Comtesse Dracula


Petit joyau oublié du crépuscule de l’âge d’or de la Hammer, Comtesse Dracula s’empare de l’histoire légendaire de la comtesse Elisabeth Báthory pour en faire une grande réussite du film d’horreur gothique.

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True blood

Il était impossible que l’histoire de la comtesse Elisabeth Báthory ne finisse pas entre les mains de la Hammer, tant elle semblait exister précisément dans le but d’être transposée à l’écran par les studios de James Carreras. Comtesse Dracula – le titre, évocateur, n’est pas une folie du distributeur français mais bel et bien une traduction parfaite du titre original – est d’ailleurs l’un des premiers films qui mettent en scène les légendes autour de la comtesse Báthory, aux côtés du très étrange Necropolis de Franco Brocani et du magnifique Les lèvres rouges d’Harry Kümel, les films étant sortis tous les trois en 1971, amusante coïncidence. On trouve peut-être ici un triptyque parfait sur la comtesse de sang, avec autant de façons de la mettre en scène qu’il y a d’idées qui bouillonnent dans la tête des trois réalisateurs. Alors que Brocani raconte la légende noyée parmi de nombreuses autres en utilisant l’esthétique et le mode de narration du film d’art et que Kümel la transpose dans le monde moderne, Sasdy, en bon employé de la Hammer, réalise un film gothique qui se veut dans la grande tradition de la maison. Le scénario, signé Sasdy et Alexander Paal – deux hongrois d’origine, reprend bien sûr les grandes lignes de l’histoire d’Elizabeth Báthory : Ingrid Pitt y tient le rôle de la comtesse Nadasdy, une noble hongroise qui découvre que se baigner dans le sang de jeunes femmes vierges lui permet de retrouver le corps et le visage de sa jeunesse. Elle deviendra ainsi une impitoyable assassine afin de rester éternellement jeune.

Au début des années 1970, la tradition Hammer continue à exister, mais avec quelques changements qui permettent d’attirer lecomtessedracula nouveau public qui découvre, avec l’Italie et les USA, un autre cinéma d’horreur résolument plus moderne. Le sang et le sexe font alors partie – toujours à doses raisonnables – de la nouvelle recette de la société de James Carreras, et Peter Sasdy, qui venait de réaliser Une messe pour Dracula (1970), qui eut un succès non négligeable, fut chargé par Sir James de lui présenter un synopsis pour lequel il avait eu carte blanche : il décida ainsi de s’intéresser à la plus grande légende de son pays d’origine. Sir James lui demanda de lui rendre le scénario en deux semaines et d’avoir le casting en trois pour commencer ensuite le tournage à l’intérieur des légendaires studios Pinewood, dans les décors de la grosse production Anne des mille jours (Charles Jarrott, 1969). Si la photographie de Kenneth Talbot est irréprochable – Comtesse Dracula fut la première collaboration entre le cinéaste et le chef-opérateur, mais elle continuera pour quatre autres films encore – et que ce dernier sait très bien mettre en valeur les décors grandioses et imposants, les costumes d’époque ainsi que les charmes de la belle Ingrid Pitt, les atouts du film semblent bel et bien s’arrêter là. En partie en tout cas, parce que le long métrage est loin d’être l’un des moins réussis de l’histoire du studio, mais il reste toutefois décevant.

L’histoire du tournage de Comtesse Dracula fait elle-même partie de la légende, celle de la Hammer : Alexander Paal, le producteur, a été, dans les années 1950, une figure importante de la maison de production, puisqu’il a produit et coécrit plusieurs thrillers pour James Carreras. L’association avec Peter Sasdy, qui fut prometteuse, a toutefois été extrêmement houleuse, et les disputes entre les deux – en hongrois – se sont multipliées lors de l’écriture, de la pré-production et du tournage, si bien que de nombreuses scènes ont été bâclées pour que le film puisse être fini à temps. De plus, Ingrid Pitt, qui était à l’époque la dernière comtessedracularévélation de la Hammer et à qui était promise une grande et belle carrière dans le cinéma d’horreur anglais, était polonaise, et son accent déplut à Sasdy qui la fit doubler en post-production sans même en avertir l’intéressée – en sachant qu’à l’origine, le cinéaste désirait Diana Rigg, anglaise pure souche et figure importante de la Royal Shakespeare Company, pour le rôle. L’embrouille entre Sasdy et Pitt mit alors fin à la carrière de l’actrice au sein de la Hammer, et Sasdy ne réalisera alors plus qu’un film pour eux, le remarquable La fille de Jack l’éventreur.

Les querelles du doublage ne portent pourtant pas préjudice à l’œuvre, bien au contraire : Ingrid Pitt est excellente et incarne avec brio la comtesse sanglante ; tous les acteurs, d’ailleurs, brillent par leur présence, en particulier Nigel Green, qui joue le rôle du Capitaine Dobi, l’amant de la comtesse Nadasdy. Les défauts du film viennent d’ailleurs : des maquillages peu réussis, par exemple. Ou encore la faute à un scénario qui se veut trop dramatique et pas assez horrifique : les bains de sang, par exemple, qui auraient pu satisfaire les nouvelles exigences en matière de gore et de nudité – et Dieu sait que l’on aurait aimé voir Ingrid Pitt se faire frotter le dos dans une baignoire remplie d’hémoglobine –, sont absents du film ! À cela, les auteurs préfèrent se focaliser sur les pouvoirs de séduction de la comtesse et sa relation avec sa fille, conférant ainsi au film un aspect faussement sage que l’on ne sent jamais vraiment assumé. C’est bien dommage, car le film avait tout pour devenir un grand classique de la Hammer, et en a été réduit à devenir une œuvre incomplète pour la postérité.

Dans le combo Blu-Ray/DVD sorti le 6 mai dernier chez Éléphant Films, l’on retrouve Comtesse Dracula dans une belle version restaurée, qui prouve la réussite du travail de Kenneth Talbot en lui rendant hommage. Certains plans, détails et tons sombres sont plus propices à produire du grain, mais il s’agit de quelques rares et pardonnables exceptions. Le son DTS-HD Dual Mono du Blu-Ray est impeccable, mais les amateurs de VF seront déçus puisqu’il n’existe qu’une version originale sous-titrée – mais puisque nous sommes rarement friands de VF, quelle importance ? –, due au fait que le film ait été inédit jusqu’ici. La disponibilité de ce titre en France est donc déjà une aubaine, et l’on se réjouit une fois de plus d’entendre Alain Schlockoff nous raconter de nombreuses anecdotes sur la production du film en bonus, aux côtés des bandes-annonces et de la galerie photos. Comme pour les autres titres Hammer sortis chez Éléphant, l’édition est simple, mais suffisante.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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