Pourquoi le cinéma de genre français est-il si mauvais ? 6


Un mois après la sortie du dernier rejeton Night Fare, on commence à avoir assez de recul pour se poser différemment la question du cinéma de genre en France : et si pour une fois, on ne rejetait pas la faute sur la frilosité des producteurs ou le désintérêt des distributeurs mais bien sur la qualité des films elle-même ?

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Flasque Gaule

La plainte, on la connaît. Moi-même, comme tous les aficionados de ce genre qui a accompagné mes émois aussi adolescents qu’adultes, je l’ai pleurée, j’ai chanté la liturgie : saloperie que la perception du cinéma de genre en France et que si peu de films y soient produits. Parce qu’en France, la prétention de notre prestige artistique, l’arrogance de notre cinéma d’auteur, l’omniprésence de nos comédies grand public, la condescendance des uns et des autres barreraient la route à bien des velléités horrifiques et il est difficile de dire le contraire, tant la production de genre est tout près d’être anecdotique. Mais, après tant de tentatives dont la dernière par Julien Seri, réalisateur de Night Fare, la prise de conscience s’impose, les charmes de la victimisation disparaissent : ce sont les réalisateurs qui sont pour la plupart responsables de la difficulté à produire du genre en France. Veux-je dire par là que les films d’horreur français sont tous mauvais ? Non, évidemment.

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Le 21 janvier 2016, durant une bonne partie de Night Fare, je passe un bon moment. Peinture glauque d’une certaine jeunesse aisée parisienne puis slasher automobile à la Duel (Steven Spielberg, 1971) baigné dans un environnement urbain typiquement français et banlieusard, ça tient le coup avec sa pertinence hexagonale…1h10 plus tard, je suis éberlué. Le truc a pris une direction rocambolesque, sombrant dans un récit pseudo-historique visant à moraliser le tout : le tueur chauffeur de taxi est en réalité (désolé, je spoile mais pour un machin de cet ordre je n’ai aucun scrupule) un redresseur de torts fidèle à une tradition séculaire ! Le mec c’est Jason Vorhees révélant qu’il tue en fait pour pour une ONG : Julien Seri, manifestement, n’a pas trouvé ça aussi stupide que vous et moi… Boh, ça arrive ponctuellement, me direz-vous, des retournements de situation, des twists qui paraissent alambiqués, et qui détruisent, par désir de surprendre, une œuvre toute entière. En effet, sauf que ce sentiment qu’on essaie de me faire gober des couleuvres inutilement, est un peu trop récurrent lorsque je me penche sur le cinéma d’horreur français. La morale à la con de Night Fare donc, l’argument écolo du pourtant pas dénué d’idées La traque (Antoine Blossier, 2010), la psychanalyse de bazar de Horsehead (Romain Basset, 2014), entre autres, sont autant de justifications narratives, intellectuelles ou philosophiques érigées par des cinéastes qui finissent par tomber par peur de leur propre film, de leur propre ADN. Audacieux qu’à demi, ils jouent le jeu de ceux qui prennent le cinéma d’horreur de haut et le définissent comme un genre mineur, en se pliant à trouver des justifications, comme un pass à destination des critiques, un désir de reconnaissance servile, quitte à sombrer dans la pirouette farfelue ou grotesque.

Que ce soit clair, si vous n’êtes pas capables de faire un film d’horreur où votre discours est intrinsèque, naturel, épouse votre déroulé sans passer par des grossiers outils d’écriture ou de réalisation, la justification on a en rien à foutre, Messieurs, Dames. Clairement rien à foutre de savoir que le chauffeur de taxi de Night Fare est en fait un Gandhi de la street, de la même façon qu’on en a rien à foutre, au fond, que Freddy Krueger soit le rejeton d’une série de viols (c’est pas pour rien qu’on ne l’apprend qu’au bout du troisième film de la saga), de pourquoi la famille de Leatherface est cannibale, de pourquoi Pinhead a des clous sur la tronche et s’est rasé le crâne : Wes Craven, Tobe Hooper et Clive Barker n’en ont pas eu besoin pour balancer trois des plus marquants films d’horreur de tous les temps. Ils n’ont pas eu de complexe et ont fait des films de genre qui portaient l’intelligence en eux, dans leurs idées, leurs thématiques, leur construction. Ils ont identifié la peur, l’horreur, sous des visages différents, sans prendre le spectateur pour un con à paradoxalement vouloir lui en dire trop, histoire de faire passer la pilule. En France, il y a des films dans cette optique, quand même. D’un côté, on peut avoir le film un peu bas du front qui n’est pas près de changer votre vision du monde et des êtres mais qui a l’avantage d’être honnête avec lui-même et de ne pas chercher midi à 14h : La horde (2009), Frontières (2007), Sheitan (2005), par exemple. Ils n’apportaient pas grand-chose au genre (quoi que, l’approche de Kourtrajmé était originale) mais avaient le mérite de reprendre les codes du cinéma d’horreur en les adaptant dans un environnement purement français (la banlieue parisienne ou la ruralité hexagonale) sans chercher je ne quoi je ne sais où. C’était roboratif et efficace, sans prétention.

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De l’autre côté, on va avoir toujours par exemple Amer (Hélène Cattet & Bruno Forzani, 2009) ou Haute Tension (2003), deux petits chefs-d’oeuvres plus réflexifs du cinéma de genre français. Le premier était une réelle ré-interprétation du giallo par le prisme troublant de la vie sensuelle d’une femme tout au long de son existence, le second un slasher à la beauté plastique hypnotisante sachant lier le réalisme froid du cinéma français avec des influences cinématographiques et vidéo-ludiques internationales. Réflexifs dans leur sens ou dans leur forme, en les visionnant, on a le sentiment de voir un cinéma d’horreur en émergence, encore aujourd’hui, plusieurs années après leur sortie. Depuis, il y a eu d’autres tentatives évidemment, tantôt mauvaises, tantôt bonnes, mais leur nombre et l’absence d’éclat réel de l’un ou l’autre de ses essais appuient la faiblesse du cinéma de genre en France. Si les producteurs sont frileux, avant de les condamner il aurait peut-être aussi fallu que les cas existants leur donnent davantage envie d’investir, que ce soit en termes de réussite publique ou critique. Réalisateurs, vous auriez dû faire de meilleurs films, dès le début.

L’ironie de la chose, c’est que contrairement au Japon, à la Grande-Bretagne, ou à l’Espagne, trois pays qui ont émergé pour leur vision nationale de l’horreur, nos audacieux français (comprendre, ceux qui osent faire du film de genre, de qualité ou non) s’exilent tous ou presque. C’est-à-dire qu’ils ont été ceux à qui on a fait confiance, qui ont fait des films à la qualité discutable, et qui partent ensuite aux États-Unis en nous laissant nous démerder avec les conséquences de leurs œuvres à eux. C’est ainsi que Pascal Laugier nous a envoyé un Martyrs important avant de partir batifoler outre-Atlantique, et le pire, même pas sur un nouveau Hellraiser alors que putain c’était fait pour lui, pour son talent à filmer une violence brutale, la souffrance dans un univers à première vue aseptisé, dans une marquante opposition entre clarté et sang, un monde en rouge et blanc. Alexandre Aja est lui aussi parti vite mais pour signer d’abord une série de remakes, comme pour se délester au plus vite de son côté frenchy afin d’embrasser le plus général du cinéma d’horreur, sans période ni localisation.

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Toutefois, à la conclusion de ce papier de fiel, il y a une curiosité réjouissante dans l’avenir très proche (parmi d’autres), alors que cet article avait commencé par le descendre : celle représentée par le duo Alexandre Bustillo-Julien Maury. A l’intérieur aurait pu être une bombe sans son final grand-guignolesque venant saboter un film d’une grande tension auparavant. Livide souffrait d’un problème similaire de conclusion avec un virage mal négocié vers le très très fantastique, corrigé par la suite par un Aux yeux des vivants beaucoup plus cohérent et harmonieux malgré des références aussi évidentes que différentes et malgré, là encore, quelques grossièretés scénaristiques (le bébé dans la machine à laver, sérieux…). Le duo est on ne peut plus notable pour son courage et sa détermination : coûte que coûte, pendant près de dix ans, ils n’ont pas cédé aux sirènes étrangères et ont persévéré pour faire un cinéma hexagonal, en France, et un cinéma qui avec ses défauts leur ressemble et a ses thématiques propres, des thématiques qu’ils prennent le temps de dérouler, de tisser. 2016 sera l’année de leur Leatherface, premier long-métrage exilé à Hollywood de leur filmographie… Nous pourrons alors ou assister à une autre vente d’un talent français, une de plus, ou au mariage inespéré qui réussirait à respecter deux univers a priori, aujourd’hui, si éloignés : le cinéma de Bustillo-Maury et la France/la saga Massacre à la tronçonneuse et les USA. Le pari est tenu, et en attendant, on restera dans l’attente d’un vrai putain de classique de l’horreur à la française.


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM


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6 commentaires sur “Pourquoi le cinéma de genre français est-il si mauvais ?

  • Philippe Bazelle

    Pour une fois, une vraie réflexion sur le sujet sans langue de bois et compromis. je suis 1000%° en accord !!!

    J’y rajoute tout de même et quand même la frilosité des producteurs mais puisque nous le savons, pourquoi allons nous frapper à leurs portes ?… Nous aimons nous prendre des baffes ou quoi ?!!! Où bien est-ce pour se défausser sur le fait que l’on ai pas eu de budget pour présenter un mauvais film ?

    Quand au manque de préparation d’un film de genre en France, c’est d’une évidence et si ces films ne fonctionnent pas, c’est aussi mon avis, c’est qu’ils ne sont pas bons !!!
    Les scénarios sont bâclés et les films mal joués et mal réalisés (cela n’engage que moi !)…

    C’est certainement prétentieux de ma part et peut-être que mon film sera mauvais mais ce ne sera pas à cause du travail acharné sur le scénario (sinon toute l’équipe ne l’attendrait pas depuis 6 mois !), ni des comédiens, ni du décors extraordinaire que nous avons déniché mais bien de mon incompétence à diriger correctement des gens que j’ai choisi parce qu’ils ont du talent, à vouloir conserver la prise de son direct où l’on ne comprends qu’une phrase sur 2 et à m’expliquer comme un manche avec le directeur de la photo pour obtenir des images moches et inutiles parce qu’en plus je serais nul en rythme et en montage !!!

    Mais le paragraphe précédent commence par “peut-être”… Une chance sur 2 que je ne sois pas si mauvais que ça.. En tout cas je ne jouerais pas les “Caliméro”… (le “c’est pas de notre faute, c’est la faute des autres… ça m’agace profondément !)
    Là… je suis prétentieux … mais c’est le moteur des réalisateurs…
    😉

  • sed

    Bonjour, une petite perle malheureusement méconnue, réalisée par 2 Français : Mathieu Péteul et César Ducasse, mais tourné en Norvège et en Norvégien, c’est le film “Dark Souls”. qui à reçu 5 prix dans différents festivals et qui mérite d’être découvert.