La Source de Feu


Réalisé deux années après le succès de King Kong (1933), cette adaptation du fameux livre de Henry Rider Haggard La Source de Feu (She, 1935) s’inscrit dans la stratégie de Merian C.Cooper : donner au public américain toujours plus d’aventures et d’exotisme. Alors qu’il était diffusé au dernier Festival International du Film d’Amiens dans la grande rétrospective consacrée à Cooper, l’éditeur Rimini l’a ressorti en décembre dernier dans une édition DVD très complète.

source-de-feu-35-02-g

Celle-qui-doit-être-obéie

Après le succès mondial de King Kong (1933), le producteur Merian C.Cooper crut très stratégique de profiter de l’engouement du public pour les récits d’aventures teintés d’exotisme pour produire à la chaîne plusieurs super-production du genre. En résulte la réalisation coup sur coup du très moyen Les Derniers Jours de Pompéi (1935) par son compère Ernest B.Shoedsack et de La Source de Feu (1935) dont il sera plus spécifiquement question dans cet article. Réalisé par le duo Lancing C. Holden – dont c’est le seul véritable fait d’arme – et Irving Pichel – qui avait co-réalisé Les Chasses du Comte Zaroff (1933) avec source-de-feu-1935-03-gErnest B. Shoedsack – le film est surtout écrit par la femme de ce dernier cité, Ruth Rose, déjà scénariste de King Kong, et adapté d’un très célèbre et sulfureux roman de Henry Rider Haggard. Ce n’est pas un hasard si Cooper décida de produire l’adaptation d’un des romans de Haggard, les deux hommes partageaient un goût invétéré pour l’aventure et l’exploration et en ont tous deux fait la source d’inspiration première de leur œuvre.

La Source de Feu raconte l’histoire de Leo Vincey – interprété par Randolph Scott – à qui l’oncle mourant demande d’entreprendre une expédition spéciale pour essayer de retrouver l’un de ses ancêtres. Il faut dire que ce dernier, si la légende est vrai, aurait mis la main, quelques siècles auparavant, sur un artefact très puissant, une flamme, qui pourrait donner à celui qui la possède le don d’immortalité… Après une séquence d’exposition brève mais efficace, le film embarque immédiatement le spectateur dans une aventure dépaysante au plus proche du cercle polaire. Cavernes aux parois tachetées de stalactites, geysers, tigres à dents de sables prisonniers des glaces depuis des millénaires, séquence très impressionnante d’avalanche : dès les vingt cinq premières minutes le ton est donné. Toujours plus spectaculaire, le film ré-emploie une formule qui a déjà porté ses fruits deux ans plus tôt avec King Kong : confronter l’explorateur dit civilisé à un monde plus hostile, anachronique et exotique. Les indigènes de l’île de Skull Island sont ici remplacés par des ersatz d’hommes de cro-magnons, qui vivent au cœur de la montagne, torse nu et en pagne – admettons que le chauffage au sol est installé dans leurs cavernes – et rendus esclaves à une étrange et dangereuse Reine qui se fait appeler Celle-qui-doit-être-obéie. Le colonialisme étant encore prégnant en 1935, on ne s’étonnera pas de voir une nouvelle représentation de l’indigène assez caricaturale, ces derniers étant représentés comme des animaux vivant en meute, dansant autour du feu et s’adonnant aux sacrifices rituels. S’inspirant assez largement de l’ancienne Égypte et des règnes des Pharaons, le film montre et critique cette micro-société s’organisant autour du culte de la personnalité. Le peuple, réduit à l’esclavage le plus total, sert les intérêts de cette femme toute puissante qu’est la Reine Hashamotep. Lorsque cette dernière apparaît pour la première fois à l’écran, elle s’impose d’emblée comme une figure de femme fatale et ce bien qu’elle ne soit d’abord à nos yeux qu’une silhouette brumeuse derrière un rideau de fumée. Cet opaque rideau naturel ne laisse transparaître que l’ombre de son corps She2élancé, drapé d’une robe à longs voiles, et le son suave mais autoritaire de sa voix. Une fois le voile de fumée tombé, le charme inquiétant de cette figure de marâtre brune explose au beau milieu de ce cotonneux nuage. L’émotion cinématographique qui en résulte est si forte, que le personnage interprété par Helen Gahagan fut immédiatement culte et inspirera bon nombres de personnages féminins les années qui suivirent, à commencer par la méchante de Blanche Neige et les sept nains (1937) de Walt Disney, qui lui emprunterait allure, costume, voix, trône et attitude (voir photo ci contre pour le constater). Autre richesse du film, ses décors grandioses, dont certains sont directement réemployés du tournage de King Kong (1933) et qui s’inscrivent de part leur gigantisme dans la droite lignée de Intolérance (David W. Griffith, 1916) et de tous ces films qui préfigurèrent l’émergence du genre dit du Péplum dont on situe – et c’est fort discutable – l’âge d’or au début des années 1950. Par l’immensité de ses décors – à ce titre, le décors de la salle du trône, particulièrement mis à l’œuvre lors de la séquence finale du film – ses séquences d’action parfois assez impressionnantes visuellement – la poursuite dans les grottes avec saut très périlleux d’un ravin, qui a forcément dû inspirer quelques sauts de ravins célèbres tels que celles des grottes de la Moria dans Le Seigneur des Anneaux : La Communauté de l’Anneau (Peter Jackson, 2001) – ainsi que la présence de très nombreux figurants, le film revêt en tout cas tous les apparats des grands films d’aventures épiques.

sourcedefeu03Largement éventré de la substance particulièrement sulfureuse du livre original par l’application une année plus tôt du despotique code de censure Hays, cette version de La Source de Feu conserve néanmoins quelques évocations souterraines du désir féminin – la Reine Hashamotep souhaite plus que de raison convaincre l’explorateur de succomber à son charme – sans pour autant lorgner vers un érotisme transgressif . En effet, le traitement de cette romance étant bien plus traitée sur le ton du coup de foudre romantique et déraisonné que d’un appel hormonal incontrôlable. La subtilité du scénario de Ruth Rose, néanmoins, est d’avoir su conserver l’aspect Sadien de l’histoire et de cette figure suprême de grande déesse asservissant les hommes à ses ordres et désirs, tout en contournant habilement certains articles du code Hays. Nul ne saurait dire si c’est ce retour aux bonnes mœurs – sans être très sulfureux, King Kong ne lésinait pas sur les séquences érotiques d’une très grande ambiguïté et montrait souvent la mort avec une certaine violence (ce que le code Hays interdisait) – qui fit des deux films produits en 1935 par Merian C.Cooper des échecs. Peut être que le public ne fut pas particulièrement comblé par cette adaptation un poil trop sage de La Source de Feu, roman réputé déjà à l’époque comme un roman d’aventures particulièrement sulfureux. Même chose peut être pour les Derniers Jours de Pompéi, dont la dimension religieuse tend à étouffer quelque peu le souffle épique du film.

3D_source_de_feu_DVDDu côté de l’édition DVD proposée par Rimini Editions, elle est sensiblement semblable à celle sortie en blu-ray aux Etats-Unis il y’a quelques années, à l’occasion de la restauration du film sous la houlette de Ray Harryhaussen, qui commanda par ailleurs sa colorisation, arguant que Merian C.Cooper avait toujours voulu faire La Source de Feu en couleur. Comme le précédent coffret américain, cette édition propose donc elle aussi les deux versions. Notre préférence ira bien sûr vers le noir et blanc original proposé dans une copie très bien conservée plutôt que vers sa colorisation, qui, si elle est correctement réalisée, ne nous semble pas suffisamment intéressante, au regard de son apport réel au film, pour qu’elle soit privilégiée à l’œuvre originale. Si l’on s’étonne que l’éditeur français n’ait pas choisi de sortir le film en blu-ray comme l’avait fait son homologue américain avant lui, on ne boude pas non plus notre plaisir d’avoir enfin ce film rare édité chez nous, avec des sous-titres français irréprochables, un très bel écrin – bien que l’affiche employée est assez peu inspirée – et quelques bonus présentés par Christophe Champclaux, toujours très pertinent D’abord, un documentaire de douze minutes sur le film qui délivre quelques informations précieuses, que l’on vous conseille de regarder, par ailleurs, avant le film puisqu’il sert véritablement de présentation. Ensuite, un autre sur l’auteur Henry Rider Haggard, fort documenté là aussi, où l’on apprend d’ailleurs que l’auteur n’a pas inspiré uniquement Merian C.Cooper, mais aussi d’autres auteurs tels que Edgar Rice Burroughs et son Tarzan ou J.R.R Tolkien dont plusieurs personnages et épisodes de l’histoire de sa Terre du Milieu emprunteraient largement à l’univers de Rider Haggard. Pour les amoureux du cinéma d’aventures américain, pour les amoureux de King Kong et de Merian C.Cooper, et pour tous les autres, cette édition se doit d’avoir une place de choix dans vos dvdthèque.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.