Matalo


Véritable curiosité, Matalo contraste avec la majorité des westerns italiens en proposant une œuvre psychédélique fortement imprégnée par la contre-culture des années 70. Bienvenue dans un Far West où les bandits sont des hippies aux cheveux longs et où le héros a troqué son six coups contre un… Boomerang. Vous reprendrez bien une taffe ?

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La Talpa

Selon la légende qui entoure Matalo, les spectateurs qui assistèrent à l’avant-première italienne du film, fous de rage, commencèrent à arracher les fauteuils de la salle avant d’être calmés par l’irruption de la police. Cette réaction, au-delà de son caractère ubuesque, révèle le fossé qui sépare cette œuvre de son contexte contemporain de réception, vraisemblablement peu enclin à subir une telle expérience cinématographique. Cette incompréhension de la part du public est-elle toutefois le signe que nous sommes face à un véritable chef-d’œuvre manifestement trop en avance sur son temps ? … Ou bien d’un nanar que les années ont fini par enterrer sous le poids de productions de bien meilleure qualité ?

12910061_253770768291438_2052605243_nLe film met pourtant en scène une histoire bien classique. Alors que Burt, un jeune truand, est sur le point d’être pendu, celui-ci est sauvé par ses compagnons d’infortune. Ils décident alors de s’installer dans une ville fantôme et d’attaquer la prochaine diligence qui s’y arrêtera. C’est sans compter sur l’arrivée d’un mystérieux étranger qui va contrecarrer leur plan… À première vue, le synopsis semble donc parfaitement ancrer le film dans le reste des productions de westerns italiens de cette époque. Il ne s’agit plus de vanter les mérites d’un héros hollywoodien épris de justice et de vérité, mais de conter les aventures d’une bande de truands en soif de gloire et d’argent. Le monde dépeint n’est plus structuré par une lutte du bien contre le mal : tout n’est plus que désillusion et nihilisme exacerbé.

Toutefois, lorsque Matalo sort en 1970, le western italien commence à s’essouffler. La fameuse « trilogie du dollar » de Sergio Leone vient d’être bouclée, entraînant avec elle la plupart des plus belles idées narratives et esthétiques du western spaghetti. Face au succès important des films de Leone, deux possibilités s’ouvrent alors pour les producteurs de western italien. D’une part, s’inspirer de la trame narrative et des effets visuels de Leone pour les insuffler dans des films qui tentent d’en recycler le dispositif (citons le très réussi Keoma de Enzo G.Castellari) et d’autre part, s’affranchir de toute filiation avec les œuvres de Leone en proposant des films radicalement différents. On le comprend, Matalo se situe dans cette deuxième catégorie, celle des films qui tentent de déconstruire leur genre initial d’appartenance en tuant le père. Soyez donc prévenus : Matalo est un objet inclassable, qui s’affranchit de toutes les règles instituées par Sergio Leone. Le film, non content de mordre la main de celui qui a nourri le western italien, risque aussi fort de mordre la vôtre.

Si le synopsis du film peut occasionner un sentiment de « déjà-vu », son traitement visuel, quant à lui, est plutôt de l’ordre du « jamais-vu », tant les trouvailles visuelles sont multipliées. Le film baigne dans une ambiance au carrefour du fantastique et du surréalisme. La dimension fantastique est pleinement exploitée dans le choix de situer la majorité de l’action du film dans une ville désertée de toute présence humaine apparente. Le réalisateur s’en donne à cœur joie pour rendre compte de l’atmosphère ténébreuse d’une ville fantôme peuplée par des ombres. Balançoire qui bouge toute seule, volet qui claque, ombres mystérieuses : rien ne manque pour donner à cet anti-western l’allure d’un film d’horreur de seconde zone. L’atmosphère surréaliste du film ne provient cette fois plus de sa mise en scène, mais du montage qui semble plutôt relever 12887546_253770764958105_2119273666_odu collage dadaïste. Faux-raccords et autres aberrations de continuité s’enchaînent joyeusement dans un foutoir qui aurait probablement fait blanchir la moustache de Dali. Plans subliminaux d’une demi-seconde, zooms intempestifs : le réalisateur ne ferme les yeux devant aucun artifice pour nous donner envie de fermer les nôtres. But wait ! There’s more ! Les images épileptiques s’accompagnent durant toute la durée du film d’une bande-son horripilante à base de riffs de guitare saturée. Le lyrisme des sifflements d’Ennio Morricone est décidément bien loin…

Matalo est donc une œuvre qui fait voler en éclat les solides fondations d’un genre qu’on croyait pourtant indestructible. Cette tentative de déconstruction d’un genre, louable dans ses intentions de départ, donne pourtant le jour à une œuvre difficilement supportable. Probablement trop en avance sur son temps lors de sa sortie dans une Italie encore réfractaire à la contre-culture, le film souffre aujourd’hui d’un esthétisme kitsch et anachronique. Le film échoue là où El Topo, le western psychédélique de Alejandro Jodorowsky, a parfaitement réussi. Sorti la même année que Matalo, le film de Jodorowsky parvient à métamorphoser l’imaginaire véhiculé par le western afin d’en faire un objet iconoclaste et emprunt d’une atmosphère surréaliste permanente. Pour schématiser, disons que El Topo nous berce tandis que Matalo nous réveille brutalement par une agression de la rétine et des tympans. Car au fond, tout n’est que poudre aux yeux dans ce western. Matalo ne nous montre en effet rien de plus qu’une succession de personnages prisonniers de leurs archétypes, le tout passé au filtre d’une caméra tenue par un stagiaire qui tente désespérément de soigner sa maladie de dvd mataloParkinson à coups d’amphétamines. Matalo est donc un film à prendre comme il est, c’est-à-dire sans espérer à y trouver une structure narrative facilement reconnaissable et rassurante. C’est peut-être là que réside la seule force du film : mettre le spectateur face à la sensation peu agréable qu’il est tributaire d’un certain type de narration, initié principalement par le cinéma américain. À défaut de vous pousser à arracher votre fauteuil, le film vous donnera furieusement envie de vous replonger dans les œuvres de John Ford.

L’édition DVD éditée par Artus Films, particulièrement réussie, propose non seulement le film dans une qualité parfaite, mais aussi de nombreux suppléments à se mettre sous la dent. Parmi eux, on retiendra notamment un entretien d’une demi-heure avec Alain Petit, le docteur ès bis, qui éclaire la genèse tumultueuse du film. Notons également la présence d’un passionnant documentaire de 50 minutes qui met en perspective la création des westerns italiens avec le contexte politique des années 60/70 qui les a vu naître. Une bien belle édition qui a le mérite de prendre son sujet au sérieux, pondérant ainsi le caractère très dispensable du film. Bravissimo !


A propos de Alban Couteau

Biberonné à Evil Dead depuis sa plus tendre enfance, Alban manie la plume comme certains la tronçonneuse. Capable de convoquer Dario Argento et Alain Resnais dans la même phrase, il entend bien montrer que la beauté cinématographique peut s’exprimer par l’hémoglobine et le mauvais gout. A bon entendeur !

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