Bananes Mécaniques


Reconnu mondialement pour Exhibition (1975), fameux documentaire sur le monde de la pornographie, Jean-François Davy est également l’inventeur d’un tout petit genre cinématographique, la comédie paillarde, par le biais d’une trilogie dont Filmédia nous permet de découvrir le premier volet, Bananes Mécaniques. Un titre élégant, évocateur, et volubile comme je les aime.

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Primeurs lubriques

Il convient de le préciser pour éviter toute déception : non, Bananes Mécaniques n’est pas une parodie porno d’Orange Mécanique. D’ailleurs ce n’est même pas un porno, mais bel et bien un film érotique, « comédie paillarde » selon la terminologie conçue par son auteur-réalisateur Jean-François Davy. Il est évident que Davy a joué de la sortie toute proche alors (nous sommes en 1972) du film de Kubrick, hélas toute comparaison 19134580s’arrête là. Passée l’amertume de ne jamais voir de Droogies aux chibres vaillants traverser l’écran en tenue d’Adam, prenons le taureau par les cornes (aucune métaphore) et parlons de Bananes Mécaniques édité en DVD par Filmédia.

Au gré des imprévus (des rencontres d’auto-stop pour être exact), cinq femmes à croquer (forcément) se retrouvent à squatter pour l’été la propriété du père de l’une d’entre elles. Elles y mènent une vie d’amusement, de liberté, de création avant d’accueillir, toujours par le fruit du hasard, un homme séduisant qui connaîtra la déconvenue de devoir satisfaire TOUTES ces dames sur le plan horizontal (vertical aussi selon les scènes)…Pas besoin de vous faire un dessin, ce ne sont pas les prétextes aux scènes coquinettes qui manquent. Commençons par en parler, tiens, de ces séquences. Si elles ont immanquablement vieilli en partie à cause de leur musique porno groove et qu’elles bandent mou (c’est un peu le « problème » d’un type d’érotisme très très léger), elles sont volontiers farfelues, dénués de réalisme, composées avec 19134579.jpg-r_640_600-b_1_D6D6D6-f_jpg-q_x-xxyxxune sensualité théâtrale qui peut évoquer jusqu’à une chorégraphie. Le parallèle n’est pas idiot, car il y a plusieurs scènes de danse dans le film, dont l’une qui commence en strip-tease et se clôt en….Fin vous voyez.

Évidemment, avec un tel synopsis et en pensant à la période historique à laquelle le truc a été tourné (1972, je rappelle pour ceux qui sont allés pisser au début de l’article), Bananes Mécaniques a tous les apparats d’un film féministe. Il l’est, par ses personnages féminins à la sexualité assumée, confrontés à des hommes benêts qui ne décident pas grand-chose. Dans l’ensemble le film respire son époque, dans son look, sa joie de vivre spontanée rendue palpable par une direction d’acteur libre souvent improvisée (inspirée, de l’aveu même de Davy, par les méthodes de Claude Lelouch dont on sent aussi l’influence plastique), son irrévérence (on note un énième détournement païen de La Cène), ses passages abordant le flower-power, le maoïsme, la lutte inter-générationnelle etc etc…

Afficher l'image d'origineCela dit Bananes Mécaniques jouit (désolé, j’ai pas pu m’en empêcher) d’un peu plus de recul sur ses contemporains que l’on pourrait le penser. La vie des 70’s semble être présentée avec la legereté qui la caractérisait d’apparence mais la vision n’en est ni idyllique ni élogieuse. Pour preuves, le show que les femmes préparent pour un spectacle municipal, espèce de pièce de théâtre incantatoire féministe-anticapitaliste dont Davy ne manque pas de relever le ridicule, ou surtout le suicide d’un personnage joué par le réalisateur lui-même, victime évidente de l’Amour libre et des idéaux voués à l’échec dans un monde peuplé par des vrais êtres humains, et pas uniquement par des pacifistes au cœur d’or. Des petits points qui dotent cette prétendue simple comédie paillarde d’une intelligence bienvenue.

Afficher l'image d'originePour mon plus grand bonheur, Filmédia a opté pour un transfert 1.33 respectant le format de tournage, et surtout, surtout, a laissé à l’image sa texture pellicule si réjouissante : lorsque l’on parle d’un film comme ça, qui songerait à une remasterisation onéreuse et froide, numérique et techniquement irréprochable ? Personne, on vous dit. Sachant également faire peu mais bien, l’éditeur ne propose que deux bonii, une filmographie de Jean-François Davy certes, mais avant tout un long entretien avec ce dernier qui face caméra, nous parle de sa Trilogie paillarde entamée donc avec Bananes Mécaniques et poursuivie avec Prenez la queue comme tout le monde (1973) et Q (1974). Un excellent complément au film, le cinéaste n’abordant pas seulement des anecdotes de tournages croustillantes (apparemment ça baisait sec également hors caméra) mais plusieurs thématiques comme l’éternelle difficulté de trouver des financements, la codification du cinéma pornographique, la condescendance d’un certain cinéma d’auteur pour l’érotisme, la frustration, pour un cinéaste, que ses plus grands succès publics ne coïncident pas avec ses films les plus personnels ou habités…La morale c’est que oui, on peut regarder un dvd qui s’appelle Bananes Mécaniques et réfléchir.

Mis à Jour le 09/07/2018


A propos de Alexandre Santos

En parallèle d'écrire des scénarios et des pièces de théâtre, Alexandre prend aussi la plume pour dire du mal (et du bien parfois) de ce que font les autres. Considérant "Cannibal Holocaust", Annie Girardot et Yasujiro Ozu comme trois des plus beaux cadeaux offerts par les Dieux du Cinéma, il a un certain mal à avoir des goûts cohérents mais suit pour ça un traitement à l'Institut Gérard Jugnot de Jouy-le-Moutiers. Spécialiste des westerns et films noirs des années 50, il peut parfois surprendre son monde en défendant un cinéma "indéfendable" et trash. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/s2uTM

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