Les Noirs dans le Cinéma Américain (2/3)


Après une première partie plutôt sombre, pour ne pas dire noire (rires enregistrés), empreinte d’esclavagisme et de répression, voici la suite du dossier de Freddy Fiack, qui reprend là où nous nous étions arrêtés la dernière fois pour aller jusqu’à l’aube du Black Power.

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Les minstrels noirs : deux illustres exemples

Stepin Fetchit, de son vrai nom Lincoln Perry, est le premier acteur noir américain à devenir millionnaire. Lincoln Perry a inventé un personnage qui reprend tous les stéréotypes sur les noirs qui avaient cours à l’époque. En effet, le personnage de Stepin Fetchit est paresseux, stupide et s’exprime avec difficulté. Avec la fin des minstrel shows, Stepin Fetchit finit sa vie misérablement. Tout récemment, des sociologues et des historiens du cinéma ont analysés ses oeuvres pour le réhabiliter. Selon eux, Stepin Fetchit par sa nonchalance exprime l’idée de résistance face à l’oppression blanche. D’ailleurs, il possède désormais son étoile sur le Hollywood Walk of Fame. “Steppin Fetchit” désigne aux États-Unis, des noirs complexés au même titre que parler d’”Oncle Tom”. L’expression souvent utilisée par les noirs d’Oncle Tom est, cependant, à prendre avec des pincettes. En effet, le roman d’Harriet Becker Stowe qui montre la cruauté de l’esclavage (un “antitom” était un roman qui montrait les cotés positifs de l’esclavage) a souvent été très mal adapté faisant du personnage de Tom qui était à l’origine un héros noble d’esprit, un esclave docile.

Mantan Moreland est l’un des plus célèbres minstrels noirs (il a d’ailleurs inspiré un des personnages de Spike Lee dans le film The Very Black Show, et jouait surtout le rôle de serviteur trouillard. Contrairement à Stepin Fetchit, sa carrière ne s’est pas limitée à des films minstrels. Il a joué dans des films plus sérieux, où l’on peut voir toute l’étendue de son talent (Watermelon Man de Melvin Van Peebles).

Les personnages noirs dans le cinéma américain entre 1930 et 1950

Il est assez intéressant de voir la corrélation entre la place des acteurs Noirs dans le cinéma américain de cette époque et la société américaine. Entre les années 1930 et 1950, la ségrégation sévissait aux États-Unis et les Noirs étaient obligés d’occuper des emplois subalternes, ils étaient en bas de l’échelle américaine. On peut voir dans les films que les acteurs noirs jouent des personnages de cireurs de chaussures, de serviteurs (la chanson Colored Spade de la comédie musicale Hair s’amuse de ces préjugés qui étaient ancrés dans la société américaine) le personnage le plus répandu est celui de la mammy noire de nature affectueuse qui cuisine de bons petits plats. Bien que ce personnage reprend de nombreux préjugés, certaines actrices se sont démarquées ; c’est le cas de Hattie McDaniel, la première femme noire à avoir reçu un Oscar (amplement mérité) : c’était en 1939 pour le film Autant en emporte le vent. McDaniel avait joué à peu près le même rôle dans le film Mariage incognito de George Stevens sorti l’année précédente.

L’émergence de grands acteurs Noirs

Avec le mouvement des droits civiques, on voit apparaître au cinéma des acteurs noirs dans des rôles plus sérieux. En effet, les minstrel shows sont passés de mode et les acteurs noirs refusent de jouer des personnages dévalorisants. On retrouve dans cette période du cinéma américain trois grands acteurs noirs :

– Sidney Poitier (né en 1927) : il est le premier acteur noir à recevoir l’Oscar (pour le film Le lys des champs, sorti en 1963). Ses films ont abordé les problèmes de l’Amérique et la place des Noirs dans ce pays ; il est l’acteur noir le plus célèbre de cette décennie.

– Dorothy Dandrige (née en 1922) : elle commence sa carrière comme chanteuse en 1940 avec ses soeurs sous le nom de scène The Dandrige Sisters. Sa carrière au cinéma débute en 1937 dans le film musical It Can’t Last Forever. En 1954, elle interprète le personnage de Carmen dans la comédie musicale Carmen Jones dirigé par Otto Preminger (l’opéra de Bizet à la sauce afro-américaine avec une ré-orchestration jazz des musiques). Elle meurt en 1965 d’une embolie cérébrale. Un hommage lui sera rendu en 1999 avec le film Dorothy Dandrige : le destin d’une vie où elle est interprétée par Halle Berry.

– Harry Belafonte (né en 1927) : il commença sa carrière dans divers night-clubs avant de se produire à Broadway dans la comédie musicale John Murray Anderson’s Almanac pour laquelle il obtint un Tony Award. Il s’est certes surtout illustré comme chanteur dans sa carrière mais il serait mal venu de voir en lui qu’un simple chanteur. En effet, on peut voir dans ses films une réflexion sur la place des Noirs dans la société américaine. Dans l’excellent film Le monde, la chair et le diable, il campe un mineur noir qui, après être resté plusieurs jours coincé sous terre, il découvre en revenant à la surface que le monde a été détruit. Ce film est l’occasion pour le réalisateur Ranall McDougall de mettre en scène les dérives de la sociétés américaines.

Buppie or not Buppie

Buppie : nom masculin, contraction des mots black et yuppie. Désigne une personne à la peau noire qui est fortunée. Exemple : Oprah Winfrey est milliardaire, c’est donc une Buppie.

Je ne vais pas trop m’attarder sur les Buppies, je vous conseillerai de lire La bourgeoisie noire de Edward Franklin Frazier. En fait, si je parle des Buppies dans cette partie, c’est parce qu’on a souvent reproché aux acteurs déjà cités dans ce dossier d’être des Buppies. En effet, dans la plupart des films, ils incarnent des personnages de milieux favorisés (surtout Sidney Poitier). Le problème de ces films, bien qu’ils abordent le délicat sujet du racisme aux États-Unis, c’est qu’ils ne représentent pas la majeure partie de la population Afro-Américaine, celle qui vit dans les ghettos, qui connaît la misère. De plus, certains films de Sidney Poitier en particulier, montrent le racisme d’une façon tellement simplette que cela en devient presque insultant pour les noirs (en particulier Devine qui vient dîner, où tout se finit dans la joie et la bonne humeur). D’ailleurs, selon les statistiques de l’époque, les films de Sidney Poitier étaient regardés par un public majoritairement blanc. C’est dans ce contexte que va naître les blaxploitation et ses héros issus des classes populaires.


A propos de Freddy Fiack

Passionné d’histoire et de série B Freddy aime bien passer ses samedis à mater l’intégrale des films de Max Pécas. En plus, de ces activités sur le site, il adore écrire des nouvelles horrifiques. Grand admirateur des œuvres de Lloyd Kauffman, il considère le cinéma d’exploitation des années 1970 et 1980 comme l’âge d’or du cinéma. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/rZYkQ

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