Panic sur Florida Beach (Matinee) 2


Véritable cri d’amour pour le cinéma de B à Z, Panic sur Florida Beach (Matinee en VO) est considéré à juste titre comme le film le plus personnel de son auteur. Hommage au cinéma qu’il aime et hommage à un réalisateur: Panic sur Florida Beach est un peu à Joe Dante ce que Ed Wood était à Tim Burton.

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Une fourmi et des hommes

A l’occasion du dernier Festival International du Film d’Amiens, qui lui consacrait un hommage, les spectateurs amiénois ont pu profiter non seulement de la présence de Joe Dante, mais aussi et surtout d’une belle et vaste carte blanche qui lui était accordée. Dans celle-ci, multitudes de petits trésors cinéphiliques apportés par le monsieur lui-même, extraits de sa collection personnelle de films. Très clairement, les choix de Dante était tous tournés vers des films de série B et Z, des classiques de la science fiction comme L’homme qui rétrécit (1957) de Jack Arnold, L’invasion des Profanateurs de Sépulture (1956) de Don Siegel ou encore Les Survivants de l’Infini (1955) de Joseph M.Newman. En passant par des petites pépites de l’étrange comme The Sadist (1963) de James Landis ou Donovan’s Brain (1953) de Felix Feist. Ce goût pour la série B et/ou/à Z est l’un des piliers de la cinéphilie comme de la filmographie du réalisateur. Pourquoi vous préciser cela? Tout simplement parce que Panic sur Florida Beach (Matinee, 1993) est vraiment LE cri d’amour cinéphile de Joe Dante pour ce cinéma qu’il aime tant.

Le film se déroule à Key West, en Floride, et surtout, en 1962. A cette époque, toute la population américaine sombre dans la psychose la plus totale en raison de la crise des missiles cubains et de la menace nucléaire constante. Dans cette petite ville, un adolescent, Gene, est très inquiet pour son père militaire, qui vient de partir en mission secrète. Dans ce contexte historique inquiétant, un producteur et réalisateur de films d’attaques de monstres, Lawrence Woolsey, s’apprête à faire découvrir Mant!, traduisez, “L’homme fourmi!”, en première mondiale au public de Key West. L’homme est un petit génie qui a tout compris du sens du spectacle, il sait que la terreur qui gagne le peuple vis-à-vis des événements politiques est une opportunité en or pour la production de film catastrophe. Il met aux points des procédés novateurs pour plus de peur et de spectacle.

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Tous les personnages du film sont des doubles fictionnels de personnes existantes dans la réalité. Pour Joe Dante il est évident que son film détient une forme autobiographique très prononcée. En cela, le jeune Gene, c’est un peu lui, ou plutôt, c’est carrément lui. Il était lui même un habitué des cinémas de quartier, plus encore, il avait exactement le même âge que Gene lors de la crise des missiles cubains. Comme il aime le dire par lui-même, ils avaient tous à l’époque, “le sentiment que lundi il n’y aurait pas école”. Cet autoportrait d’un adolescent cinéphile est complété aussi d’un hommage à l’amuseur William Castle, à travers le personnage de Lawrence Woosley. Dans le film, Woosley (interprété par un John Goodman, toujours parfait) met au point des procédés d’amusement totalement innovants pour les spectateurs. William Castle lui-même était reconnu, non pas pour sa qualité de cinéaste, mais plutôt pour son talent d’inventeur et d’amuseur public. En cela, ses films étaient davantage appréciés pour les attractions presque foraines qui les accompagnaient, plutôt que pour leurs qualités cinématographiques. On lui doit des idées de marketing totalement loufoques telles: “Si vous mourrez de peur durant la séance, votre famille sera indemnisée!”, à des procédés techniques tout aussi fous, tels des petits appareils sous les sièges pour faire sursauter le public lors des séances du Désosseur de Cadavres (The Tingler, 1959). Comme Joe Dante lui même, William Castle s’intéressait davantage au rôle du public face à ses films, n’oubliant jamais que le cinéma, avant toute chose, et dès sa genèse, était un art populaire fait pour les gens et qui ne peut vivre qu’à travers les gens. Aussi, il proposait même une certaine interactivité du public avec ses films, proposant par exemple des fins alternatives, où le public pouvait choisir si oui ou non le méchant devait mourir.

Avec Panic sur Florida Beach, ou plutôt Matinee, car le titre américain résonne plus encore en terme d’hommage, puisque ces fameuses “matinee” étaient des séances spéciales de cinéma à l’époque, où étaient successivement projetés des dessins animés, les actualités, ainsi que deux longs métrages, des événements auxquelles Joe Dante se rendait lorsqu’il était enfant. Joe Dante rend donc différents hommages très personnels. Cette peur du nucléaire qu’il retranscrit dans son film, par l’époque choisie, était elle même surexploitée à l’époque par tous ces cinéastes dont il avoue s’être beaucoup inspiré – Jack Arnold par exemple, a utilisé la peur du nucléaire dans la plupart de ses chefs-d’œuvre. Plus qu’un vibrant hommage, Matinee est donc aussi une reconstitution d’époque très crédible, d’autant plus crédible qu’elle a été vécue par le réalisateur lui-même. On peut donc dire que Joe Dante effectue un vrai exercice de style, à différents degrés, et notamment via la réalisation du film dans le film, puisque plutôt que de récupérer un vieux film de William Castle, il s’amuse à mettre lui-même en scène un film de série B comme à l’époque. En résulte l’hilarant Mant!¹ qui réexploite tous les éléments des films d’attaque de monstres cher au réalisateur et ultra-présents sur les écrans à l’époque, puisque souvent assimilés à des métamorphoses engendrées par l’énergie atomique.

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Malgré son aspect d’hommage à une époque révolue, à sa sortie, en 1993, le film reste néanmoins une comédie familiale comme sait si bien les faire Hollywood et tout particulièrement Joe Dante. Malgré cela, il reste à part dans la filmographie de Joe Dante, et est considéré aussi comme “le début de la fin” puisqu’il s’agit du premier film que le réalisateur aura du mal à produire. Si le film est estampillé Universal, il faut remettre les choses dans l’ordre, la production du film est indépendante – chose très rare en Amérique, surtout à cette échelle de budget – et Universal s’est occupé seulement de la distribution, et très mal… Le film ne connut pas un grand succès public, et il reste même encore aujourd’hui, malgré la réédition parue chez Carlotta², très peu connu, car difficilement trouvable sur le marché. Cela en fait donc un petit chef-d’œuvre oublié. Mais nous sommes aussi là pour ça, avec Fais pas Genre ! vous rappeler qu’ils existent, ces petits chefs d’œuvres.

¹ Le court-métrage Mant! réalisé par Joe Dante pour Matinee est visible dans son entièreté ici.

² Panic sur Florida Beach est disponible en DVD et Blu-Ray chez Carlotta, depuis le 1er juin 2011.


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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