Evasion


De retour en force depuis Expendables 2, les deux piliers de l’action movie américain se retrouvent pour la troisième fois dans Evasion, du réalisateur suédois Mikael Håfström, un film aux limites de l’anticipation dans lequel nos vieux briscards montrent qu’ils n’ont pas encore dit leur dernier mot.

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Double Impact

On dira ce que l’on veut de Mikael Håfström, surtout depuis le début de sa période américaine, mais je l’ai toujours encensé : pour reprendre ses deux films les plus connus, Chambre 1408 (2007) était une adaptation assez réussie de Stephen King (alors que beaucoup se cassent les dents sur cet auteur), fidèle à son esprit et à sa vision de l’épouvante, et Le Rite (2011) était le seul exemple correct d’un film sur l’exorcisme de ces dernières années. En s’attaquant à un film réunissant les gros bras les plus célèbres du cinéma evasion2d’action américain, le résultat final prodiguait une certaine curiosité.

Sylvester Stallone y joue Ray Breslin, un spécialiste de la sécurité des prisons, dont le job consiste en fait à se faire emprisonner et s’échapper, pour mettre en évidence les failles de sécurité dans les bâtiments carcéraux. Sa nouvelle mission ne se passe pourtant pas comme prévu : il se retrouve piégé dans une prison ultrasecrète et futuriste, construite d’après ses propres travaux. En plus de chercher un moyen de s’évader, Breslin va devoir trouver qui l’a envoyé dans ce trou et pourquoi.

Ça commence comme un film d’action banal : Sly en mode taulard poignarde un gros dur, se fait enfermer en QHS et… s’en évade. En une dizaine de minutes, on a le tiercé gagnant dans l’ordre : des coups de tatanes, une explosion, une course-poursuite. Et puis vingt minutes plus tard, on change d’avis : Evasion n’est pas le film d’action bidon qu’étaient le très moyen Dernier rempart (qui ne trouvait son bonheur que dans l’humour) et le très nul Du plomb dans la tête (qui promettait pourtant un retour en grâce de Walter Hill, mais qui a préféré s’enfoncer dans les limbes de la mauvaiseté). Au contraire, en plus d’être fun et prenant, sa dimension thriller d’anticipation est loin d’être inintéressante, elle constitue même l’une des meilleures idées du film. Notre héros se retrouve dans l’enfer d’une prison ultramoderne, aux gardes qui ne sont que des silhouettes toutes identiques, habillées de noir et portant des masques, aux caméras de surveillance omniprésentes. Orwell n’est pas très loin, et c’est une force que Mikael Håfström s’amuse à exploiter – je dis « s’amuse », parce qu’il utilise de manière pas si anodine la figure d’Orwell à l’intérieur de son film : si la première partie du film n’est pas spécialement supérieure en qualité au film d’action lambda qui sort régulièrement en salles, en essayant de remettre au goût du jour l’action old school (ce qui n’est plus tellement surprenant depuis Expendables), la seconde se révèle bien plus intéressante, d’abord parce qu’elle est mieux rythmée et moins contemplative, mais aussi parce qu’elle se permet, souvent de façon maquillée, de communiquer des valeurs et des messages qui sont clairement à l’opposé de l’image glorifiante de l’Amérique qu’ont incarné des années durant Sylvester Stallone (au niveau proaméricanisme, Rocky IV et les suites de Rambo sont on ne peut plus au taquet) et Arnold Schwarzenegger (qui, lui, a battu les records en se lançant dans la politiqueevasion3 et en portant haut les couleurs du parti républicain pendant qu’il était gouverneur de Californie).

Après tout, Evasion vaut surtout le coup d’œil pour ce qu’il ose faire et montrer. C’est l’Amérique ultrasécuritaire qui est au centre de la trame, à travers cette prison dont chaque centimètre carré est surveillé : après American Nightmare (James DeMonaco, 2013), qui brillait, lui, par son manque de scénario et son message politique totalement à côté de la plaque, ce sujet semble intéresser les réalisateurs qui cherchent à faire dans l’anticipation. Håfström bouscule l’image du pays que reflétaient nos deux action heroes en retournant cette Amérique (qu’ils cautionnaient) contre eux, et il va encore plus loin, en leur faisant se joindre à eux un troisième compère, qui n’est ni plus ni moins qu’un musulman, Javed (interprété par Faran Tahir, le Raza du premier Iron Man), pratiquant et très attaché à sa religion. De plus, il s’agit là d’un film qui joue beaucoup sur les origines géographiques des personnages, alors qu’il est lui-même réalisé par un suédois : Stallone, d’habitude employé à jouer l’américain de pure souche (alors qu’il est lui-même d’origine franco-italienne), doit endosser le rôle, dans sa mission d’infiltration, d’un gangster latino. Schwarzy, de son côté, joue pour la première fois depuis longtemps un allemand, faisant un pied-de-nez à tous les films qui, pendant, des dizaines d’années, lui ont fait jouer des personnages avec des noms bien américains alors que son accent autrichien est à couper au couteau. Dans Evasion, il a même droit à une scène – assez comique, par ailleurs – où il ne s’exprime qu’en allemand. Malgré son casting de seconds rôles remarquable (Jim Caviezel, Amy Ryan, Vincent D’Onofrio, Vinnie Jones et… Sam Neill !) et des scènes d’action plaisantes, pourtant, le film reste assez inégal dans sa globalité, et trouve surtout son compte dans son interprétation et son côté très fun. Les deux héros prouvent qu’ils savent étonner encore aujourd’hui dans un film qui est aux antipodes des valeurs qu’ils ont jadis véhiculé.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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