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A l’honneur du dernier Festival International du Film d’Amiens, le renouveau du cinéma d’horreur britannique méritait amplement que l’on s’y intéresse de plus près. Depuis le début des années 2000, le genre a fait débuter des réalisateurs comme Neil Marshall ou Christopher Smith, invité spécial du FIFA, et a relancé de grands noms comme Edgar Wright ou Danny Boyle. Un phénomène qui, en une petite dizaine d’années, a fait largement parler de lui, et fait preuve d’inventivité et de talent.

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Britannia rules !

Le film d’horreur, c’est avant tout un genre européen. Né en France avec Méliès et Feuillade, largement répandu en Allemagne avec Murnau et Wiene, le genre est sublimé dans les années ’50, ’60 et ’70, avec l’horreur gothique de la Hammer au Royaume-Uni, et l’horreur perverse en Italie. Bien sûr, d’innombrables classiques viennent des USA ou d’ailleurs, mais le genre a surtout évolué au sein des frontières européennes. Avec les années 2000, l’horreur américaine commence à s’essouffler sérieusement, et va rapidement tomber dans la routine du torture porn, des suites et des remakes à n’en plus finir – des pratiques toutes américaines, par ailleurs. Parallèlement à cela, trois pays développent considérablement leur renommée dans le genre : les pays asiatiques, puis l’Espagne, et enfin, le retour sur le devant de la scène de la grande Britannia qui, depuis la semi-mort de la Hammer au milieu des années ’70, s’est mise en état d’hibernation quant au genre horrifique.

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Entre le remake de Une femme disparaît en 1979, dernière production Hammer pour le cinéma, et The Hole, qui signe le grand retour de l’horreur en 2001 au pays du pudding, il s’est passé beaucoup de choses dans le paysage cinématographique british. Ken Loach, Mike Leigh, James Ivory, puis plus tard Michael Radford, Michael Winterbottom, Stephen Frears, Stephen Daldry, Shane Meadows ou Peter Mullan sont les principaux cinéastes qui ont porté le cinéma britannique durant toute cette période, à travers des drames sociaux puissants, bruts, justes et souvent très poignants, primés dans la plupart des festivals de cinéma à travers le monde. Les années Thatcher sont passées par là, et c’est la misère de leur pays que ces artistes mettent en scène. L’horreur, lors de son retour dans les années 2000, sera marquée par ces bouleversements politiques, sociaux et économiques, comme tous les autres genres, d’ailleurs ; le film le plus célèbre restant probablement The Full Monty, dans laquelle six anciens ouvriers de Sheffield au chômage décident de faire du strip-tease pour gagner de l’argent. Une hilarante et savoureuse comédie, certes, mais qui met clairement en exergue, du début à la fin, les difficultés économiques dont le pays n’échappe pas.

Alors, de par le monde dans lequel il évolue, le cinéma d’horreur britannique a un côté badass. Mais pas badass au même titre qu’un film de Rodriguez, non. Du badass sans fioritures, avec des personnages très proches de la réalité. Eden Lake, le premier film de James Watkins, par exemple, est sorti sous le label « film d’horreur », et pourtant, ce long-métrage dans lequel Michael Fassbender et Kelly Reilly se font traquer par une bande de jeunes relève plus du drame social tirant vers le thriller, à l’image d’un Dead Man’s Shoes. La force inquiétante du film ne provient pas, comme la Hammer le faisait à l’époque,  de l’étrangeté des personnages ou du lieu, de la musique stridente, de la peur de l’inconnu, mais justement de ce que l’on connaît, et de la personnalité très – trop – réelle, des antagonistes.

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L’autre grande facette du nouveau cinéma d’horreur britannique s’oppose justement à cette image, puisqu’il s’agit des comédies horrifiques et autres pastiches. Lorsque Shaun of the Dead sort en 2004 de l’imagination bouillonnante et délirante de ces génies cinglés de Simon Pegg et Edgar Wright, il va lancer une mode qui dépassera très rapidement les frontières du royaume. La parodie gore de film d’horreur devient désormais mainstream grâce à eux. Et évidemment, les comédies avec des zombies (ou d’autres créatures de la nuit) et de l’hémoglobine vont s’enchaîner à travers le monde : Fido, Black Sheep, Lesbian Vampire Killers, Zombieland… Le succès est plus ou moins au rendez-vous, mais cela n’empêche personne de continuer. La parodie de film d’horreur qui, il y a encore dix ans, se résumait à la saga Scary Movie, donc aux blagues pipi-caca des frères Wayans puis à l’humour beaucoup plus absurde (et beaucoup plus drôle, surtout) des ZAZ, prend clairement depuis quelques années un autre chemin, celui de faire rire avec le gore. Chose impensable il n’y a pas si longtemps, puisque les seuls qui osaient réaliser ce genre de films étaient Lloyd Kaufman et ses comparses de chez Troma, qui livrent des comédies absurdes et dégueulasses à souhait depuis 1974, mais souvent dans une quasi-clandestinité, que seuls les gros cinéphages adorateurs du gore connaissaient.

Ce mouvement de l’horreur drôle est aussi une façon d’oublier le cinéma d’horreur réaliste et social que livrent les autres cinéastes du pays. Une façon d’oser rire de situations absurdes qui sont souvent montrées sous un angle angoissant ou dramatique. Après tout, les Python avaient bien montré une séquence extrêmement sanglante dans lequel un homme donne – malgré lui – son foie à deux médecins dans Le Sens de la Vie, et qui se révèle être hilarante au final (bien sûr, là, on parle des génies absolus du rire, irremplaçables et inégalables). Et c’était en 1983, lorsque le cinéma d’horreur était en état d’hibernation à l’intérieur des frontières britanniques, que Thatcher se faisait réélire et que Ascendancy (un film injustement oublié aujourd’hui, qui met en scène de manière très intelligente les tensions entre britanniques et irlandais) gagnait l’Ours d’Or à Berlin.

Si l’opinion publique l’assimile très facilement au cinéma d’horreur américain, parce qu’il est distribué dans les multiplexes, le cinéma horrifique britannique repose sur une vraie logique et une vraie raison d’exister et de s’exprimer. D’un côté en faisant apparaître en filigrane la dure réalité de leur société d’aujourd’hui, de l’autre par un cinéma fait de rires. Une dualité intrigante mais qui fonctionne plutôt bien, et qui, au vu de ce qu’elle a produit jusqu’à maintenant, promet de nous réserver encore de bonnes surprises.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.


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