Le Bon Gros Géant 6


Tonton Spielberg revient aux rêves éveillés de grands enfants avec une adaptation attendue du conte de Roald Dahl, Le Bon Gros Géant.

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Le Bon Gros Spielberg

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La filmographie de Steven Spielberg se scinde en deux sections, l’une dans laquelle il explore la grande histoire de l’Amérique, des films résolument plus adultes et sombres – les derniers en date étant Lincoln (2012) et le très beau Le Pont des Espions (2015) – et l’autre qui explore quant à elle la part la plus enfantine du réalisateur, qui s’est souvent dit inspiré par la magie du Peter Pan (1953) de Walt Disney et par le message qu’il véhicule. Cela faisait bien longtemps que Steven Spielberg n’était pas revenu de ce côté de sa filmographie, où se côtoient ses grandes thématiques que sont l’émerveillement enfantin et les parents absents. Avec Le Bon Gros Géant, il s’agit donc pour le plus grand metteur en scène américain contemporain – c’est dit – de revenir vers la part la plus enfantine et merveilleuse de son cinéma. Adapté d’un livre du même nom écrit en 1982 et que l’on doit à Roald Dahl, Le Bon Gros Géant est l’une des œuvres les plus populaires de son auteur, mais étonnamment l’une des seules à n’avoir jamais connu d’adaptation cinématographique, tout juste une adaptation télévisuelle en animation réalisée par Brian Cosgrove en 1989.  On connaît, au cinéma, surtout les adaptations de son Charlie et la Chocolaterie, la dernière en date par Tim Burton en 2005, mais aussi le génial Matilda de Danny DeVito (1996) ou le plus récent Fantastic Mr. Fox de Wes Anderson (2009). Attaché au livre depuis des années parce qu’il le lisait à son jeune fils au moment de sa première parution, Steven Spielberg a longtemps attendu avant de pouvoir mettre en scène ce film. Initialement développé chez Paramount au début des années 1990 avec Robin Williams dans le rôle-titre, le tournage a été sans cesse repoussé, Spielberg n’étant pas satisfait de l’avancée des effets numériques nécessaires pour donner vie au fameux géant. Finalement tombé dans l’escarcelle des studios Disney – avec qui Spielberg signe sa première véritable collaboration même si Cheval de Guerre (2011) était en partie produit par Touchstone Pictures qui appartient à Disney – le film ne pût se faire avec Robin Williams du fait de sa tragique disparition mais conserve son équipe de production menée par Kathleen Kennedy – devenue une salariée de la firme aux grandes oreilles depuis le rachat de LucasFilm en 2012 – ainsi qu’une dreamteam de collaborateurs réunis par Steven Spielberg : son chef opérateur fétiche Janusz Kaminski, John Williams compositeur attitré de l’oeuvre du réalisateur, le chef décorateur Rick Carter qu’on ne présente plus et Joe Letteri directeur des effets spéciaux du Seigneur des Anneaux (Peter Jackson, 2001-2003) et ses équipes de Weta Digital.

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Une nuit, alors qu’elle rêve à un ailleurs, la jeune Sophie, prisonnière de son orphelinat, surprend un géant par la fenêtre et se fait enlever par celui-ci. Embarquée alors au Pays des Géants, elle fait plus ample connaissance avec son ravisseur qui se fait appeler Le Bon Gros Géant. Lui, est un petit géant de sept mètres reconnaissable par ses gigantesques oreilles et son grand nez et il est persecuté par les autres géants deux fois plus grand que lui parce qu’il n’aime pas manger de viande humaine et qu’il doit se contenter de se nourrir exclusivement de schnockombres, des énormes concombres peu ragoutants. Ensemble, ils vont se lier d’amitié et devoir se défaire de la menace des autres géants, qui souhaitent faire de Sophie et des autres enfants humains leur quatre heures. Fable avant-gardiste puisque résolument antispéciste et pro-végétarienne, l’oeuvre de Roald Dahl convient bien au cinéma de Spielberg. S’y recoupe en effet quelques thématiques communes : l’enfant rêveur en manque d’amour filial – la jeune Sophie rejoint ainsi la longue liste des jeunes héros de Spielberg devant faire face à un parent absent – mais aussi ce fameux enchevêtrement du merveilleux avec la noirceur du monde héritage que Spielberg dit devoir à Disney, une dichotomie qui peut résumer l’ensemble de sa filmographie.

Depuis sa présentation hors compétition au Festival de Cannes, je lis ça et là qu’il s’agirait du plus mauvais Spielberg depuis Hook, ou la revanche du Capitaine Crochet (1991) mais comme personnellement je place ce dernier dans la longue liste des films des années 90 qui ont façonnés mon enfance et l’adulte que je suis devenu, je mettais assez peu de crédit sur ses bruits de couloirs. Qu’on se le dise, le plus mauvais des Spielberg restera toujours largement au dessus du game du reste de la production. Car oui, il y a toujours dans un film de Steven Spielberg, qu’il s’agisse d’un film majeur ou mineur, des éclairs de mise en scène qui impriment l’esprit et la rétine à jamais. Qu’il s’agisse d’un verre qui tremble en gros plan dans Jurassic Park (1993), d’une vitre qui se brise au dessus d’un ravin dans Le Monde Perdu (1997), d’un plan-séquence circulaire le temps d’un repas imaginaire dans Hook (1991), d’une course poursuite démente dans Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (2011), de plans-séquences virevoltants mais millimétrés dans Munich (2005) ou d’une séquence de trêve entre deux armées pour libérer un cheval prisonnier des barbelés dans Cheval de Guerre (2011)… Ce Bon Gros Géant est certes loin du niveau de E.T L’Extraterrestre (1982) – avec qui il partage par ailleurs la même scénariste, Melissa Matheson, récemment décédée qui avait aussi écrit un autre grand film des années 90 qu’est L’Indien du placard (Frank Oz, 1995), souvenirs souvenirs – mais n’est pas non plus avare en moments de bravoure cinématographique : qu’il s’agisse de cette séquence magnifique au pays des rêves ou du début, absolument somptueux, durant lequel le Géant qui emporte Sophie (géniale Ruby Barnhill) parvient à échapper à l’attention des humains dans la nuit londonienne grâce à la maîtrise subtile de l’art du camouflage. Autre séquence qui restera dans les mémoires, plus cocasse, celle où le Géant et sa jeune acolyte se retrouvent à déjeuner en tête à tête avec la Queen Elizabeth en plein Buckingham Palace. Dans cette séquence à l’humour régressive, où l’on rit à gorge déployée d’un concert de pets, Steven Spielberg s’autorise même à aller plus loin que Roald Dahl – pourtant reconnu pour son humour grinçant sans politiquement correct – en faisant péter la reine d’Angleterre !

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L’un des arguments de jugement principal concerne bien entendu l’ambition visuelle du long-métrage, puisque comme dit précédemment le réalisateur a voulu attendre d’avoir des procédés techniques suffisamment évolués pour lancer la production du film. Ici, Weta a mis au point un procédé mélangeant prises de vues réelles et technique de performance capture. Une méthode déjà largement expérimentée avec Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (2011) et la trilogie du Hobbit (Peter Jackson, 2012-2014) permettant aux réalisateurs de cadrer directement sur le plateau des comédiens dans leurs combinaisons de performance capture et de visionner en temps réel les créatures numériques ainsi créées dans leurs environnements numériques. Disons le tout de go, visuellement, le film est une sacré déception et accuse même un sacré retour en arrière, on pense davantage au malheureux Le Drôle de Noël de Scrooge (Robert Zemeckis, 2009) qu’à la beauté et la subtilité des performances captures du Gollum du Hobbit : Un voyage inattendu (Peter Jackson, 2012) ou des singes de La Planète des Singes : Les Origines (Ruppert Wyatt, 2011). Même dur constat autour des incrustations de la jeune héroïne dans ces décors numériques aux couleurs criardes qui rappellent le pire des mondes numériques du Disney de ces dernières années, de Maléfique (Robert Stromberg, 2014) à Alice au Pays des Merveilles (Tim Burton, 2010) en passant par Le Monde Fantastique d’Oz (Sam Raimi, 2013). Malgré quelques éclairs d’émotion où l’on reconnaît bien le jeu du génial Mark Rylance – déjà vu chez Spielberg dans son précédent film, Le Pont des Espions pour lequel il remporta d’ailleurs un Oscar du Meilleur Second Rôle – la direction artistique du film n’est donc clairement pas son point fort.

De films en films, de moins bons en meilleurs, force est de constater que Spielberg se constitue l’une des filmographies les plus solides du cinéma contemporain. S’il est bien sûr considéré par beaucoup comme l’un des cinéastes américains les plus importants de sa génération, seule sa mort que l’on souhaite la plus tardive possible permettra véritablement de se rendre compte de l’empreinte qu’il est en train de laisser sur l’histoire du cinéma. Oscillant entre les drames historiques et les contes pour enfant, la filmographie du bonhomme conserve une cohérence fascinante qui fait, de lui, sans nul doute, l’un des artistes les plus importants des vingtième et vingt et unième siècle.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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