Lone Ranger : Naissance d’un héros 5


Réalisé par Gore Verbinski, produit par Jerry Bruckheimer sous la houlette de Disney Pictures, avec Johnny Depp dans l’un des rôles principaux : celui qui s’aventurerait à dire que la recette miracle de Pirates des Caraïbes est reproduite à la virgule près ne s’y tromperait pas. Impossible dès lors pour Lone Ranger de ne pas souffrir de la comparaison avec la saga des mers portée par l’ébouriffant Jack Sparrow.

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Y’a un serpent dans ma botte !

Après le succès mondial de la saga Pirates des Caraïbes, Disney a réussi à convaincre tout son petit monde de revenir aux affaires pour transposer au cinéma l’une des séries les plus cultes Outre-Atlantique : The Lone Ranger, l’histoire d’un justicier masqué dans l’Ouest Américain, accompagné par le facétieux indien Tonto. Mélange entre le Robin des Bois anglais et le justicier Zorro, le personnage fait véritablement partie de la culture populaire américaine, bien que ses aventures n’aient jamais vraiment voyagé au-delà des Etats-Unis. D’abord rendu célèbre à la radio, le feuilleton compte 2956 épisodes, déclinés par la suite en série télévisée qui durera presque dix saisons sur le petit écran. Dès lors on ne s’étonnera pas que Disney y ait vu matière à faire une nouvelle saga à succès dans la veine de celle des Pirates des Caraïbes. Mais la manœuvre de l’empire Mickey est bien plus complexe et ingénieuse que cela. Depuis quelques années, avec les rachats successifs des licences Marvel puis Star Wars, la firme aux grandes oreilles souhaite reconquérir l’audimat des petits garçons. Le choix d’adapter Lone Ranger est donc irrémédiablement lié à cette nouvelle stratégie marketing de Disney. Il suffit pour s’en convaincre de se rendre dans le parc Disneyland Paris, seulement quelques semaines avant la sortie du film, pour constater que les tenues du Lone Ranger et de l’indien Tonto sont déjà placés en tête de gondoles sur les présentoirs des boutiques. Mais venons-en désormais au film, vous êtes là pour ça. Ce premier volet reprend la trame initiale de la série télévisée, condensée en une grande aventure de deux heures et demie. Le héros, John Reid, avocat en devenir, rencontre l’indien Tonto au cours d’un braquage de train par une troupe de criminels mené par l’effroyable Butch Cavendish. Choqué par les agissements des brigands, l’avocat accepte l’offre de son frère de rejoindre les Texas Rangers. Ensemble, ils se mettent en chasse pour retrouver Cavendish et sa bande mais tombe dans une embuscade en plein désert où tous sont laissés pour mort. Tous ? Non. L’Indien Tonto retrouve les corps et récupère John Reid vivant, créant une tombe supplémentaire à son nom pour le faire passer pour mort. Désormais anonyme, John Reid est bien décidé à venger la mort de son frère et retrouver Cavendish pour le traduire en justice. Pour cela, il enfile un masque taillé dans le gilet de son regretté frangin et devient le Lone Ranger.

THE LONE RANGER

Difficile pour Verbinski et sa bande de ne pas affronter la comparaison naturelle avec la saga Pirates des Caraïbes dont la production de Lone Ranger tente au maximum de copier-coller la recette miracle. En premier lieu, c’est bien évidemment la performance grimée de Johnny Depp qui est partout mise en avant par Disney. Depuis son incroyable composition du pirate déluré Jack Sparrow, l’acteur semble en continuel redit. Il est bien malheureux de constater que Tonto n’est qu’un ersatz de Sparrow, une déclinaison, l’un de ces masques interchangeables que Depp a pris l’habitude de revêtir. Sûr de sa méthode, l’acteur a réussi à se constituer depuis le génial Pirates des Caraïbes : La Malédiction du Black Pearl (Gore Verbinski, 2003) une galerie de personnages fantasques, fonctionnant sur le même principe : déguisement et maniérisme. Très peu des personnages succédant à Jack Sparrow sont épargnés par son influence. On sauvera ses interprétations dans Neverland (Marc Forster, 2004) et Fenêtres Secrètes (David Koepp, 2004) ou Johnny Depp dans des rôles moins fantasques – mais aussi, malheureusement, dans des films pas forcément parfaits – parvenait à retrouver la forme d’épure et de simplicité de ses débuts – je pense, pour référence, au sublime Gilbert Grape (Lasse Hallström, 1993). La plupart de ses autres interprétations, y compris chez Burton, ont substitué à la profondeur et à l’émotion de jadis, une dominante fantasque reposant principalement sur le jeu des costumes, dont Depp reproduit toutes les coutures à la lettre en en changeant les couleurs. Il y a peu, à l’occasion de la campagne de promotion du film, Johnny Depp affirmait envisager sa retraite. Force est de constater qu’à trop vouloir appliquer avec facilité sa méthode exemplaire, l’acteur s’est enfermé dans un cercle vicieux où il ne surprend plus le spectateur, voire même l’agace. Il est effarant de constater qu’à l’époque où l’acteur n’avait pas encore mis le doigt sur sa méthode infaillible, il avait déjà livré une sublime prestation d’acteur dans un rôle d’Amérindien. C’était dans The Brave (1997), sa dernière réalisation en date, magnifique film se déroulant dans un campement amérindien dans l’Amérique contemporaine. Sans plumes dans les cheveux, peintures sur le visage et corbeau sur la tête, l’acteur était bien plus crédible en natif américain que son pauvre Tonto.

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Pour le reste, si le travail aurait pu être bien fait – Verbinski est un filmeur très doué – le film pêche cruellement de son scénario faiblard, ébranlé par d’innombrables longueurs et un humour cartoonesque qui fait très souvent flop. Dans la première partie du film, deux mains ne suffiraient pas à compter les gags qui ne génèrent aucun éclat de rire dans la salle. C’est d’autant plus gênant qu’il s’agit souvent d’un mécanisme de mise en scène délibéré, souhaitant rythmer les scènes d’action par des rebondissements comiques répétitifs. De fait, durant ses deux premières heures, Lone Ranger peine à trouver son rythme, oscillant entre séquences d’action peu emballantes et moments d’introspection et discussions aux enjeux assez faibles. C’est aussi l’absence de personnages secondaires intéressants qui donnent assez peu d’intérêt à cette intrigue. Les rôles féminins notamment, pour lesquels l’appellation de second rôle serait déjà beaucoup trop généreuse. Helena Bonham Carter – pourtant sur l’affiche – n’apparaît que dix petites minutes à l’écran et seulement pour répéter dix fois son gag de la jambe de bois servant de fusil. Et encore, l’inutilité de ce personnage n’est rien comparée à celle de la pauvre Ruth Wilson, en charge d’interpréter l’amoureuse du héros, tourmentée parce qu’elle était mariée avec son frère. Un trio amoureux qui n’a aucun grand intérêt, d’autant plus que le frère, vrai personnage secondaire intéressant – et interprété par le toujours génial James Badge Dale – se fait flinguer au premier quart du film. Quant au méchant, ce brutal Cavendish – un William Fichtner en roue libre semblant sortir de Lucky Luke – vrai méchant de cartoon là aussi, excessif dans sa cruauté, apparaît trop peu pour être véritablement terrifiant. Reste alors à sauver notre héros, John Reid – Armie Hammer parfait dans le décalage de ton – ou devrais-je dire en fait notre anti-héros, qui peine néanmoins pendant plus de deux heures à prendre sa place de premier rôle, dévolue trop longtemps à Tonto, avant de s’en ressaisir lors d’une cavalcade finale qui constitue d’ailleurs le seul élan jouissif du film. On reste toutefois assez loin du héros de western, mystérieux et ténébreux. Du western, Verbinski joue bien sûr des codes visuels et lieux communs – grands espaces, attaques de trains, indiens, saloons, mines d’argent et brigands – mais ne va jamais concrètement au bout de l’exercice. C’est un peu le même souci que dans ses films de pirates, où il fallut attendre le troisième épisode pour que Sparrow et sa clique passe plus de temps à bord des bateaux que sur la terre ferme, et c’est par ailleurs étonnant car Verbinski avait su admirablement se jouer des codes du western dans son film d’animation Rango (2011), western spaghetti avec des lézards.

THE LONE RANGER

Ce Lone Ranger a donc pas mal de défauts, sans être véritablement honteux. En effet, on peut regretter les trop nombreuses faiblesses d’autant que le film a pas mal d’atouts à faire valoir. Tout d’abord, heureusement, son humour cartoonesque ne fait pas des fours à chaque fois – nous dirons plutôt qu’il peine très longtemps à être convaincant – mais certaines scènes avec le cheval de Tonto sont irrésistibles. En voilà un, de personnage secondaire réussi. Il est un véritable sidekick, héritage direct de la culture Disney où le héros est toujours accompagné d’un petit compagnon – souvent un animal – plus malin qu’idiot, mais toujours affairé à faire des bêtises. Quelques autres passages, dont un mémorable running-gag avec des lapins voraces et cannibales tout droit sortis de Sacré Graal ! (Terry Jones, 1975) ou des Rongeurs de l’Apocalypse (William F. Claxton, 1972) arrachent tout de même quelques éclats de rire. C’est finalement dans ses dernières trente minutes que le film prend son envol, dans une poursuite ébouriffante, cartoonesque au possible, plus Tex Avery que Walt Disney, et mettant en scène deux trains propulsés à toute vitesse, à grands renforts de cascades et retournements de situations spectaculaires.

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Enfin, c’est à noter, le film dévoile sur le fond un message anticapitaliste très étonnant venant d’une multinationale aussi puissante que Disney. En effet, la prolifération du chemin de fer aux Etats-Unis est montrée comme la naissance d’un capitalisme général et d’envergure, à l’échelle d’un pays. Le film oppose clairement deux visions du monde, et place les industriels avides d’argent comme des brutes épaisses et sans cœur. Ceux-là même, qui, au nom du profit, sont capables de détruire le mode de vie de leurs voisins Indiens sans aucun scrupule. En cela, si l’on peut admirer l’audace de Disney d’avoir accepté de produire un tel scénario, il est évident que les mauvais résultats du film aux Etats-Unis doivent en partie être liés à cette prise de position concrète envers les Indiens, qui au sein de la société américaine, sont encore aujourd’hui victime d’une discrimination forte. Il se murmure que c’était une close à part du contrat de Johnny Depp – il est très attaché à ses racines amérindiennes, fervent défenseur, comme son mentor Marlon Brando, de la représentativité de ce peuple au sein de la société américaine et au sein du cinéma – il aurait donné comme gage à sa participation au film, que le personnage de Tonto ne soit pas le faire-valoir du héros comme il l’était dans la série, et que le film donne une image positive de la culture indienne comme l’avait fait Little Big Man (Arthur Penn, 1970), que Verbinski cite plusieurs fois, et ce dès la séquence d’ouverture avec un Tonto centenaire racontant son histoire. Difficile de dire si c’est tant la représentation des Indiens – on ne peut pas dire que le Tonto de Depp soit un modèle d’érudition – que la dénonciation du système capitalisme qui a fait boîter ce Lone Ranger au box-office américain. Eh oui, boîter, c’est ce qui arrive à tous les cow-boys, même les meilleurs, quand ils se tirent une balle dans le pied.

Joris Laquittant


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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