Pacific Rim 12


Le nouveau film de Guillermo Del Toro est aussi son plus ambitieux. Financièrement du moins. Porté par un budget de plus de 200 millions de dollars – frais de campagne promotionnelle inclus – Pacific Rim est le plus gros blockbuster de l’été après le Man of Steel de Zack Snyder. Hommage déclaré aux films de monstres géants japonais – les kaiju-eiga – et aux films de robots tout aussi géants (et tout aussi japonais), le film est surtout un divertissement à l’action badass oscillant entre noirceur apocalyptique et comédie bouffonne assumée. Retour sur les petites vagues de surprises dans ce tsunami d’espoirs déchus.

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Robots après tout.

Si vous êtes lecteurs assidus de notre webzine, vous connaissez sans doute mon amour irraisonné pour nos amis les kaiju. Tellement irraisonné que nous avions même consacré un petit dossier à ce sous-genre glorifiant les monstres géants du cinéma, des précurseurs américains jusqu’à leurs homologues et héritiers japonais (pour relire le dossier, rendez-vous dans la rubrique dédiée). Alors autant dire que de tous les films que j’attendais cette année, sur le papier, le Pacific Rim de Guillermo Del Toro faisait partie du trio de tête. Je dois avouer que les premières bandes-annonces, il y a quelques mois, avaient déjà pas mal refroidi mes ardeurs. Trop de mécha, pas assez de kaiju. Déception. Mais il restait encore matière à espérer, car de tous les cinéastes en marge à Hollywood, Guillermo Del Toro a su au fil du temps asseoir sa réputation de visionnaire singulier. Si l’on retient le plus souvent la beauté gothique et fantastique de son magnifique Labyrinthe de Pan (2006) – sûrement son meilleur film – ses débuts avec Cronos (1993) ou Mimic (1997) témoignaient déjà d’un véritable univers qu’il s’emploiera à imposer sur des produits plus hollywoodiens, de Blade 2 (2002) – pour beaucoup, le plus réussi de la saga – en passant par Hellboy (2004) – dont le premier essai était un peu morne – et sa suite Hellboy 2 : Les Légions d’or Maudites (2008) – dont l’univers steampunk mêlé à un bestiaire bien garni, m’avait davantage séduit.

L’histoire de ce Pacific Rim se déroule dans un futur proche. Le monde vacille, ébranlé par les assauts dévastateurs de dizaines de kaijus, des créatures monstrueuses extraterrestres surgissant d’une faille entre deux plaques tectoniques dans l’Océan Pacifique. Pour combattre ces monstres, les gouvernements du monde entier se sont cotisés pour mettre en place le programme Jaeger. Le but ? Créer d’incroyables robots contrôlés simultanément par deux pilotes liés l’un à l’autre par télépathie grâce à une passerelle neuronale que l’on nomme la dérive. Si dans un premier temps les humains et leurs puissantes armes de guerre parvinrent à repousser les immondices, ils devinrent vite impuissants face aux assauts, les créatures émergeant des fonds marins étant de plus en plus énormes. Alors que la fin du monde paraît inévitable et que le programme Jaeger bat de l’aile, les derniers pilotes font sécession et organisent une résistance armée contre l’invasion extraterrestre.

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Amoureux des monstres lovecraftiens et grand fan de la culture cinématographique nippone, le réalisateur affirma dès l’annonce du projet vouloir faire le film qu’il aurait adoré voir gamin. De ce point de vue-là, difficile de lui donner tort. J’aurais moi-même frémi de plaisir devant Pacific Rim si je l’avais découvert à dix ou douze ans, vierge de toutes mes récentes influences cinéphiles. Car pour tout passionné de kaiju-eiga, le film de Guillermo Del Toro ne peut pas être à la hauteur de ses modèles. L’un des personnages du film, le déglinguo Dr. Newton fan absolu des kaiju – interprété par le génial Charlie Day – aurait probablement été lui-même déçu par le film. Car contrairement aux modèles japonais, le film de Del Toro ne s’intéresse pas vraiment à ces monstres. Les stars sont clairement les immenses robots, les Jaegers, bien davantage personnifiés et starifiés que les kaijus qui, s’ils ont bien des designs différents, outrepassant leurs maigres signes distinctifs, se ressemblent tous. Rien à voir, donc, avec les kaiju des 60’s qui avaient tous une personnalité et une apparence spécifique qui nous empêchait de les confondre les uns avec les autres. Les kaijus de Del Toro ressemblent d’ailleurs à tous leurs homologues récents, de celui de Cloverfield (2008) aux récents dragons coréens de D-War (2007).

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Si le mexicain ne manque pas quelques clins d’œil aux productions de la Toho – la firme nippone aux origines du kaiju-eiga avec Godzilla (1954) – il semble davantage inspiré pour rendre hommage aux films et séries animés mettant en scène des robots géants, pour la plupart japonais, ces mecha – c’est le nom qu’on leur donne – se nomment Evangelion, Patlabor ou Space Giants. La seule véritable originalité de Pacific Rim, c’est donc le concept de la fusion des deux esprits des pilotes, et ce pilotage en duo d’une grande efficacité visuelle. Hormis cela, si le fait de réunir dans des combats dantesques, géants de fer et géants de chair, a été vendu comme incroyablement inédit, c’est en fait une vieille habitude au Japon depuis Godzilla contre MechaGodzilla en 1974 : rien de bien neuf donc. Par ailleurs, Del Toro ne semble pas du tout intéressé par la dimension politique que pouvaient revêtir ses modèles. Plus que des simples films de monstres géants, Godzilla (1954) ou sa tortue rivale Gamera (1965) étaient tous deux, avant tout, de brillantes métaphores du traumatisme nucléaire post-Hiroshima, quand d’autres, tels Mothra (1961) ou King Ghidorah (1964) personnifiaient, pour l’un, l’inquiétude écologique, et pour l’autre, la crainte d’un dangereux ailleurs, aux confins de l’espace. Avec Pacific Rim, hormis l’inquiétante imminence de la fin du monde – thème décidément très en vogue dans le septième art – le petit Guillermo ne semble pas du tout décidé à dire grand chose. C’est probablement là que le scénario pêche, faute de profondeurs et de sous-messages, le film ne se résume plus qu’à ses affrontements spectaculaires et à son capital badass.

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On accordera néanmoins un certain crédit à toute une partie du film se déroulant dans un quartier mafieux de Hong Kong appelé le Quartier des ossements, nommé ainsi car les gangs y vivant ont reconstruit leur district dans la carcasse énorme d’un kaiju. C’est dans ces bas-fonds aux décors rappelant particulièrement l’univers steampunk de Hellboy que se déroulent les plus étonnantes et amusantes scènes du film. C’est une idée géniale d’avoir inventé cette société mafieuse vivant du trafic d’organes de kaijus, et leur parrain, joué par l’incroyable Ron Perlman – acteur fétiche de Del Toro – est sans nul doute l’un des personnages les mieux écrits du scénario. Par ailleurs, les deux scientifiques fous du programme Jaeger, le statisticien baveux Gottlieb – qui rappelle le libidineux Morandini – et le généticien Newton – sorte de J.J Abrams aux bras tatoués– ajoutent eux aussi une bonne grosse dose d’humour décalée, particulièrement bienvenue, donnant même à certaines séquences des aspects de cartoon déluré. C’est dans ces dérives là – plutôt que dans celles des pilotes – que l’on retrouve davantage l’univers singulier du réalisateur ; un univers qui tend quelque peu à s’évaporer dans l’esbroufe des combats.

En sortant de la salle, mon constat était bien amer. Non, ce n’est pas encore là le film de kaiju-eiga ultime comme l’avait annoncé le scénariste Travis Beacham. Au delà de la maîtrise visuelle, du potentiel fun des affrontements et du pitch de départ, Guillermo Del Toro ne parvient pas à conjuguer les ingrédients nécessaires pour mêler dans la même soupe hommage documenté et divertissement badass. C’est bien dommage. J’en sors toutefois avec un espoir autre : celui de voir enfin le sublime The Host (Bong Joon-ho, 2006) réévalué. Malheureusement encore trop méconnu, ce film – dont je vous ai déjà dit beaucoup de bien au détour d’un article – est probablement l’un des meilleurs dans le sillon déjà bien tracé ces dernières années vers un revival du kaiju-eiga. Vous l’aurez compris, étant déçu par la proposition de Guillermo Del Toro, je patienterai donc en redécouvrant une énième fois ce petit bijou coréen et son monstre marin, rejeton d’une négligence écologique, avant de voir ce que donnera en 2014 le retour de Godzilla devant la caméra du prometteur Gareth Edwards. Là encore, après l’immonde version de Roland Emmerich, l’attente est immense, et la déception risque fort de l’être aussi.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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12 commentaires sur “Pacific Rim

  • Douggystyle

    Je suis d’accord pour dire que Pacific Rim est une déception terrible mais moi j’ai considéré l’humour accordé à l’intrigue des scientifiques comme un palliatif au peu d’intérêt qu’elle apporte au dénouement final.

  • Julien Lepers

    J’attendais assez peu de la part de ce film et je dois dire que je n’ai pas été déçu, au contraire, j’ai même été surpris. Je ne me suis pas gavé de la bande-annonce pendant des mois, je ne lisais rien qui concernait le film, en fait, j’y suis allé presque vierge de tout propos concernant ce projet. Et j’ai beau adorer Guillermo Del Toro, un tel film ne m’emballait pas tellement…
    Et puis j’ai passé 2h10 devant un spectacle époustouflant, mais que je n’ai vu, ni comme un kaiju-eiga, ni comme un film de robots. Pacific Rim est pour moi la preuve qu’on peut revenir à un vrai cinéma d’action qui nous emporte vraiment et nous ramène trente ans en arrière, à l’ère primaire du blockbuster. Oui, c’est un film de monstres et un film de robots, il est même impossible de faire abstraction de cela tant ces créatures sont omniprésentes, mais c’est aussi une oeuvre qui arrive à marier d’une part le film de kaiju et d’autre part le film d’action “vintage” (si j’ose employer ce mot), le tout se déroulant dans un univers propre à Del Toro, ne serait-ce qu’en s’appuyant sur le look des kaijus qui tiennent autant d’un film de Honda ou de Fukuda que du Labyrinthe de Pan, ou encore de la merveilleuse séquence qui se déroule dans le Quartier des Os dont je n’ajouterai rien puisque tu as déjà tout très bien dit.
    Grand amoureux du cinéma d’action, tous mes modèles et mes références proviennent de la grande époque du blockbuster qui castagne, entre le milieu des années ’80 et le milieu des années ’90. Et Pacific Rim répond à tous les codes de ces films-là, en y transposant leur propre schéma narratif sans faire une seule fausse note tout le long du film, et cela se ressent encore plus dans le dernier acte, avec cette fin qui traîne en longueur (un élément également propre aux films d’action de cette période). Aujourd’hui, beaucoup de films s’autoproclament “références aux films d’action des années ’80” dont il n’y a au final pas grand-chose à tirer, et c’est finalement de la part d’un film dont je m’y attendais le moins qu’est arrivée cette énorme surprise qui m’a absolument enchanté.
    Je n’ai lu nulle part, même après quelques recherches, que Del Toro avait déclaré vouloir faire le “kaiju-eiga ultime”. Loin de moi l’idée de remettre en question tes propos, mais ça m’a l’air de sonner faux dans la bouche d’un grand enfant comme Del Toro, qui s’est toujours plus comporté en self-made-man à l’univers singulier et unique qu’en élève voulant dépasser ses maîtres. J’ai par contre bien lu, entendu et compris par contre qu’il souhaitait faire un film qu’il aurait aimé voir gamin, et c’est justement là que je veux en venir : garder une telle ambiance qui rappelle des films de George Pan Cosmatos ou Ted Kotcheff et marier cela avec le film de monstres résolument moderne (dans la technique) et futuriste (dans l’histoire) ne peut que nous faire revenir en enfance. C’était du moins mon cas et je n’ai absolument pas été déçu, j’ai éprouvé un vrai coup de coeur pour Pacific Rim.