David Cronenberg, ou quand Kafka se met au cinéma 1


Décembre commence, et tandis que certains préfèrent commencer à décorer leur sapin ou manger leur premier chocolat du calendrier de l’Avent, nous, sur Intervista, on célèbre nos deux ans d’existence. Et c’est donc pour initier notre troisième année que l’on publie notre premier dossier carrière, consacré au maître du fantastique canadien David Cronenberg, et qui sera publié tout le mois durant. Une rétrospective qui s’intéresse à chaque pièce constituant l’œuvre du cinéaste, depuis ses premiers moyens-métrages jusqu’à A Dangerous Method, son prochain film, qui sortira en salles le 21 décembre.

© Martin Colombet

L’horreur… L’horreur…

Faire un article sur David Cronenberg est certainement l’une des choses les plus difficiles à écrire, au moins autant que dire du bien d’un album de Francis Lalanne. Le réalisateur canadien est sans aucun doute l’un des plus doués de sa génération, mais également l’un des plus complexes. Avec une carrière de plus de quarante ans, une vingtaine de longs-métrages et quelques courts sont autant d’approches différentes pour étudier l’univers du cinéaste.

Cela n’aura échappé à aucun amateur de cinéma de genre, ni à aucun cinéphile, le cinéma de Cronenberg est principalement axé sur la maladie, la métamorphose, le martyr que peut subir un homme… Bref, c’est pas très réjouissant tout ça. Mais chez Cronenberg, l’obsession des personnages est communicative, et le spectateur, tout comme le Jeff Goldblum de La Mouche (1986) ou le James Woods de Vidéodrome (1982), est littéralement embarqué dans l’histoire. Puisque l’on parle de cela, l’identification au personnage principal est très importante dans la filmographie du cinéaste canadien: on retrouve à chaque fois le protagoniste isolé, aussi bien dans ses œuvres cultes que dans ses derniers films, plus accessibles au grand public, et c’est dans cet isolement, cette faiblesse, que le personnage devient un modèle identitaire pour le spectateur. A History of Violence (2005) et Dead Zone (1984) en sont de très bons exemples, assez forts d’un point de vue émotionnel: Viggo Mortensen dans le premier, Christopher Walken dans le second, sont abandonnés de manière presque aléatoire, et Cronenberg, au-delà des éléments fantastiques ou violents qu’il manie à merveille, sait installer un climat émotionnel fort, et ainsi faire marcher le surnaturel sur plusieurs tableaux.

L’un des éléments les plus forts, des plus révélateurs et des plus significatifs de l’œuvre de Cronenberg, est l’inévitable fin du protagoniste, qui marque également le dénouement du film, mais qui est surtout l’étape finale du processus de métamorphose. Un film comme Scanners (1981) illustre parfaitement ce propos: en se basant sur la dualité de l’esprit (un thème qui revient souvent chez l’auteur), la fin voit Cameron qui, en mourant, “devient” littéralement Darryl Revok, l’antagoniste. Une fatalité à laquelle personne n’échappe: chez Cronenberg, les personnages sont prisonniers d’un œil tout-puissant, qui les a observés toute leur vie et qui les attend patiemment. Mais attention, pas question de parler de destin! Ce mot n’a jamais été employé dans l’un de ses films; chose étrange, car tous les personnages semblent suivre un chemin qui n’est autre que ce que leur réservait, justement, leur destin. Leur échappatoire, pour éviter de faire face à la réalité, prend plusieurs formes: l’ignorance (ou, sous une forme plus élaborée, le refus), la double vie, la fraternité, l’image et tous ses dérivés ou encore le coma.

On connaît l’intérêt du torontois pour les peintures de Francis Bacon et pour les écrits de Nabokov et Burroughs, dont il signera l’adaptation de son roman le plus célèbre, Le festin nu (1991). Mais son oeuvre n’est pas sans rappeler les récits de Kafka: si La Mouche en particulier semble être inspiré de La métamorphose, on retrouve dans tous les films de Cronenberg l’ambiance sombre et cauchemardesque des romans et des nouvelles de l’écrivain pragois. Comme chez Kafka, l’individu perd peu à peu les libertés dont il croyait pouvoir jouir, se retrouvant sous l’emprise de forces qui le réduisent à l’état d’esclave, et contre lesquelles il ne pourra désormais plus rien. Comme chez Kafka, chaque film de Cronenberg est d’une modernité absolue, le fantastique faisant irruption dans la vie d’une personne qui semble normale – même s’il a abandonné le genre fantastique pour A History of Violence et Les promesses de l’ombre, ces deux longs-métrages restent une variation sur le même thème – et le fait sombrer dans la folie et l’abandon. Comme chez Kafka, c’est à travers la métamorphose, la transformation, la descente aux enfers, la technologie et la solitude que le cinéaste livre des oeuvres résolument modernes, qui ne vieillissent pas, et qui lui permettent de s’attaquer à de nombreux problèmes de société: le pouvoir des médias et des politiques, les dangers liés à la médecine…

Les thématiques abordées par David Cronenberg seront largement développées à travers les analyses des différents films de sa carrière. Cette courte introduction à l’œuvre extrêmement riche du cinéaste prend fin ici, et le dossier commence immédiatement avec les deux premiers films, les moyens-métrages Stereo et Crimes of the Future.


A propos de Valentin Maniglia

Amoureux du bis qui tâche, du gore qui fâche, de James Bond et des comédies musicales et romantiques. Parle 8 langues mortes. A bu le sang du Christ dans la Coupe de Feu. Idoles : Nicolas Cage, Jason Statham et Michel Delpech. Ennemis jurés : Luc Besson, Christophe Honoré et Sofia Coppola.


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