A Dangerous Method


Quatre ans après le déroutant Les promesses de l’ombre, Cronenberg continue de creuser l’analyse de l’esprit avec A Dangerous Method. Un film dont la réalisation revenait tout naturellement au cinéaste canadien, pour des raisons évidentes, au regard de sa filmographie. Et c’est en réunissant deux des acteurs les plus talentueux de ce début de XXIè siècle qu’il livre une œuvre très forte sur les relations entre les deux psychanalystes qui faisaient le buzz il y a une centaine d’années, Sigmund Freud et Carl Jung, et la maîtresse de ce dernier, Sabina Spielrein.

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A Dangerous Method était inévitable. Ce film DEVAIT arriver un jour dans la carrière de Cronenberg, et c’est seulement en 2011, après plus de quarante ans de carrière et dix-huit longs-métrages, qu’il s’attèle au projet. Sûrement a-t-il considéré qu’entreprendre la réalisation d’un tel film plus tôt aurait été de la folie, et peut-être a-t-il eu raison. Le sujet du film est plus approprié à l’univers du cinéaste que ses trois derniers films, et on retrouve presque tout ce qu’on attendait de lui en 99 minutes.

S’il y a un film à mettre en parallèle avec A Dangerous Method, c’est bien Faux-semblants: cela n’aura échappé à aucun amateur du cinéaste canadien, les deux films ont énormément de similarités, à commencer par l’affiche. Avant même de voir le film, donc, le (futur) spectateur est en garde: ce qu’il s’apprête à voir ressemblera beaucoup à un précédent film de son auteur. Un peu comme devant n’importe quel film avec Paul Walker, finalement, l’intelligence et le talent en plus. Dans les lignes qui vont suivre, donc, j’aborderai largement le parallèle entre les deux œuvres, et si vous n’êtes pas contents, ben… c’est pareil.

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Il lui en aura fallu du temps, à tonton David, pour virer sa cuti: en amorçant le tournant de sa carrière en 1988 (avec Faux-semblants, justement) et en posant A History of Violence comme le vrai tournant de sa carrière, ça fait exactement 17 ans. Dix-sept années et sept films qui lui ont permis de ne pas marquer un virage trop brusque, de le prendre petit à petit, tout en gardant une cohérence extrêmement précise dans sa filmographie. Et il a continué avec Les promesses de l’ombre. Et encore aujourd’hui avec A Dangerous Method, un nouveau film certes plus difficile d’accès que les deux précédents et que je viens de citer, mais qui perpétue le nouveau cinéma cronenbergien. Sa particularité, d’ailleurs, est qu’il continue sur la lancée des précédents films tout en se permettant un retour en arrière, histoire de revisiter un peu la trame de Faux-semblants: deux médecins (frères dans l’un, entretenant plutôt une relation de père à fils dans l’autre), une femme qui vient s’immiscer entre eux, l’un tombe amoureux d’elle et les relations entre les deux hommes se dégradent petit à petit.

Malgré le changement de direction qu’a pris Cronenberg ces dernières années, on s’attendait tout de même – comme dans chaque film abordant le sujet de la psychanalyse – à des séquences oniriques, du rêve, de l’explication de rêve. D’autant plus que Freud + Jung + Cronenberg pour un même film, c’était déjà tout tracé. ET BIEN NON! Le grand David nous fait tout le contraire, mais vraiment tout, et au final, on a un film avec beaucoup de dialogue, aucune séquence de rêve, et une seule vraie séance de psychanalyse, deux tout au plus. La mise en scène est on ne peut plus classique, le cinéaste se refusant toute originalité dans la photographie: beaucoup de champs-contrechamps, par exemple,  Si une grande partie de la critique n’a pas compris ce contrepied, l’autre partie (nous y compris) admire justement la façon dont il mène un film qui pourrait se révéler chiant comme pas possible pour le rendre passionnant.

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Et il n’y a pas qu’avec le spectateur qu’il décide de s’amuser: ses comédiens aussi deviennent de sérieux guignols. Viggo Mortensen, en particulier, qui est complètement métamorphosé, pas tellement Freud, mais plus vraiment Viggo non plus avec tous ces kilos en plus; on est bien loin de la prestance à la Jeremy Irons qu’il avait dans A History of Violence. Le Jeremy Irons du film, en fait, c’est plutôt Michael Fassbender, d’habitude plutôt proche d’un Daniel Day Lewis. Tout comme Viggo, il entrave son image de beau gosse réservé en portant lunettes, moustache, et cinq couches de fringues superposées. Et puis Keira Knightley tient ici son meilleur rôle; dès les premières minutes, littéralement possédée, elle vampirise l’écran et livre une performance saisissante. Seul Cassel reste égal à lui-même, dans la peau d’Otto Gross (un psychanalyste ayant réellement existé, mais dont l’existence a été largement oubliée face à la notoriété de Jung et Freud, et qui possède par ailleurs un nom typiquement cronenbergien), dont la brève apparition semble être une forme matérialisée du subconscient de Jung. Ce personnage lubrique et grivois qui poussera Jung à coucher avec sa patiente n’est pas sans rappeler Elliot Mantle, et renvoie donc encore à une autre facette du Jeremy Irons de Faux-semblants. Mais la grivoiserie, tout comme l’érotisme pur et simple, ne va pas au-delà des paroles, puisque A Dangerous Method est bien un film où le dialogue a le dessus sur les actes, où la façon de parler du corps ou du plaisir charnel a plus de sens que de le montrer – toute jolie qu’elle est, Keira Knightley a quand même les seins en forme de rien. On a pu démontrer dans les précédents articles que Cronenberg faisait preuve d’un humour spécial, difficilement compréhensible et pas à se taper le cul par terre, on imagine donc que cette façon de prendre tout à revers pour parer aux attentes des simples spectateurs est un tour de plus qu’il a sorti de son chapeau.

Loin du drame amoureux qui apparaît pourtant aux premiers abords, Cronenberg continue à aborder ses thèmes préférés – la relation entre la psyché et la chair, notamment – de façon naturelle et logique. Il ne rentre pas dans l’esprit de Jung ni dans celui de Freud, et on ne peut que le féliciter d’avoir réussi son film sans qu’il ait eu recours à ça. Entrer dans l’esprit de Jung et/ou Freud, ça revient à prendre position en tant que cinéaste, et connaissant tout le respect et l’intérêt qu’il éprouve pour les deux éminents psychologues, on devine qu’il n’est pas si prétentieux. C’est encore une autre, et peut-être bien la ressemblance la plus frappante avec Faux-semblants: deux œuvres bavardes, mais d’une bavardise sans égal tant chaque mot prononcé prend tout son sens au fil du film. Ce qu’ils pensent n’est pas important, au final, qu’il s’agisse de Jung, Freud, ou des jumeaux Mantle, ce qui importe, c’est la traduction de leurs pensées en mots, et, donc, en actes. Une réaction en chaîne qui se déroule de la même manière dans les deux films: pensées -> paroles -> actes -> conflit avec le “double”.

A Dangerous Method, donc, n’est pas un film raide, comme on pourrait s’y attendre – la bite de Michael Fassbender, par contre, c’est tout le contraire, ceux qui ont vu Shame (ou qui auront tapé “michael fassbender nu” sur Google en désactivant le filtre) comprendront de quoi je parle. En restant à la limite du drame, le canadien offre une œuvre très belle, avec un trio d’acteurs époustouflant, mais dont le classicisme (qui, pourtant, coule de source) pourrait en déranger beaucoup. Sûrement pas son meilleur film, mais ça reste un coup de maître.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.

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