Ex_Machina 2


Le cru 2015 de la compétition officielle du Festival de Gérardmer offre plusieurs premiers films, dont celui d’Alex Garland, Ex_Machina. Une fable futuriste sur le comportement humain, pessimiste mais jamais sombre.

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Welcome to the machine

Alex Garland. Ce nom vous dit forcément quelque chose mais impossible de le replacer ? A 44 ans, ce londonien endosse pour la première fois la casquette de réalisateur, après une longue et pour le moins admirable carrière d’écrivain et de scénariste. Proche de Danny Boyle, pour qui il a signé le script un peu faiblard de 28 jours plus tard (2002) et celui, puissant, de Sunshine (2007) – il est également l’auteur du roman La Plage, que Boyle a adapté au cinéma en 1999 –, Garland s’est souvent illustré dans le film de genre en lui apportant quelque chose qui a été abandonné depuis la fin de la dernière période de gloire de ce cinéma : la possibilité de délivrer un message, simplement de vouloir dire quelque chose d’intelligent avec des œuvres qui soient accessibles à un large public. Ex_Machina appartient à un genre que Garland affectionne particulièrement et dans lequel il a souvent officié : la science-fiction.

exmachina2Caleb (Domhnall Gleeson) travaille pour Bluebook, le plus important moteur de recherche au monde et géant de l’informatique. A la loterie des employés, il gagne le premier prix : une semaine dans la gigantesque demeure de son patron Nathan (Oscar Isaac). Mais ces vacances sont en réalité une excuse pour que Caleb participe à une expérience très particulière : tester la première intelligence artificielle, un bijou de technologie qui a été créé sous la forme d’un robot aux séduisantes formes féminines répondant au nom d’Ava (Alicia Vikander).

Le film d’Alex Garland réussit un pari peu commun : celui d’allier l’anticipation minimaliste, le huis clos et le thriller dans un tout absolument cohérent et logique, divisé en cinq chapitres, qui correspondent chacun aux sessions de test d’Ava. Derrière l’angoisse constante et le mystère qui règne autour de l’hôte et de sa créature de Frankenstein, Alex Garland matérialise l’avancée fulgurante de la technologie comme l’ont fait avant lui Alex Proyas ou Andrew Niccol, avec quelque chose de plus, ou du moins, de différent : une grande résidence dans laquelle certaines portes s’ouvrent, d’autres pas, avec un robot qui pense et une servante asiatique totalement muette, le tout au milieu d’une interminable forêt inaccessible est à peu près aussi rassurant que de se retrouver à distribuer des tracts du Front de Gauche à une manif de skinheads.

Mais derrière cela se cache le rapport à l’autre, au différent, au contraire. Caleb, l’ingénieur ingénu, plein d’avenir, seexmachina3 retrouve parachuté (presque littéralement) dans une sorte de foire aux monstres next generation dont le point de jonction est un patron alcoolique, à la fois manipulateur et manipulé. Et puis il y a la vitre qui sépare Caleb d’Ava, qui fonctionne un peu comme un prisme ou un miroir déformant à double sens : Nathan dit à Caleb que d’ici quelques dizaines d’années, ce seront les intelligences artificielles qui iront voir les humains dans les musées – une idée déjà évoquée, citée ou montrée dans des comédies comme Woody et les robots (Woody Allen, 1973) ou Une nuit à l’assemblée nationale (Jean-Pierre Mocky, 1988), mais qui devient absolument glaçante dans la bouche du personnage interprété par Oscar Isaac. Cette phrase en apparence anodine et déjà entendue et répétée maintes fois pose alors un doute : qui observe qui ? La cage de plexiglas dans laquelle est enfermée Eva a beau être minuscule, Caleb est tout aussi enfermé et observé qu’elle. Enfin, il y a, en filigrane, un extraordinaire rapport à la nature.  Si la forêt magnifique n’a, pour Nathan et Caleb, qu’une valeur esthétique et décorative – jamais les allusions à celle-ci ne vont au-delà de la contemplation de sa beauté –, il en est tout autrement pour Ava, pour qui la forêt et, donc, la nature, est l’expression de la vie.

Alex Garland débute une carrière prometteuse de réalisateur avec un film magnifiquement mené de bout en bout, avec une volonté de privilégier les plans larges et une lumière très claire, qui s’oppose à un pessimisme douté tout le long mais qui se révèle bien pire que tout ce que l’on aurait pu prévoir. On pensera évidemment à Black Mirror – géniale série britannique créée par Charlie Brooker, l’auteur de Dead Set –, dont un épisode autour du thème du robot est justement interprété par Domhnall Gleeson. Premier film, première claque.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.


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2 commentaires sur “Ex_Machina