Dans l’élan de ses nouveautés sablonneuses faisant la part belle aux cowboys et autres colts sifflants dans la plaine, l’éditeur Sidonis ressort en DVD un excellent western signé George Sherman, et au titre vraiment merdique en français : La vengeance de l’indien (1956). Critique de ce joyau.
Alter Ego
Tel John Wayne monolithique même quand il a un beau rôle sur le papier, le western a de quoi rebuter le public généraliste non-acquis à sa cause. D’une image suante, testostéronée, cavalière et même farouchement patriote pour beaucoup d’exemples outre-Atlantique, prendre le genre par ses clichés est le meilleur moyen de s’en dégoûter autant que j’ai pu le faire devant trop de grand classiques de l’Âge d’or hollywoodien. Or ce qui constitue le genre, ces situations et rapports humains qui émergent de l’époque et de la sècheresse de son dispositif (bien souvent, c’est quand même des pauvres connards puants et des putes perdus dans le désert…En simplifiant un peu hein) accouche parfois d’œuvres au sens le plus large et le plus noble du terme. Chefs-d’œuvre absolus ou petits bijoux, ils dépassent leur carcan pour délivrer quelque chose qui peut atteindre n’importe quel spectateur, quel que soit son espace-temps, un peu comme la tragédie grecque, mais avec plus de whisky. Si La vengeance de l’indien, que Sidonis a la brillante idée de rééditer dans une superbe copie, n’est pas une claque monumentale ayant fait date dans l’histoire du cinéma, il est néanmoins un des meilleurs westerns qu’il ait été donné de voir à votre serviteur et, paraît-il, tout autant dans la filmographie de son inégal réalisateur George Sherman.
Frank Madden (Guy Madison) arrive dans une ville du Far West où il vient d’acquérir une parcelle de terrain. Solitaire et cherchant avant tout la tranquillité à l’abri de toutes les querelles, il ferme les yeux sur la persécution, aussi bien sociale que juridique (le film s’ouvre sur une scène de tribunal où sont acquittés des assassins d’Amérindiens) que subissent ce qu’on appelle connement les Indiens, mais que je nommerai plus justement durant tout l’article « Amérindiens ». Trois frères, caïds de la ville en opposition à un shérif plus ouvert et fidèle à la justice, sont les boute-en-train de la ségrégation, n’hésitant pas à piller, violenter, organiser des petits pogroms à l’ancienne en toute impunité, sous les yeux d’une loi qui leur donne raison. Madden, comme vous pouvez vous en douter, va cependant, malgré lui et pour des raisons aussi publiques que personnelles se retrouver au cœur des tensions raciales puisque c’est bien de cela qu’il s’agit…
Est tiré de ce pitch (lui-même adaptation d’un roman de Arthur Gordon) un excellent scénario déployant, sans l’esbroufe symbolique qu’on pourrait redouter, la somme d’ambiguïtés qui régit le rapport à cet autre qu’est l’étranger : dans les trois frères qui sont des persécuteurs nés, l’un est néanmoins amoureux d’une Amérindienne, avec laquelle le lien sentimental s’entre-même avec un lien colonial ; une ardente défenseure des Amérindiens se sent déshonorée lorsqu’elle pense que l’homme qu’elle aime en secret aurait une liaison avec une des leurs : ou encore cette foule qui passe d’une victime l’autre avec tellement de versatilité lorsque s’agitent le drapeau de la peur ou de la vengeance…En 1h17 appuyés par une réalisation sans faille et traversée de vraies lueurs (voir l’utilisation parcimonieuse des plongées et des travellings), Reprisal (le titre anglais) livre avec juste la finesse qu’il faut un précipité de la crise sociale et du conflit communautaire, ô combien actuelle.
Les deux bonii du DVD reviennent sur cette lecture sociale avec la pertinence que l’on connaît à leurs deux intervenants. Le cinéaste Bertrand Tavernier, amoureux du cinéma américain, dresse un panorama gentiment analytique de vingt minutes sur plusieurs aspects du film (les choix scénaristiques, George Sherman, le jeu des comédiens, la musique..), quand Patrick Brion, auteur d’un merveilleux livre-bible sur Joseph L. Mankiewicz qui est à quelques centimètres de mon lit (en tout bien tout honneur), y va lui aussi de ses remarques aussi pertinentes, mais plus courtes puisque sa présentation ne dure elle que cinq minutes. On regrettera l’absence d’un commentaire mettant en avant la filiation de ce western avec ceux, politiques et allégoriques, réalisés un peu plus tôt en plein maccarthysme (Le train sifflera trois fois, Fred Zinnermann, 1952) mais ne boudons pas notre plaisir, et recommandons La vengeance de l’indien à tout cinéphile qui se respecte.
MAJ du 27/07/2017
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