Les Tortues Ninja


Alors que le film produit par Michael Bay et réalisé par Jonathan Liebesman est en salles, retour sur la version 1990 réalisée par Steve Barron à l’occasion de sa ressortie en Blu-Ray chez Metropolitan Films.

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KOWABUNGA !

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Je dois bien vous l’avouer après autant d’années de relation, c’est le cœur chargé de regret que je rédige cet article. J’ai beau me concentrer sur l’essentiel et refouler mon chagrin, mais rien n’y fait, impossible d’oublier que les Tortues Ninja sont revenues cette année. Quatre mascottes emblématiques des 90’s ressuscitées par des types en costards qui commençaient à voir le fond de leurs saladiers de coke. Et comment leur en vouloir ? Quand le fruit est aussi juteux que le public est crédule, pourquoi se priver, me direz-vous. Je préfère détourner le regard et vivre dans le déni plutôt que d’affronter une douloureuse épreuve rectale orchestrée par un loustic hélas bien trop connu. Oui, c’est toi que je fixe du regard, Michael Bay. Toi et ton équipe. Ouste, le Monde Libre ne veut pas de vous et de vos films pourris. Le peuple réclame des costumes en mousse, de la rigolade, du hip-hop, Patrick Guillemin, et il l’aura. Et pour ça, faisons comme tous les attardés rétrogrades que nous faisons mine de ne pas être et tournons-nous vers le passé. Renaud faisait encore de la musique, MC Hammer enflammait la boum de votre classe de neige et l’alarme du micro-ondes indiquait que votre chocolat chaud était prêt pour votre mercredi à passer devant la Mega Drive. Les années 90, quoi. Et Steve Barron. Oui, Steve Barron. Le même que pour Merlin, ce délicieux téléfilm porté sur la légende arthurienne dont je vous avais chanté les louanges il n’y a pas si longtemps (Si ? Taisez-vous). Pour repasser vite fait sur son CV, entre les clips vidéo pour Michael Jackson, Madonna, Dire Straits, les ZZ Top et d’excellents films comme Coneheads ou Pinocchio, sachez qu’il y a peu de risques que vous soyez passés à côté. Donc imaginez bien que si ce mec adapte les Tortues Ninja, vous pourrez y aller les yeux fermés, mais on va détailler un petit peu tout ça.

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April O’Neil, jeune journaliste au journal télévisé (et accessoirement à l’origine des premiers émois érotiques de certains d’entre nous) prend très à cœur cette série d’actes de vandalisme perturbant le calme de cette charmante bourgade qu’est New York où le matériel hi-fi semble se volatiliser. Elle se retrouve plus tard mêlée aux auteurs de ces délits lorsqu’un étrange sauveur débarque pour dégommer ses agresseurs. Après l’arrestation des quatre malfaiteurs qui auraient vraiment dû rester dans leur chambre à réviser pour ne pas encore redoubler leur 3ème, April retrouve un saï tandis qu’un “oh putain la vache” se fait entendre sous la bouche d’égout qui se referme. “Merde”, répète alors notre premier héros lorsque quatre tortues bipèdes arpentent les égouts en ricanant comme des adolescents bruyants et idiots. Oui, parce que nos quatre protagonistes ne sont jamais rien d’autres que des tortues ayant subit l’effet d’un mutagène, leur conférant les attributs morphologiques d’un être humain. C’est un brin différent dans l’histoire originale, mais ne chipotons pas (je hais les chipoteurs). Et c’est bien à quatre adolescents que nous avons finalement affaire, et si il fallait en trouver un, ce serait peut-être bien là l’un des thèmes possibles du film. Bref. Pour en revenir à April O’Neil, celle-ci continue à enquêter de son côté et remonte la piste du clan du Foot qui aurait déjà sévi au Japon quelques années plus tôt. Le Maire l’envoie bouler mais de toute évidence, la curiosité de la journaliste n’est pas du goût de cet homme masqué à le tête de cette organisation. C’est au cours d’une tentative de “réduction au silence” que Raphaël (bandeau rouge) intervient pour sauver la journaliste de trois ninjas moches avant de la ramener au quartier général. Donc blablabla “aaah bordel, un rat qui porte un peignoir” et “ah putain des tortues qui parlent”, April finit par intégrer le groupe après que Maître Splinter lui ait raconté leur origine. Notre fine équipe finit par la force du destin et des ficelles narratives par faire face à l’organisation qui se cache derrière les récents événements. Je vous le donne en mille : Shredder et le Footclan composé de ninja de secondes zones, vous savez, ceux qui s’écroulent au moindre croque-en-jambe.

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Sur le plan de l’intrigue, c’est quelque part plutôt convenu si l’on observe son schéma narratif. Ceci dit, c’est pas dit qu’en tant qu’adaptation de comics on ait vraiment fait mieux depuis que les studios Marvel/DC ont décidé de pondre des adaptations de leurs bédés mal dessinées tous les trois mois. En fait, c’est même agréablement surprenant pour un tel projet que Steve Baron et son équipe soient parvenus à intégrer quelques légers degrés de lecture différents. En effet, entre les scènes de gags et d’action, il est quand même question d’un soulèvement de l’adolescence. Il y est dépeint une jeunesse qui ne se reconnaît pas dans les repères que l’on dresse pour son futur et qui décide d’assumer son exclusion du système en acceptant de se soumettre à des criminels. En échange de leurs services de voleurs à la tire et de cambrioleurs, Shredder les laisse se rassembler dans un local où ils bénéficient d’une relative mais toute nouvelle liberté. Celle de passer leur temps à jouer aux jeux vidéo, de se griller un cigare autour d’un billard, de faire du skate sans protection aux genoux et de s’initier aux arts martiaux dans le but d’intégrer les troupes du Footclan. Et c’est très intéressant comme démarche, car ces adolescents sont aussi bien la cible du comics original que du film dont il est question, et ce, bien que les premières publications du comics remontent à 1984. Ce n’est pas une vision reprise ensuite par les différentes adaptations en dessin animé, et je serais très surpris qu’ils aient le temps d’aborder le sujet dans le récent film entre les plans gratos sur le cul de Megan Fox et des scènes d’actions péraves sur fond de dubstep. Pour en revenir à un film réussi, ce sous-texte confère donc une réelle texture à l’histoire. Casey Jones qui rejoint l’équipe, à la fois attiré par April et envieux de faire régner la justice à sa manière, est justement un adulte se comportant de façon immature. Ou plutôt, son comportement s’accorde à celui des adolescents auxquels il prête main forte. Steve Baron, Todd W. Langen et Bobby Herbeck ont décidé de mettre en scène plusieurs points de vue sur le fait de grandir et c’est tout à l’honneur d’un film qu’ils ne rendent pas “immortel” mais plutôt ancré dans le contexte social de l’époque où il a été tourné : l’époque où New York se faisait une place dans le classement des villes les plus dangereuses des États-Unis. C’est donc une fresque culturelle digne d’intérêt que nous avons sous les yeux et dans une moindre mesure, un bref état des lieux sociologique.

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D’un point de vue cinématographique, le film est évidemment doté d’une identité forte piochant dans toutes les influences culturelles d’alors. D’abord dans son utilisation d’une bande-son résolument hip-hop/funk (MC Hammer, Hi Tek 3, Johnny Kemp), dans l’imagerie développée (les graffitis, les salles d’arcade, le New York des années 80) et surtout, dans sa mise en scène. A l’époque, point ou peu de CGI laide et sans âme. Pour l’adaptation des aventures des Tortues Ninja il fallait faire usage de véritables costumes en mousse avec de petits moteurs un peu partout : des animatroniques. Ce n’était pas encore énormément répandu à l’époque et le résultat est brillant compte tenu des sept semaines imparties pour le tournage du film. Les costumes de Maître Splinter, Raphaël, Leonardo, Michaelangelo et Donatello sont absolument bluffants et parviennent même à permettre aux quatre tortues d’afficher de nombreuses expressions. Production semi-honkgongaise oblige, ce sont des acteurs maîtrisant les arts martiaux revêtant des versions légères des costumes qui effectuent les chorégraphies des combats. Au rang des influences culturelles de cette époque, il aurait été assez malvenu de se dispenser de l’imagerie développée par le cinéma asiatique dans le domaine de la bagarre.

Pour nous autres français, c’est à travers le doublage français que le film agira également comme un délicieux voyage à destination de ces années où Patrick Guillemin ou Claude Joseph doublaient de nombreux rôles emblématiques des années 80/90. La VF surprend également par la présence de Emmanuel Gomès Dekset (ayant souvent doublé des rôles attribués à des afro-américains) faisant la voix de Raphaël. Cela ne devrait pas être surprenant, mais c’est tellement inattendu que couplé au langage parfois cru des dialogues (Casey Jones adresse un “Salut pédé, j’ai du boulot” à Raphaël au début du film, et les Tortues sortent régulièrement des “Oh putain” ou des “Eh merde”), on savoure autant la moindre réplique que les scènes d’action du film. Méfiance toutefois, cette VF n’est pas présente sur la version DVD du film. Il s’agit d’une version québecoise finalement peu intéressante et c’est donc vers le récent Blu-ray dont il est question que vous devrez vous tourner. Il s’agit de la seule façon pour vous de profiter de cette délicieuse VF (à moins d’avoir encore la VHS dans un coin de votre grenier) et cela justifierait presque l’investissement. En effet, en dehors d’une qualité d’image correcte (c’est évidemment bien mieux que le DVD mais loin d’être complètement propre) et un court documentaire/making-of, cette ressortie Blu-Ray n’aura pas grand-chose d’autre à vous offrir. Le contenu est un peu chiche et cette version ne dispose même pas de la scène coupée où April se rend chez un éditeur de comics qui lui répond que des tortues ninja, ça ne marchera jamais. C’est un peu dommage, mais puisque nous ne sommes pas là pour les bonus, sachez qu’il s’agit là de LA seule version du film qui devrait capter votre attention. Avec sa récente sortie en Blu-Ray, vous n’avez donc aucune excuse pour ne pas savoir qu’il y a vingt ans, on savait adapter les Tortues Ninja. Bon allez, vous avez le droit à la série en images de synthèse de 2012, elle est très bien…


A propos de Nicolas Dewit

Maître Pokémon depuis 1999, Nicolas est aussi champion de France du "Comme ta mère" discipline qu'il a lui même inventé. Né le même jour que Jean Rollin, il espère être sa réincarnation. On sait désormais de source sure , qu'il est l'homme qui a inspiré le personnage du Dresseur "Pêcheur Miguel" dans Pokemon Rouge. Son penchant pour les jeux vidéoludiques en fait un peu notre spécialiste des adaptations cinématographiques de cet art du pauvre, tout comme des animés japonaises pré-Jacques Chirac, sans vraiment assumer. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rNYIu

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