Goodnight Mommy 1


Après un film d’ouverture qui a prouvé que la compétition officielle de ce 22e Festival de Gérardmer semblait de bon augure, celle-ci a pu entrer dans sa première journée avec Goodnight Mommy, magnifique drame fantastique venu tout droit d’Autriche, un pays où la production du cinéma de genre est assez rare.

goodnightmommy

Luk’, je suis ton frère

Goodnight Mommy – en VO Ich seh, Ich seh (« Je vois, je vois ») – est un film réalisé par des scénaristes documentaristes : Veronika Franz et Severin Fiala signent ici leur second fils ensemble, après le documentaire Kern (2012), sur l’acteur autrichien controversé Peter Kern. Leur travail est vivement supporté par le génial Ulrich Seidl, le réalisateur d’Animal Love (1996) et de la trilogie Paradis : Amour (2012), Paradis : Foi (2012) et Paradis : Espoir (2013). Alors que Veronika Franz collabore en tant que scénariste ou assistante réalisatrice sur tous les films de Seidl depuis la fin des années 1990, elle retrouve Severin Fiala pour continuer sa carrière de réalisatrice avec un premier film de fiction.

goodnightmommy2Elias et Lukas (Elias & Lukas Schwarz) sont deux jumeaux de neuf ans qui vivent seuls avec leur mère (Susanna Wuest). Celle-ci sort à peine d’une séparation et est en pleine convalescence après un grave accident qui a mené à une opération de chirurgie esthétique, à cause de laquelle son visage est entièrement bandé. Elle vit alors enfermée dans sa grande maison, sans aucun contact extérieur, et devient froide et distante avec ses enfants. Elias et Lukas se demandent alors s’il s’agit bien de leur mère, et vont chercher la vérité.

Goodnight Mommy réutilise une idée géniale du cinéma d’horreur, celle de l’enfant-tueur, et en fait quelque chose d’unique, à la fois très proche de films comme Les révoltés de l’an 2000 (Narciso Ibáñez Serrador, 1976) ou The Children (Tom Shankland, 2008) mais qui s’en éloigne considérablement avec une esthétique et un travail scénaristique qui font qu’il n’existe pas d’œuvre comparable. L’ancêtre espagnol et le grand frère britannique du film de Veronica Franz et Severin Fiala montrent des enfants cruels qui tuent sans vraie raison, celui-ci choisit d’adopter le point de vue des enfants : deux garçons perturbés par la transformation physique et psychologique de leur mère. Goodnight Mommy est un grand voyage dans l’imaginaire des deux garçons, à un âge où l’innocence commence à laisser peu à peu place à la prise de conscience des réalités, tout cela dans un décor qui aide à moderniser les caractéristiques du cinéma gothique : la maison gigantesque, abandonnée au centre d’une forêt, d’où les personnages ne sortent presque jamais. Elle est magnifiquement mise en images par le directeur de la photographie Martin Gschlacht, qui contribue à donner l’esthétique exceptionnellement parfaite du film, avec des cadres construits au millimètre près et montés avec la précision d’une montre autrichienne par Michael Palm qui vient, lui aussi, dugoodnightmommy3 monde du documentaire.

D’un pur point de vue esthétique, Goodnight Mommy est un film parfait. LE film parfait. Un vrai cas d’école. Et puisque les chiens ne font pas des chats, on y retrouve clairement l’approche d’Ulrich Seidl avec l’utilisation intensive de la courte focale pour une majorité de magnifiques plans larges dans un décor qui donne en même temps la possibilité d’un espace libre et une sensation d’oppression qui tend au malaise, un malaise renforcé par les cadres qui jonchent les murs de la maison. Des photographies floues d’une personne qui n’est plus qu’une silhouette et qui regarde à travers des stores, qui renvoient à l’évidence à ce qui se passe dans le cerveau des deux enfants, perturbés par le changement de comportement radical de leur mère. Comme la personne sur les photos, la mère n’est plus qu’une silhouette, une présence physique sans visage ni émotion.

Il faut tout de même signaler l’extraordinaire interprétation des jumeaux Lukas et Elias Schwarz – qui gardent donc leurs prénoms dans le film –, qui prouvent que le talent n’a pas d’âge et qui, pour leur tout premier film, à neuf ans, parviennent à être aussi terrifiants que fascinants, mais aussi très attachants. Le script les emmène sur un chemin unique, avec une seule issue, mais dans lequel ils créent eux-mêmes autant de ramifications qui prennent la forme de fausses pistes en étant toujours très justes et vrais. Susanne Wuest, actrice viennoise qui a beaucoup travaillé à la télévision, mais qui a également tourné pour des cinéastes aussi divers que variés tels que Peter Kern, Olivier Assayas et… Uwe Boll (sic), est géniale en mère tantôt mégère, tantôt trop gentille, et qui ne cesse de mettre le spectateur dans le doute. Goodnight Mommy, grâce à tout cela, est une œuvre unique en son genre, qui fait non seulement vivre le cinéma de genre en Autriche, mais qui est capable de réinventer l’horreur, et l’entreprise est largement louable pour un tel exploit.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.


Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Commentaire sur “Goodnight Mommy