10 scènes d’horreur dans les films Disney (Partie 1) 5


Pour la plupart des gens, l’univers Disney se définit par son caractère merveilleux, enfantin, positif et enjoué. Mais à y regarder de plus près, la plupart des films Disney – du vivant de Walt comme après sa mort – sont hantés par la figure du mal, tapi dans l’ombre, prêt à infiltrer la magie et faire imploser la féérie pour laisser émerger l’épouvante et l’horreur absolue. Tous les rédacteurs de l’équipe se sont replongés dans leurs traumas enfantins pour vous démontrer que Walt Disney fut lui aussi, à sa manière, un Master of Horror.


NB : Cliquez sur les miniatures pour avoir accès à une version plus grande, et sur les titres pour voir l’extrait sur Youtube.

 

Sorciere Blanche Neige3Un caquet de vieille mégère
(Blanche Neige et les sept nains – 1937)

“Poussière de momie, pour me vieillir. Pour changer ma tenue, du noir de nuit. Pour vieillir ma voix, un caquet de vieille mégère. Pour blanchir mes cheveux ? Un hurlement d’effroi ! Un vent de tempête attisera ma haine… et ajoutons encore : la foudre ! A présent, mélange final, que s’exerce ton charme magique. » Ainsi s’achève l’incantation célèbre déclamée par la terrible reine de Blanche Neige et les sept nains (1937) lorsqu’elle met au point sa potion magique pour se transformer en immonde sorcière. Se réclamant par bien des moments de la peinture et du cinéma expressionniste, le film trouve dans cette séquence son climax, aussi bien narratif que visuel. Si la séquence est un véritable moment charnière du film, sa puissance horrifique restera quant à elle une référence absolue de ce que peut être un moment d’épouvante dans un classique Disney. Tous les films qui suivront s’inspireront de ces images, et réinterpréteront cette séquence de transformation.

Morphing avant l’heure, l’animation saisit avec une force incroyable les différentes étapes de la métamorphose tout en impressionnant par sa fluidité. Moment d’horreur pur, au temps distendu, comme en apesanteur, la séquence fait même quelques pas de côté vers le psychédélisme. Les murs de pierre du château se métamorphosent eux aussi, emportés par une tornade de couleurs et d’éclairs. Au milieu de cet ouragan, on est saisit aux tripes par la terreur s’enlisant sur le visage diaphane et lisse de la reine, dont l’expression, généralement impassible, se mue en regards et mimiques d’effroi successifs. Que dire de cette brève – mais néanmoins très évocatrice – image de deux belles mains écartelées par la douleur de la mutation, et dont chacune des excroissances qui les enlaidissent progressivement viennent frapper une à une comme des cris dans la nuit, incarnant à l’image toute la souffrance vécue. Une ombre succincte projetée contre un mur nous donne une première esquisse de ce qui est né du brasier sans pour autant nous dévoiler pleinement l’immonde sorcière. La puissance horrifique de la séquence tient donc principalement de sa faculté à retarder toujours plus la révélation.

L’épouvante, ici, est une longue ascension, un long fondu enchaîné du merveilleux à l’abomination. Et quand l’acmé arrive enfin, silhouette bossue et coin de sourcil recroquevillé, la malice de Disney est de nous laisser, souffle coupé, en apnée quelques secondes de plus. Le bras rabattu pour cacher son visage, on est soulagé et notre pression amorce enfin sa descente. C’est précisément à ce moment que la sorcière, d’un geste brusque accompagné d’un mouvement de caméra bien senti, dévoile son répugnant visage. Et Disney, de créer le jump scare le plus célèbre de l’histoire du cinéma.

 


par Joris Laquittant

 

 


Âne-omaliesPINOCCHIO
(Pinocchio, 1940)

 

Pinocchio a une caractéristique bien particulière : il s’agit de la première production Disney qui… n’est pas drôle. Ou plutôt : qui substitue la drôlerie au profit de l’espièglerie, d’un niveau d’humour beaucoup plus fin, moins perceptible, et qui permet aux réalisateurs de jouer sur plusieurs niveaux. C’est d’ailleurs le cas avec cette scène, puisque le premier signe de la transformation de Crapule en âne est directement lié à un trait d’humour : « En écoutant ta bestiole, on aurait cru qu’il pouvait nous arriver une tuile ». Et d’un seul coup, les deux oreilles poussent sur la tête du garçon roux. Puis la queue, le visage… En quelques secondes seulement, Crapule se transforme complètement, jusque dans la voix, et ce qui avait commencé comme un gag – le personnage appuie lui-même ce contraste en s’exclamant « Quelle blague ! » pendant sa transformation – s’est rapidement transformé en terreur.

Le premier signe de transformation fait basculer brusquement cette séquence un peu surréaliste mais néanmoins inspirée du réel – elle renvoie au début de l’adolescence, avec ces deux enfants qui fument et boivent en essayant de pousser au plus loin le mimétisme avec les adultes – vers l’horreur la plus complète. Avec la même soudaineté que l’apparition des oreilles, un accord strident se fait entendre et se répète : la musique extra-diégétique nous informe aussi, simultanément à l’image, d’un basculement de la situation. À partir de l’instant où Crapule se regarde avec horreur dans le miroir, la séquence ne sera plus composée que de plans larges, à l’exception d’un seul : un plan rapproché poitrine sur Pinocchio à la gauche de l’écran, les mains de Crapule entrant vers la droite avec un signe de détresse, pour se transformer elles aussi en pattes, sous le regard horrifié du pantin. Là, dans cette pièce qui paraît minuscule, avec une seule source de lumière, ils semblent être pris tous les deux au piège, malgré les plans de coupe sur Jiminy Cricket qui se rue pour sauver son ami ; il arrivera toutefois trop tard puisque Pinocchio, après avoir fui la rage qui a pris Crapule lors de sa transformation, a commencé lui aussi à devenir un âne.

La musique joue évidemment un rôle essentiel, surtout lorsqu’elle est combinée à la cacophonie de la scène (braiments de l’âne, bruit du miroir cassé…), mais les réalisateurs jouent surtout sur l’image pour maintenir le sentiment de terreur et de malaise, et en particulier sur les expressions du visage qu’ils s’amusent à déformer sur Pinocchio, alors que celui-ci est censé être, en bon pantin de bois, le plus inexpressif possible. À plusieurs reprises, les traits de son visage sont exagérément appuyés, le faisant ainsi ressembler à un enfant avec une inquiétante tête de vieillard. Cette manière d’exagérer les expressions du visage est aussi valable pour le personnage qui se transforme complètement, la détresse dans son regard se transformant tantôt en violence, tantôt en sadisme, déclenchant ainsi une expression horripilée de Pinocchio qui déforme à son tour ses traits ; réaction en chaîne. Enfin, le plan moyen dans lequel on ne voit que les ombres des deux personnages a une importance cruciale, les éléments obscurs comme les ombres ayant une place de choix dans le traitement de l’horreur car dans Pinocchio, le manque de lumière conduit inexorablement à une composante de la peur qui sera fatale pour les personnages concernés ; pour preuve, c’est en se cachant dans la partie la plus obscure de la pièce que Pinocchio verra ses oreilles d’âne pousser.

L’efficacité de cette séquence qui a marqué tout le monde pose son empreinte dans l’imaginaire Disney grâce à son visuel. Pourtant, il faut noter au-delà de cela qu’elle a la particularité de ne mettre en scène aucun personnage méchant, et voir ainsi ces deux enfants pris au piège sans que l’on puisse attribuer cela à quelqu’un rend la scène encore plus terrifiante et mémorable.

par Valentin Maniglia

 

 


Sleeping BeautyLa Princesse ensorcelée
(La Belle au bois Dormant – 1959)

 

Après avoir attendu pendant 16 années, non sans une certaine impatience, que la princesse sorte de son bois, Maléfique, l’une des méchantes les plus charismatique de l’univers disneyien, la retrouve dans sa chambre de princesse et lance sa malédiction. Le visage rose et animé de la princesse devient alors figé, le regard est vide. La lumière verte de la méchante fée et le bleu de la nuit teintent alors le visage d’Aurore lui donnant des couleurs cadavériques tel un zombie – cette scène serait elle inspirée des toutes premières apparitions des « innommables » ou autre « walkers », inspirée notamment de White Zombie (Victor Halperin, 1932) sorti 27 ans auparavant ? Mécaniquement, Aurore suit la petite voix musicale (celle qui donne, vraiment, froid dans le dos) qui la mène au dernier rouet existant dans le royaume afin qu’elle se pique le doigt dans un mouvement de danseuse classique, subtile référence au ballet où Disney puise ses références, notamment musicales. C’est à la dernière seconde que le visage d’Aurore s’anime et que ses yeux s’ouvrent, effrayés par le geste qu’elle va faire malgré elle. La scène se termine par une Maléfique triomphante qui accueille les trois bonnes fées et qui majestueusement relève sa cape pour découvrir le corps inanimé de la princesse. Un corps qui, contrairement à la fluidité du tissu, semble, déjà, rigide. Et dans un éclat de rire, la méchante fée s’illumine et disparaît, laissant les trois fées en pleurs autour du corps d’Aurore.

 

Même si certaines études parlent de Maléfique comme une référence au drag-queen, force est de constater qu’elle est, en tout cas pour notre génération, un personnage féminin et féminine. Maléfique est une fée qui n’a rien d’une fée. Elle est grande, les autres fées sont petites. Elle est fine, les autres fées sont rondes. Son personnage, que ce soit dans des moments de rage comme de victoire, reste stoïque et dans la retenue, ce qui lui donne un charisme terrifiant. Grands mouvements de capes, jets de lumières, elle a beau être fine, cela ne l’empêche pas de prendre tout l’espace possible et d’être, parfois, filmée en légère contre plongée, ce qui lui donne encore plus d’importance. Notons que ce film est le premier dans un format – le Technorama 70 – qui fait le double du 35mm, un format de pellicule laissant encore plus d’espace pour l’aura de Maléfique !

 

par Angélique Haÿne


 


 

bernardbiancav3A la recherche de l’Oeil du Diable
(Les Aventures de Bernard et Bianca – 1977)

 

Orpheline enlevée à ses derniers lambeaux de foyer par Medusa, horrible sorcière moderne, Penny vit désormais au fin fond d’un bayou marécageux et abandonné par les hommes. Medusa garde la petite fille captive pour une seule raison : utiliser la finesse de son corps d’enfant pour retrouver l’Oeil du Diable, fabuleuse gemme engloutie dans les entrailles de la terre. Un seul accès au trésor : une mince entrée vers un monde souterrain sur un éperon rocheux désolé. La petite fille sait ce qui l’attend, ce n’est pas sa première visite dans la grotte. Elle hésite, gémit, mais ne peut échapper aux desseins des deux adultes cupides. Suprême horreur, Medusa sépare Penny du dernier lien avec l’espoir d’une vie plus douce et rassurante : son ours Teddy, ultime source de sécurité durant ses nuits noires et froides. Hormis les deux souris cachées dans la poche de sa robe, elle est seule.

Penny descend lentement dans la grotte, au travers d’un boyau long et sombre, comme l’œsophage d’un monstre qui semble l’engloutir toute entière. Car il s’agit moins d’une grotte que d’une créature primitive, une incarnation puissante des forces d’une nature qui renvoie à l’aube du monde. Cette grotte est vivante, le son qui s’échappe du gouffre noir est sa respiration. La descente est lente, pénible, chaque centimètre de corde en plus est un effritement de la clarté du dehors au profit des ténèbres du dedans. L’obscurité et le silence dévorent petit à petit l’enfant et l’isolent du monde des vivants. On découvrira bientôt les cadavres d’anciens pirates qui occupaient les lieux autrefois : elle est maintenant dans le monde des morts. Penny finit par poser pied à terre et entame la recherche de l’Oeil du Diable. Très rapidement on sait qu’il ne sera pas à portée de main, ni dans un coffre, ni dans la première anfractuosité venue. Un éclat transperce le noir et annonce l’épreuve à venir : il faudra contourner un gouffre, la bouche de la bête d’où résonne un grondement terrifiant. Acte impossible pour un enfant terrorisé, ses compagnons d’infortune interviennent : Bernard, que l’on sent dévoré par une peur qu’il s’efforce de dissimuler, se lance à l’assaut de la bête. Celle-ci gronde, menace, éructe, mais laisse passer les deux souris en repoussant l’attaque le plus tard possible, nourrissant un suspens pervers. L’objet de convoitise est localisé mais inaccessible pour les deux petits êtres et le gardien des lieux sort maintenant de sa torpeur feinte, bien décidé à ne pas se faire déposséder de son butin. La bouche gronde et commence à vomir des torrents d’eau écumeuse : la bête charge. Penny rejoint ses compagnons, le temps presse, l’eau monte, la bête a faim.

Si nos trois héros triomphent finalement de la bête des profondeurs et ramènent le trophée, on comprend que le vrai monstre est en fait au dehors. C’est un des plus terrifiants du bestiaire de l’Oncle Walt : celui qui commet un des plus grands crimes, celui de s’attaquer à l’enfance. Medusa ne s’empare pas du pouvoir, de la gloire, ou d’une quelconque jeunesse éternelle : ce n’est qu’une vulgaire voleuse de bijou, cupide et minable. Si le meurtre et la manipulation sont monnaie courante chez les antagonistes Disney depuis belle lurette, aucun ne s’en était jamais pris ouvertement à un enfant, avec une telle violence et en manipulant de façon aussi odieuse un comportement maternel. En fin de compte, la véritable horreur de la séquence trouve son expression ici, dans cette horrible bonne femme.

par Rémi Flaget


L’enlèvement de tireliretaram
(Taram et le chaudron magique – 1985)

Parti à la recherche du chaudron noir, le jeune Taram et son cochon Tirelire sont attaqués par deux dragons envoyés par le maléfique seigneur des ténèbres. C’est la première scène d’action du film, et autant dire qu’elle rompt dès le premier plan avec les schémas classiques imposés par Disney. Les dessins animés de la firme sont connus pour laisser les scènes de violence hors-champ, afin de ne pas effrayer les jeunes spectateurs (Bambi en est le parfait exemple) ; Taram et le chaudron magique a été le premier d’une longue série à déroger à cette règle. Tout est fait dans cette scène pour donner une sensation de malaise au spectateur. A commencer par son long travelling d’accompagnement suivant Tirelire qui essaie d’éviter les deux dragons, elle est haletante car en plus d’avoir des mouvements de caméra extrêmement rapide, le personnage est vu de face et on y voit alors les expressions de son visage. Le son lui aussi est poussé au maximum afin de ne laisser aucun répit aux spectateurs. On y entend les bruits apeurés de Tirelire et ceux des dragons couplés avec une musique aux relents wagnériens.

Ce qui a le plus choqué les spectateurs, ce sont bien évidemment les dragons qui donnent tout son intérêt à cette scène. On voit tout d’abord leurs ombres gravitant autour de Tirelire (ce qui n’est pas sans rappeler le personnage de Chernabog dans Fantasia) comme une menace invisible et se révélant deux plans plus tard sous un ciel rouge sang prêt à bondir sur la proie qu’est Tirelire. On remarquera d’ailleurs qu’il deviennent très discrets après cette première apparition en gros plan. En effet, il n’y aura ensuite que des plans sur leurs pattes acérées.

Décrié à sa sortie par son propos et ses scènes extrêmement sombres, Taram et le chaudron magique reste un des chefs-d’œuvre encore méconnus du grand public qui n’eut que pour tort d’être trop en avance sur son temps.

par Freddy Fiack


Lire la deuxième partie : ICI 


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