Suspect (The Frozen Ground)


L’une des nouveautés vidéo qu’il faut découvrir en ce moment, c’est Suspect (The Frozen Ground en V.O.), premier film de Scott Walker disponible depuis quelques jours en DVD et Blu-Ray chez Seven Sept. L’histoire vraie de Robert Hansen, père de famille apparemment sans histoire qui s’est révélé être l’un des plus affreux serial killers des Etats-Unis.

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Alaskan Psycho

En 1983, Cindy Paulson, une prostituée encore mineure d’Anchorage, en Alaska, se fait offrir $200 pour une fellation. Quelques heures plus tard, elle deviendra la dernière victime de Robert Hansen, kidnappée et violée ; elle réussira néanmoins à lui échapper, alors qu’il s’apprêtait à l’emmener dans une cabane en pleine forêt, pour la relâcher puis l’abattre comme dans une partie de chasse. Entre 1971 et 1983, Hansen a assassiné une vingtaine de femmes sur ce mode opératoire, seule Cindy Paulson y a échappé. Suspect relate l’histoire de Robert Hansen, de sa victime rescapée et de Glenn Flothe (renommé dans le film Jack Halcombe), le policier qui a conclu à l’arrestation du tueur.

Le premier film de Scott Walker est une belle preuve de la débilité des distributeurs français en ce qui concerne les sorties en salles : réalisateur inconnu, petit film indépendant dont l’aura ne semble reposer que sur quelques noms (Nicolas Cage, John Cusack, Vanessa Hudgens, 50 Cent), mais c’est tout. C’est vrai qu’en France, on aime bien les affiches racoleuses qui namedroppent à tire-larigot : l’un des derniers exemples en date, qui rejoint justement ce film sur son protagoniste, est l’espèce de merde qu’était 12 heures, du légendaire mauvais réalisateur Simon West. Affiche à la Taken (dont l’intrigue s’inspire beaucoup, par ailleurs), Nicolas Cage est bien mis en avant et on n’oublie surtout pas de mentionner qu’il s’agit d’un film fait PAR LE REALISATEUR D’EXPENDABLES 2, au cas où ça donnerait envie à des gens d’y aller vraiment (le bon côté des choses, c’est qu’ils n’ont pas cité Les ailes de l’enfer, Le Flingueur ou pire, Terreur sur la ligne…). Ça, c’est moche, ça ne donne pas envie, ça promeut des films à chier, mais on aime bien, et ensuite on se demande pourquoi le film est un échec. Suspect, donc, ne bénéficie que d’une petite distribution vidéo – et c’est le premier direct-to-DVD de Nicolas Cage depuis son nanar culte The Wicker Man en… 2005 ! – alors qu’il aurait mérité une exploitation en salles, car même si ce n’est pas du grand cinéma, ça se regarde avec un vrai intérêt.suspect2

Le réalisateur Scott Walker, malgré son nom qui semble si commun, est un parfait inconnu : ce Néo-Zélandais est parti au Royaume-Uni où il a réalisé un court métrage fantastique, Ordan’s Forest (2005), qu’il considère comme son « école de cinéma », là où il a appris toutes les bases de la réalisation, de l’écriture, de la production et du montage. Si son film a eu un écho international grâce notamment à sa sélection au festival de Clermont-Ferrand, son nom n’est plus apparu nulle part… jusqu’à aujourd’hui, donc, pour ce long métrage à 27 millions de dollars, dans lequel il dirige un casting assez classe. Comme quoi, c’est parfois lorsqu’on s’y attend le moins… Avec Suspect, il pensait d’abord travailler sur un projet légèrement différent : raconter l’histoire d’un tueur en série impitoyable en se focalisant sur un aspect uniquement dramatique. Walker raconte que c’est l’un de ses amis qui, après avoir lu le script, remarque les similitudes entre son serial killer et Robert Hansen ; le scénario est alors totalement réécrit et, pour mieux permettre de saisir le drame, Walker rencontre les protagonistes de l’histoire, les interviewe pendant des dizaines d’heures chacun, et fait même rencontrer Cindy Paulson et Vanessa Hudgens, qui auraient beaucoup travaillé ensemble durant le tournage. Le résultat est clair, la méthode était la bonne. Le film s’ouvre par une courte séquence dans laquelle les policiers d’Anchorage retrouvent Cindy, en pleurs et les poignets ensanglantés : le ton est donné dès les premières secondes, et ne bougera pas d’un iota pendant les quatre-vingt-dix minutes suivantes. Peut-être verse-t-il parfois un peu trop dans le pathos, chacun saura juger de cela par lui-même, mais le parti pris est respectable, celui de faire de la victime le personnage principal, fait assez rare dans les films de serial killers – aussi, on imagine que les références cinématographiques du réalisateur sont plus proches des Accusés (Jonathan Kaplan, 1988) et du Droit de tuer ? (Joel Schumacher, 1998) que de Seven ou de Zodiac (David Fincher, 1995 et 2007). Et il faut reconnaître que, même s’il dédie ce film à la mémoire des victimes et qu’il fait d’une victime le personnage principal, il le fait toujours sans exubérance, avec un vrai respect.

Pathos mis à part, la reconstitution est à la fois cinématographique, dans le sens où elle fait belle figure à l’écran, et aussi très minutieuse, puisque c’est Walker lui-même qui a entrepris, seul, d’aller fouiller toutes les archives possibles pour rendre le film plus réel : rapports de police, rencontres avec les personnes concernées… tout a été bon pour étoffer le film de détails qui font gagner le film en crédibilité. Cependant, Suspect est un long métrage qui est loin d’être parfait, et renferme malgré tout beaucoup de défauts. Si, du côté des acteurs, il n’y a rien à reprocher à personne – Nicolas Cage est très bon dans la peau du policier intègre pour qui la vie n’est qu’une longue mise à l’épreuve, John Cusack convaincant en tant que monstre à deux faces, Vanessa Hudgens livre une prestation remarquable, en prouvant encore une fois qu’elle a un vrai talent pour les rôles dramatiques, et l’on regrettera les apparitions trop brèves de Radha Mitchell, dont le personnage méritait d’être plus développé – c’est dans sa technique que le film pêche. Il s’agit là d’un suspect3premier long métrage, c’est donc compréhensible, l’intérêt du film n’en pâtit pas, mais il est dommage de se dire que parfois, on a l’impression de regarder un épisode de New York Unité Spéciale ou un téléfilm de TF1, tant le montage et la réalisation semblent être, à plusieurs reprises, formatées dans ce modèle-là. La faute à des coupures imposées : dans une interview pour Collider, Scott Walker révélait que le montage d’origine était de 2 heures 15 minutes environ, coupé ensuite à deux heures, pour enfin faire une heure quarante. On imagine facilement, en regardant le film, quelles scènes sont incomplètes (celles entre Nicolas Cage et Radha Mitchell, dont je parlais quelques lignes plus haut, en font partie), et mine de rien, on ressent le vide et la frustration par rapport à ce manque. Il n’est pas facile pour un producteur de faire confiance à un cinéaste quasiment inexpérimenté, et Scott Walker a beaucoup de chance de pouvoir démarrer sa carrière avec un tel film en poche ; il a d’ailleurs deux autres projets, très différents, en développement : une comédie horrifique sur le thème du loup-garou et un film d’action autour de la lutte anti-drogue entre la DEA et les cartels mexicains. Après la bonne impression qu’était son premier film, Scott Walker semble être un réalisateur à suivre. Et puis, qui sait, peut-être que la version longue de Suspect sortira un jour, pour combler la frustration ? Si l’on peut toujours vérifier ce qu’il en est du côté des Etats-Unis, le film est disponible en vidéo en France… sans aucun bonus.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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