John Landis : King of Clips 3


Il est impossible de parler du travail de John Landis sans évoquer la réalisation de ses clips musicaux au service du King of Pop. Retour sur les deux phénomènes qui prouvèrent que quand les bonnes personnes sont aux commandes, cinéma et musique peuvent faire des étincelles et révolutionner le genre.

John Landis pose avec Michael Jackson déguisé en zombie pour notre texte sur l'analyse de ses clips.

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Une merveilleuse histoire de zombies et de morphing

Le premier traumatisa ma petite enfance, le second me bluffa alors que je le découvrais dans mon petit poste de télévision 4:3. Le premier contribua à remettre en question la place des clips musicaux en tant que simples vidéos musicales ou courts-métrages, le second est considéré comme le premier morphing pleinement réussi de l’Histoire. Deux sans fautes que Landis réalisa brillamment en compagnie de Michael Jackson, pour des résultats explosifs qui révolutionnèrent l’industrie musicale. On ne compte plus aujourd’hui le nombre de réalisateurs qui s’attèlent à la lourde tâche qu’est la création de clips musicaux et autres vidéos, que ce soit Luc Besson et Madonna avec Love Profusion (2003) ou Francis Lawrence et Beyonce avec le très célèbre Run the World (Girls) (2011). Bref, aujourd’hui faire appel à un réalisateur qui pèse, c’est à la portée de n’importe quelle popstar planétaire qui en a les moyens. John Landis quant à lui a joué coup double, une première fois avec Thriller (1983), co-écrit avec Jackson, premier clip musical à prendre le statut de court-métrage de part sa longueur et sa réalisation. La seconde fois en devenant l’avant-gardiste de la technique du morphing (ou morphage en bon français), effet spécial consistant à transformer de la manière la plus fluide possible une image en une autre, le plus souvent utilisé avec des visages, utilisé pour Black or White (1991). John Landis et Jackson marqueront littéralement l’histoire des clips.

Michael Jackson en tenue rouge et noire pose au milieu de zombies pour le tournage d'un des clips réalisés par John Landis, Thriller.

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Décembre 1983. Sur toutes les chaînes de télévision est annoncée l’avant-première du dernier clip du King of Pop, intitulé Thriller. Jackson propose à John Landis de réaliser un de ses clips, ce dernier n’accepte qu’à une seule condition, sans même avoir écouté la chanson : réaliser non pas un clip de quelques minutes, mais un court-métrage d’un quart d’heure. L’histoire, tout fan d’horreur ou de pop (vous tranchez) la connait : dans les 50’s, deux adolescents joués par Jackson et la playmate Ola Ray s’avouent leur amour, au moment où sous la lumière de la lune, Michael se transforme en un loup-garou et se jette sur la jeune femme. Astucieuse mise en abyme, ce n’était qu’un film (ouf !), la caméra dévoile une salle de cinéma où les spectateurs crient de peur et détournent le regard. Un Michael amusé par cette parodie de série B est forcé de quitter la salle sous la colère de sa petite amie, Ola Ray également. Durant mon premier visionnage, âgée d’à peine une dizaine d’années, je n’avais pas été plus loin que la séquence de métamorphose qui m’avait terrifiée, de par son réalisme et la transformation monstrueuse d’une de mes idoles. Ce n’est que des années plus tard que je découvris le pot aux roses, et m’intéressai au travail de Landis avec Le loup-garou de Londres (1981). C’est en effet après avoir visionné le film mythique du réalisateur que Michael souhaita que ce dernier réalise son clip qu’il voulait à l’image de sa chanson, terrifiante. Et c’est réussi, les zombies succèdent au lycanthrope, scène inspirée du fameux La nuit des morts-vivants (1968). Zombie-Michael se retrouve dans une danse déchaînée sous la pleine lune au rythme de sa chanson sous le regard apeuré de sa petite-amie qui s’enfuie. Les costumes et maquillages des créatures ont été soigneusement étudiés par Landis, en particulier les visages à moitié osseux, dont le résultat se voulait similaire au masque du Fantôme de l’opéra (1925). Les dernières minutes du clip se résument en une poursuite monstrueuse entre les zombies et Ola Ray qui trouve refuge dans une bâtisse désaffectée que les zombies envahissent. L’actrice est retrouvée coincée au fond d’un canapé, tandis que les plans défilent des zombies omniprésents, brisant les fenêtres, la porte et même le plancher. John Landis explique que le but était de recréer version clips cette atmosphère de claustrophobie présente dans tous les films de zombies, où l’intérieur symbolise à la fois le refuge mais également l’issue d’une mort certaine. Alors que les zombies se rassemblent dans une contre-plongée inquiétante, Ola Ray se réveille en hurlant dans une pièce similaire et éclairée ou un Michael normal l’aide à se relever. Toute cette histoire n’était qu’un cauchemar (re-ouf !), seconde mise en abîme. Dans un ultime regard, Michael se retourne, ses yeux jaunes et monstrueux lançant un terrifiant regard caméra tandis que résonne le rire machiavélique de l’acteur Vincent Price (La chute de la Maison Usher, Roger Corman, 1960).

Michael Jackson se tourne vers la caméra avec ses yeux jaunes tandis qu'il mène sa copine vers l'extérieur du salon où ils se trouvent ; plan issu d'un des clips réalisés par John Landis, Thriller.

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La sortie du clip provoqua de nombreuses questions dans les industries musicales et cinématographiques : Thriller est-il un long clip, ou un court-métrage musical ? Deux formats furent diffusés, le premier original d’environ 14 minutes, le second présenté comme la version courte et davantage comme un clip vidéo, de 3 minutes. Le clip vidéo (ou court-métrage, encore une fois vous tranchez) est une véritable référence à l’univers des films d’horreurs, majoritairement aux films de série B. De la scène d’exposition façon 50’s à l’invasion des zombies, Landis souligne avoir adopté au maximum les codes du genre. On retrouvera ainsi les décors et ambiances sombres, brumeuses et inquiétantes aux couleurs criardes, les gros plans sur les visages hurlants et les regards terrifiés d’Ola Ray, parfaite dans son rôle, et même un travelling compensé lors de la découverte de zombie-Michael pour souligner l’horreur et le bouleversement du personnage. La voix off et culte de Vincent Price vient souligner l’horreur de la situation, cauchemardesque et inimitable, jusqu’à son rire final, machiavélique et angoissant. On retrouvera particulièrement la patte de John Landis dans la métamorphose de Michael en loup-garou, référence au Loup-garou de Londres, dans lequel il utilise des prothèses robotiques et maquillées pour représenter la métamorphose et créer l’effet d’allongement, de membres se transformant réellement face à la caméra. On y aperçoit des plans similaires pour souligner la transformation, tels les gros plans sur les mains griffues, les oreilles s’allongeant, le visage se couvrant de poils. Son épouse est également la créatrice de la très célèbre veste rouge que le chanteur porte, l’ayant dessinée pour lui donner un air plus viril. On notera particulièrement parmi l’équipe le célèbre maquilleur spécialisé en effets spéciaux Rick Baker, ayant déjà travaillé sur le Loup-garou de Londres avec Landis, mais également sur d’autres films cultes impliquant des lycanthropes, tels Hurlements (Joe Dante, 1981) ou Wolfman (Joe Johnston, 2010). Pari réussi pour le duo Landis/Jackson, dont la vidéo est encore aujourd’hui considérée comme le meilleur clip de tous les temps, où se rencontrent musique pop et cinéma de genre.

Michael Jackson danse en chemise blanche et en pantalon noir dans le sable avec un groupe de danseurs tribaux africains dans l'un des clips réalisés par John Landis, Black or White.

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Chanteur et réalisateur se retrouvent en 1991 pour la réalisation d’un autre succès du King of Pop, Black or White. Nouveau contexte, le clip rentre tout d’abord dans les annales de par le prix de sa réalisation, à peine 1,5 millions de dollars, aujourd’hui dans le top 10 des clips les plus chers de l’Histoire. L’esprit de la chanson : l’unité mondiale, la paix, l’anti-racisme, bref, des thèmes chers à Michael. On retrouve un jeune garçon, interprété par Macaulay Culkin, petite star de Maman j’ai raté l’avion (1990), écoutant un furieux rock’n’roll. Son père vient le déranger pour lui dire d’arrêter sa musique, l’y oblige. Qu’importe, Culkin installe des enceintes géantes dans le salon devant ses parents curieux, et dans un puissant solo de guitare fait traverser le toit à son père assis dans son fauteuil. Défilent un ensemble de panneaux, de danseurs, de paysages, de contextes dans lequel le chanteur scande qu’il n’y a aucun problème à être noir ou blanc. Malgré un clip sympathique et une chanson accrocheuse, c’est la dernière minute qui révèle ce qui a réellement marqué l’histoire du clip. Un homme apparaît, filmé en portrait, se métamorphosant soudain en une femme suivie par une autre. L’unité humaine si défendue par Michael prend alors tout son sens pour accompagner ce qui est considéré comme une véritable révolution technique. Ici encore deux versions sont disponibles, la première d’une durée de 6 minutes, la seconde, beaucoup plus polémique, de 11 minutes, où l’on voit un second morphing de Michael se métamorphosant en panthère noire et vice versa. Il s’agit de la véritable scène finale du clip, qui de par son caractère violent et provocateur, a été censurée de toutes les chaînes de télévision. Dans la scène originale, on y voit le chanteur briser avec violence les vitres d’une voiture, où s’enchaînent des plans présentant des croix gammées et autres sympathiques symboles du Ku Klux Klan. Michael s’est excusé après avoir reçu plusieurs plaintes, remplaçant la séquence par une nouvelle, non censurée et faisant actuellement office de vrai final de la version longue. Durant 5 minutes le chanteur enchaîne des mouvements de danse similaires à ceux de Billie Jean (1982), sans aucune musique pour l’accompagner. Nouveau et dernier morphing panthère, Michael s’en va. Le chanteur a souhaité faire un clin d’œil en terminant sur une séquence de la série animée Les Simpson (Matt Groening), montrant Bart et Homer regardant le clip sur leur écran télé, Homer éteignant finalement le poste. Contrairement à son travail sur Thriller, John Landis ne se prononcera pratiquement pas sur les choix de réalisation, abordant uniquement la question du morphing.

Cependant il est important de préciser que non, Black or White n’est pas le premier clip à user d’effets morphing, Landis n’a fait que le rendre populaire et connu de tous. Dans le monde de la musique, le très populaire duo de pop/rock anglais Godley & Cream ont utilisé pour leur clip Cry (1985) une série de transformations faciales type morphing à partir de fondus enchaînés, au rendu plutôt réussi. Le morphing était également déjà présent au cinéma, entre autres dans le cultissime Willow (Ron Howard, 1988, co-écrit avec George Lucas) et Terminator 2 (James Cameron, 1991). L’association Jackson/Landis aura marqué non seulement le monde, mais également les industries de la musique et du cinéma. Ces réalisations seront les seules expériences de John Landis dans le monde des clips, n’ayant travaillé qu’avec Jackson. Novateurs, ces deux géants ont su tirer partie de leurs sensibilités tout en mêlant des univers qui auraient pu ne jamais se rencontrer. John Landis et Jackson sont restés en bons termes après leurs collaborations sur ces clips, voire très amicaux, jusqu’au jour où le réalisateur a attaqué le chanteur en justice à cause d’un litige financier. En effet Michael aurait oublié de lui reverser les royalties de Thriller qui lui revenaient de droit (oups !). Suite à la plainte, Ola Ray s’est également manifestée pour le même prétexte. Selon Landis, Jackson lui devrait 50 % des profits nets du clip révolutionnaire, qu’il a co-écrit et réalisé, ainsi qu’un making of d’une heure, l’équivalent d’un bon million de dollars. Par la suite, le réalisateur ne manqua pas une occasion de régler ses comptes dans la presse : « Thriller, c’est mon film. Quand on l’a fait, Michael avait vingt ans. C’était comme travailler avec un enfant de dix ans, émotionnellement attardé ! ». Malgré ce crêpage de chignon, Thriller et Black or White marqueront à jamais les carrières respectives des deux grands enfants que sont Michael et John.


A propos de Jade Vincent

Jeune sorcière attendant toujours sa lettre de Poudlard, Jade se contente pour le moment de la magie du cinéma. Fan absolue de Jurassic Park, Robin Williams et Sono Sion, elle espère pouvoir un jour apporter sa pierre à l'édifice du septième art en tant que scénariste. Les rumeurs prétendent qu'elle voue un culte non assumé aux found-footages, mais chut... Ses spécialités sont le cinéma japonais et asiatique en général.


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