Black Moon


Attention : film ovni. En 1975, le réalisateur français Louis Malle, connu pour ses films qui font la part belle au réalisme, effectue un pas de côté en s’aventurant dans le territoire hostile de la fantasy. Film méconnu et éreinté par la critique lors de sa sortie, Black Moon met en scène un univers étrange à l’onirisme cauchemardesque où les licornes parlent et où les hommes chassent les femmes…

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Louis au pays des merveilles

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De l’aveu même du réalisateur Louis Malle, Black Moon ne peut s’apprécier en y cherchant la trace d’une intrigue narrative logique. Les scènes s’enchaînent sans liens apparents de causalité, donnant ainsi sa forme à un film qui semble plus avoir été rêvé que réalisé. Celui-ci met en scène une jeune femme qui tente de s’enfuir d’un monde apocalyptique dans lequel les hommes chassent toutes les femmes. Commence alors pour elle un périple à la lisière du réel, qui la conduira jusqu’à une vieille maison gardée par une sorcière. Si l’histoire de Black Moon semble être tirée d’un conte, c’est bien parce que Louis Malle assume cet héritage, égrainant ça et là des références aux légendes européennes. Par l’omniprésence d’un bestiaire exotique et par l’absurdité des situations que doit traverser la jeune héroïne, le film se donne à voir comme une relecture très personnelle d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll. Toutefois, c’en est fini de l’Angleterre victorienne : Black Moon se déroule dans un futur proche qui semble être au bord de l’implosion. De la même manière que Providence (Alain Resnais, 1977) mettra en scène un conflit imaginaire visant à liquider les personnages âgés, celui du film de Louis Malle fait s’affronter les hommes et les femmes. Lilly, la jeune héroïne du film, s’enfuit comme Alice à la poursuite d’un animal chimérique (un lapin qui parle chez Carroll, une licorne chez Malle) et finit par arriver dans un monde où les lois logiques n’ont plus cours.

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Néanmoins, Louis Malle dépasse la simple transposition iconique des aventures d’Alice pour en faire une œuvre plus sombre, qui accorde une place importante à la sexualité. Lilly, à qui Cathryn Harrison prête son visage juvénile et son corps mûr, est une jeune fille en fleur qui découvre petit à petit son pouvoir de séduction. Dans la même veine que Valérie au pays des merveilles (Jaromil Jireš, 1970), autre adaptation libre et libertaire des aventures d’Alice, le parcours de Lilly sera guidé par la découverte de sa sexualité. Louis Malle privilégie toutefois les paraboles aux images trop explicites, à l’image de ce plan d’un serpent qui glisse langoureusement contre la jambe de Lilly lors de la dernière partie du film. Le thème de la sexualité, omniprésent dans le film, est constamment mis en relation avec celui de la bestialité. Les corps ne sont pas seulement érotisés, mais rendus à leur dimension bestiale la plus primaire. Rares sont les films de fictions qui peuvent prétendre à mettre en scène plus d’animaux que d’êtres humains : le bestiaire de Black Moon fait se rencontrer animaux imaginaires et bêtes exotiques. En créant une atmosphère d’inquiétante étrangeté, Louis Malle nous donne à voir un monde en léger décalage par rapport à notre réel.

Un tel environnement ne serait rien sans une lumière qui le magnifie : on peut saluer la superbe photographie de Sven Nykvist (le directeur de la photographie attitré de Bergman, Tarkovsky et Woody Allen, excusez du peu) qui donne au cadre bucolique une ambiance de conte de fées cauchemardesque. À cela se rajoute un très beau travail sur la bande-son, où les bruitages inquiétants se mêlent aux mélodies syncopées. Malgré une atmosphère originale et une première demi-heure particulièrement réussie, le film s’enlise rapidement dans la répétition. On regrette que le monde onirique du film ne nous soit donné à voir qu’en aperçu, enterrant avec lui de belles idées qui ne sont qu’esquissées lors de la première partie du film. L’écriture automatique utilisée par Louis Malle pour établir le scénario du film y est sans doute pour beaucoup, bien que l’on puisse déplorer son utilisation trop systématique dans un film qui finit par lasser son spectateur. En dépit de son côté énervant, le film de Louis Malle est une œuvre profondément originale qui n’est pas sans provoquer une expérience cinématographique des plus déroutantes, pour peu qu’on accepte de s’y perdre. Si Black Moon n’est certainement pas le meilleur film de son réalisateur (on ne saurait que trop vous conseiller les magnifiques Ascenseur pour l’échafaud et Lacombe Lucien), Louis Malle renoue pourtant avec la poésie fantastique qui a fait la beauté des films de Cocteau et de Franju, le tout saupoudré de surréalisme à la André Breton. Un fantastique emprunt de mélancolie dont on ne peut que déplorer la totale disparition des productions françaises contemporaines.


A propos de Alban Couteau

Biberonné à Evil Dead depuis sa plus tendre enfance, Alban manie la plume comme certains la tronçonneuse. Capable de convoquer Dario Argento et Alain Resnais dans la même phrase, il entend bien montrer que la beauté cinématographique peut s’exprimer par l’hémoglobine et le mauvais gout. A bon entendeur !

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