une personnalité du monde de la pornographie perce les barrières et soit visible dans les magazines, chaînes, médias grand public. Dès 1972 et la sortie du séminal (pour un porno, reconnaissez que le terme est bien choisi) Gorge Profonde (Gerard Damiano), véritable phénomène de société, sa « vedette », Linda Lovelace avait été projetée sur le devant de la scène, comme Brigitte Lahaie chez nous plus tard, Clara Morgane, Katsuni…Pour ces deux dernières, la liberté d’émissions comme Tout le monde en parle de Thierry Ardisson a largement contribué à bâtir une notoriété à des actrices et acteurs et leur permettre, pour la plupart, de capitaliser et de se reconvertir après le X, pour celles et ceux qui l’ont quitté. Rocco Siffredi est un cas à part. A l’image du célèbre John Holmes qui a inspiré les films Boogie Nights (Paul Thomas Anderson, 1997) et Wonderland (James Cox, 2003), Rocco Siffredi a la célébrité avant tout d’une bête de foire, devant lever entre ses jambes 26 centimètres de phallus soit à peu près 14 fois plus que votre serviteur, même au top de sa forme. Bénéficiant d’un tel avantage, Siffredi est devenu une star mondiale, de la pornographie d’abord mais des médias généraux par la suite, attiré par la particularité physique d’un bonhomme ob_59f697_rocco-alban-casting-credit-emmanuel-guqui a toujours, dans ses interviews, montré un visage lucide quant à ses démons, de l’humour, et une intelligence indéniable : Catherine Breillat ne s’y est pas trompé en lui donnant deux rôles bien composés par l’italien dans le cinéma traditionnel, dans Romance tout d’abord, puis dans le clinique et troublant Anatomie de l’enfer. Les réalisateurs français Thierry Demaizière et Alban Teurlai eux, ont eu la riche idée de suivre, avec leur caméra, Rocco dans les deux dernières années de sa carrière d’acteur X et de nous livrer un documentaire au titre éponyme.

Dès le premier plan, le visuel de Rocco frappe. Caméra à l’épaule, lumière contrastée, blanche, jeu arty sur la profondeur de champ, axes de caméra variés, Demaizière et Teurlai ne laissent aucun doute quant à leur intention de livrer un documentaire de cinéma à la forme très fictionnelle et esthétique. La véracité y perd un peu (on a même parfois l’impression que certaines scènes sont vraiment répétées, poussées ou pour ne pas dire écrites par ces concepteurs) mais l’immersion et dans l’univers du film, l’industrie de la pornographie, et dans la psyché et le quotidien de son objet, est totale. Sur des séquences, aux quatre coins du monde (France, Hongrie, États-Unis, Italie…) suivant les projets et la vie de Rocco Siffredi et de son acolyte Gabriele (son cousin), la personnalité de Siffredi est d’abord dévoilée à la fois par une voix-off de ce dernier, racontant des souvenirs dont son lien indéfectible avec sa mère décédée (il est italien, on le rappelle), et par de ponctuelles confessions face caméra. Il apparaît comme un homme aussi meurtri (il s’effondre devant la caméra deux fois) qu’heureux qui ne fait aucune complaisance pour se nommer comme il l’est : un addict maladif au sexe que l’addiction a mené à des scènes déplorables, des blessures, dans lesquelles il aurait pu tout perdre, de sa famille (oui, oui, il est marié et a deux gosses) à sa vie. Nœud de l’intrigue si je puis dire, le choix d’arrêter sa carrière ou non est la colonne vertébrale duob_566973_rocco-kelly-credit-emmanuel-guionet documentaire, une retraite justifiée non pas par une fatigue mais par déférence envers ses fils, montrant de manière assez touchante que si Rocco a pu assumer ses démons et son métier face au monde entier, il n’est pas forcément prêt à les faire supporter à ses enfants…

L’itinéraire de l’homme aurait un intérêt en soi, mais les réalisateurs ne s’y limitent pas. Autant qu’un long-métrage sur Rocco Siffredi, peut-être même plus, Rocco est un film sur l’industrie pornographique, qui plus que des informations wikipediesques, nous transmet avec précision que le X aujourd’hui. La part belle est laissée aux filles qui vont tourner avec Rocco ou sur un des films qu’il réalise, tantôt pour montrer les préparatifs volontiers à la bonne franquette (équipes de tournage réduites, « scénarios » pensés à la va-vite le jour même ou presque), tantôt pour épouser le point du vue des actrices, entre celles qui exprime leur vision de la sexualité, celles qui ne semblent jamais quitter leur rôle de séduction et paraissent déjà tourner avant que la caméra ne fonctionne, ou l’autre muette, qui regarde une scène sur le plateau avant qu’elle ne tourne et avec une certaine appréhension du style « Ouah, ils vont me faire ça à moi aussi ?… ». De fait, Rocco livre sans fard l’évolution de la pornographie, toujours plus extrême depuis les apparitions jointes du gonzo et d’Internet. Si la scène anale était le summum de la transgression dans un porno des 70’s, la moindre des actrices qui veut faire carrière en 2016 doit au minimum accepter de se faire claquer la tronche en ayant trois pénis partout où elle le peut (j’exagère peut-être un peu). Ça, le documentaire le montre avec intelligence, parvenant à ne pas montrer précisément mais à ne rien nous épargner pour autant, ce grâce à une focalisation constante sur l’aspect physique. La caméra approche la sueur, les larmes, le sperme de près, avec une netteté remarquable et l’effort, le repoussage des limites de la sexualité sur laquelle Rocco Siffredi a construit sa vie nous sont sensoriellement traduits, admirablement. Il n’était bien pas un hasard que le premier plan où le nom de Rocco apparaît, soit un plan de l’acteur de dos, ruisselant…

 


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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