Le Scorpion Rouge


Il n’est de date plus importante que le 21 avril 1989 dans l’histoire du développement de notre civilisation, puisque ce jour-là paraissait la Game Boy au Japon bouleversant alors une industrie de la console portable jusque là dans l’impasse financière. Ce même jour et par delà l’Océan Pacifique, Joseph Zito s’emmerdait avec les mots croisés du journal en attendant les premiers retours sur son dernier film, Le Scorpion Rouge qui débarquait alors dans les salles américaines. « Pff », soupirait-il, « si seulement on pouvait passer le temps avec un genre de dispositif électronique pour changer de ces jeux intellectuels, genre des jeux de guerre et tout ». Enfin probablement, allez savoir.

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L’Afrique c’est chic

…Enfin ce n’est probablement pas comme ça que les Soviétiques de 1985 l’entendent, eux qui aimeraient bien que les peuplades locales les laissent installer leurs vilains héliports. Et comme tout ce petit monde commence à organiser des mouvements rebelles ouvertement opposés au Parti Communiste, ils commencent à organiser des petites réunions entre vieux pépés pour envoyer des commandos aux quatre coins du continent pour faire le sale boulot. Dans le cas qui nous intéresse, c’est à Nikolai Rachenko (Dolph Lundgren) qu’ils font appel pour éliminer Ango Sundata, un leader anti-communiste compromettant. Notre Спецназ d’élite (spetsnaz pour les deux du fond qui n’ont pas fait russe LV2) est donc envoyé « en Afrique » dans un pays imaginaire, le Mombaka (un équivalent à la République Populaire d’Angola, en gros) où il devra devenir ami avec Kallunda Kitash, lui-même fidèle à Sundata. Rien de plus facile pour ce genre de soldats sur-entrainés, notre camarade se rince à la vodka, débarque saoul comme un cochon dans la taverne du village, rote un bon coup pour attirer l’attention et déclenche une bagarre pour se faire enfermer. Astucieux. En cellule, il fait la rencontre de Kallunda (Al White) avec qui il « sympathise » et de Dewey Ferguson, un journaliste américain (Emmet Walsh) avec qui il… Antipathise. Bref, nos trois zigotos se font la malle avec du Little Richard en fond sonore et parviennent au village des rebelles. Les bonnes intentions et la mine enjouée de notre spetsnaz ne suffisent pas pour rassurer ses nouveaux hôtes qui, rebelotte, le rebalancent en taule, sa cible n’étant manifestement pas aussi crédule que prévu. Qu’à cela ne tienne, au cinéma il n’est de prison dont on ne s’échappe pas et notre éphèbe qui essaye de se débarrasser des doutes quand au bien-fondé de sa mission s’apprête justement à l’accomplir. Sauf que non, haha pauvres fous, la vie ce n’est pas de la пирог, ce serait trop facile. vlcsnap-2016-07-24-02h46m35s188Notre leader rebelle avait prévu le coup et renvoie Dolphy à la case départ. Enfin au milieu du désert, plus précisément. Le but étant d’envoyer un message aux soviétiques « écoutez, on en a ras-le-cul de vos bidasses alors décampez du continent fissa », cela ne manque pas et Nikolai est récupéré dans un piètre état. Après une séance acupuncture, il s’échappe et tombe d’épuisement dans le désert où il se fait piquer par un scorpion (oui, comme dans le titre, on ne peut rien vous cacher à vous).

Pendant ce temps, les Soviétiques passent à l’action, détruisent villages et populations, l’insurrection menée par Sundata et ses hommes en prend un sacré coup. Plus loin, Nikolai est sauvé par un San (un « bushman » plus vulgairement et tel que dit dans le film), un individu appartenant aux populations vivant dans les déserts d’Afrique Australe. Celui-ci l’aidera à expulser le poison, reprendre du poil de la bête, apprendre à chasser et à se déplacer en tongs. Avec un peu d’habitude cinématographique, vous vous doutez un peu de la suite des événements : notre nouveau Nikolai revient parmi ceux qu’il a dû trahir, fait amende honorable en leur filant un coup de main pour reprendre le dessus lors de l’assaut de la base soviétique et tous ensemble font tout péter et butent les méchants rouges. Le Scorpion Rouge n’a pas inventé ni l’eau chaude ni la poudre et de l’aveu même de Joseph Zito ou Dolph Lundgren, il ne prétendrait à rien d’autre que divertir son public. Toutefois son caractère de film de guerre localisé en Afrique instaure un contexte un peu moins commun que ce qu’il suffisait de faire à l’époque. Le jeu de tensions existantes entre les détachements soviétiques, les cubains, les populations africaines et inévitablement toute forme de présence américaine sont représentés (quitte à ce que tout soit parfois un peu appuyé pour simplifier la caractérisation des personnages). A ce titre, Le Scorpion Rouge fait d’ailleurs vite de descendre Kalunda à la 3ème marche du podium des protagonistes (alors qu’il était supposé devenir l’ami de Nikolai) pour mettre en avant la dualité Nikolai/Ferguson, chacun issu des deux grands ennemis de cette époque : d’un côté l’Amérique et de l’autre côté l’URSS. Nikolai lui reste impassible face à la hargne du journaliste dont l’essentiel de ses lignes de dialogues se résume à « Sale rouge, je t’emmerde » et qui par moment remet sur le tapis la sacro-saint premier amendement (la liberté de religion, d’expression et de la presse) que les Soviétiques seraient supposé leur envier. Pour autant, le film ne s’attarde pas en profondeur sur les différentes oppositions idéologiques mais il opère un traitement intéressant de la rivalité de Nikolai et Ferguson qui ne sombre pas dans le pro-américanisme habituel.

vlcsnap-2016-07-24-02h41m34s406Mais le sujet du film reste principalement la notion de contrôle d’un soldat par ses supérieurs (on en reparlera dans un futur dossier sur Metal Gear Solid) qui jalonne l’évolution de Nikolai au long de l’intrigue. Le film s’ouvre sur une phase de briefing durant laquelle ses supérieurs lui ordonnent d’exécuter une cible représentant l’opposition, une fois que le soldat se rend compte que la situation est plus compliquée que dans le dossier initial, rappelé par son sens du devoir il cherche à accomplir sa mission mais échoue avant qu’un événement symbolique (la renaissance dans le désert) lui permette de choisir quel camp rejoindre. Dès son arrivée au village du Mombaka, le journaliste ainsi que quelques habitants s’en prennent à lui en le confrontant aux horreurs commises par les Soviétiques et c’est dès cet instant que le film montre ses premiers instants de doute. Par ailleurs, la caractérisation du personnage de Dolph Lundgren, un spetznaz qui n’a pas été entraîné pour témoigner le moindre signe externe d’émotion ou d’empathie est intéressante puisqu’elle permet de traduire son mutisme en réflexion interne sur sa place dans ce conflit. D’ailleurs, il ne s’exprimera ouvertement à ce sujet qu’à la toute fin du film dans un face à face avec son supérieur, le Général Vortek qui lui dit « Je vous ai envoyé en mission… Pour aider un peuple opprimé » ce à quoi il répondra « Je ne savais pas qui était l’oppresseur. » Le film symbolise l’éveil de Nikolai à deux reprises : la première fois quand il se fait tej par Sundata et que les Soviétiques le récupèrent pour le torturer (la résistance à cette épreuve indique sa détermination à ne plus rejoindre son ancien camp) et la seconde lorsqu’il est sauvé dans le désert et renaît sous l’identité du Scorpion Rouge après un entraînement dans le désert (connexion avec ce qu’il va choisir de protéger).

Aujourd’hui la portée d’un tel film est dérisoire mais le plaisir recherché lorsque l’équipe de production a choisi d’en faire un film de guerre sans prise de tête, lui, reste intact. Si en plus vous étiez du genre à jouer Jack dans Tekken 2, vous devriez rapidement vous attacher au personnage de Nikolai Rochenko. Carlotta a ressorti le film dans une édition DVD honorable un peu avare en bonus (et devant la rubrique trivia de l’IMBD, on regrette l’absence d’un petit making-of) mais généreuse dans sa qualité d’image. En tout cas, à l’heure où l’on apprend la mort définitive du magnétoscope, cette collection Midnight Collection qui a pour but de resortir des classiques de vidéo-club est plus que jamais nécessaire.


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu

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