Le Lac des Morts-Vivants 8


En un premier temps prévu pour être réalisé par Jésus Franco, Le Lac des Morts vivants fut finalement tourné par Jean Rollin sous le pseudonyme de J.A. Lazer suite au désistement du réalisateur franco-espagnol. A ce jour considéré comme le plus mauvais film français, Le Lac des Morts vivants est un film culte pour les amateurs du cinéma Bis.

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Le Lac Maudit des Maudits

Dans l’horizon des nanars Français et Européens, deux hommes ont réussi à se créer une carrière atypique, marginale, qui leur vaut aujourd’hui un statut de réalisateurs cultes. Le premier est espagnol, Jesus Franco, nous en avons déjà parlé aux détours d’un article précédent consacré à son film Une vierge chez les morts vivants et je pense qu’il y ait de fortes chances pour que je vous propose d’autres articles sur des films estampillés Franco. Le second homme auquel je pense est bien évidemment Jean Rollin, sa disparition en décembre dernier à étonnement révélé que le réalisateur avait un certain cercle de fans, sa mort ayant fait au moins autant parler que celle de Leslie Nielsen – ce dernier dont Valentin vous parlera très vite par ailleurs. Jean Rollin est un réalisateur à la filmographie atypique, mêlant films d’horreur fauchés (Les Raisins de la Mort, La Morte vivante), délires érotiques (La Nuit des Horloges, Le Masque de la Méduse) et sa spécialité, les films surréalistes parlant de vampirisme (La Fiancée de Dracula, La Vampire nue). Rollin était le pilier du cinéma bis Français, travaillant régulièrement avec les mêmes acteurs dont l’actrice porno Brigitte Lahaie, et « la gueule » Howard Vernon.

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Avec Le Lac des Morts vivants, Rollin récupère donc un projet avorté à la dernière minute par Jess Franco. L’espagnol disparait quelques jours avant le tournage, et Eurociné – une écurie de luxe en matière de nanars à l’époque, à laquelle on doit de véritables perles – contacte Rollin pour lui demander s’il accepterait d’assurer la relève. Le Français accepte, a condition de pouvoir signer le film par un pseudonyme, ce sera J.A. Lazer, ou bien J.A. Laser, ou bien encore Julian de Laserna, enfin bref, le surnom lui-même apparaît selon dix sept orthographes, ce qui, au final, poussera tout le monde à dire que “c’est un film de Rollin” même si le monsieur aurait bien voulu s’en cacher. Eurociné est habitué à tourner des films à la chaîne, une écurie à grosses daubes qui enchaîne les tournages à la vitesse de la lumière (en 1981, date de tournage du film, la firme met en boîte deux autres films dont Mondo Cannibale de Jesus Franco et La chute de la Maison d’Usher de… Jésus Franco… ). Aussi , quand Jean Rollin récupère l’affaire, cela ne l’effraie pas tellement, il est lui-même habitué a tourné des films fauchés et va donc prendre le dossier sans craintes. Et pourtant, le tournage du Lac des Morts vivants est si désastreux qu’à côté Lost in la Mancha c’est Disneyland. D’abord, le réalisateur dispose d’un scénario compliqué qui nécessiterait un budget considérable. Le film comporte non seulement des scènes de zombies qui impliquent maquillages et effets gores, mais aussi des scènes se déroulant durant la seconde guerre mondiale. Mais, comme il n’y a pas de fric à foutre là dedans, Rollin va récupérer des plans inutilisés d’un film de guerre, les colles là-dessus, et ne prend même pas soin de s’appliquer sur le maquillage, puisque les zombies ont seulement le visage peint en vert, avec par ci par là, des petits bouts de papiers mâchés pour faire office de croûte. Et comme si tout cela n’était pas suffisant, la caméra employée par le réalisateur est elle aussi bien merdique, la vitesse de prise d’image n’est pas en temps réel, alors Rollin choisit de faire jouer ses acteurs très lentement. Ce qui donne lieu à des scènes parfois très longues pour ne pas dire interminables.

Rapidement, l’histoire tourne autour d’un lac, un lac maudit ou plutôt “un lac maudit des maudits” comme le dira le personnage du maire (Howard Vernon) avec un air sérieux. Ce lac plein de nénuphars bien dégueulasse apparaît en tout cas assez propre aux personnages féminins qui décident régulièrement de s’y baigner entièrement nues sans craindre quelconque infection génitale… Manque de bol, l’une d’entre elles est violemment attaquée par un monstre des eaux. Elle se fait bouffer sa race. Mais pas qu’un peu. Elle se fait bouffer sa race pendant dix minutes, au cas où on n’a pas eu le temps de voir que l’effet gore employé se limite à une poche de sang dans la bouche du zombie en carton. De fil en aiguille, la presse va s’en mêler, une journaliste va venir enquêter et des flics vont être mis sur le coup. Ils comprendront rapidement que le lac est hanté par des zombies nazis. En effet, durant la seconde guerre mondiale, les gens du village ont buté du fritz et les ont jetés dans le lac. Mais voilà, maintenant les nazis zombies décident de ressortir de l’eau, car après s’être envoyé toute une tribu de basketteuses (dans le gosier hein, pas de scènes érotiques/gore avec des zombies dans ce film, soyons clairs), plus personne n’ose venir se baigner, et ils ont un peu la dalle.

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Le point commun entre Jess Franco et Jean Rollin c’est que tous deux n’ont aucun sens du rythme cinématographique. Tout est long. Étrenné, dans l’espoir de réussir à accrocher une heure et demie avec cette pauvre histoire et ce scénario plat. L’avantage, c’est que Jess Franco, lui, aurait foutu des zooms un peu partout pour faire croire à une once de rythme, mais Rollin, qui sait à peu près filmer, et qui maitrise en tout cas l’outil qu’il a entre les mains, est forcé de se débattre avec un script d’une nullité absolue à la narration bordélique, dans laquelle les flashbacks sont d’une maladresse incroyable. Ajoutez à tout cela des acteurs qui ne savent pas dire trois mots sans tomber dans le sur-jeu, et par ailleurs ils n’ont même pas besoin de parler pour être dans le sur-jeu puisque le film tourné en français a été redoublé… en français ! Ce qui contribue magnifiquement à ajouter au tout, ce petit truc en plus qu’on les nanars mal doublés : ça, j’avoue, c’est une trouvaille grandiose. Du reste, lorsque l’on regarde le film et qu’on a un minimum de connaissance en terme de montage, on est forcé de penser que le monteur – s’il y en avait un – s’est contenté d’un “ours” (c’est-à-dire d’un bout à bout de séquences sans raccord élaborés) on a l’impression que seuls les “Action !” et “Couper !” ont été retirés, alors chaque plan est trop long, on passe parfois plusieurs minutes sur la gueule de star de la Hammer Howard Vernon lisant un journal. Incroyable.

Dans le film on retrouve toutefois le côté maladroit des meilleurs Ed Wood (ou des plus mauvais en fait), un charme qui opère, fait sourire, mais fait quand même bien trop souvent regarder la montre. Une scène de baston entre deux zombies – ils se battent comme des zombies, donc au ralenti – donne envie de se faire ingurgiter trois paquets de mort aux rats. Plus encore, alors que le rythme est comme je l’ai dit incroyablement lent, on a l’impression de sans cesse revoir les mêmes plans – et ce n’est pas qu’une impression car Rollin réutilise parfois le même plan une dizaine de fois, comme celui où les morts vivants sortent du Lac, le visage dégoulinant de maquillage vert bien foireux…. Une redondance que l’on ne reprochera pas aux dialogues, car le film n’est pas très bavard, et quand il l’est, c’est savoureux, cela tourne très vite à la dissertation philosophique ou aux dialogues d’anthologie. “Nul ne peut les détruire sinon le feu de l’apocalypse !” “Si monsieur le Maire il y a bien quelque chose !” “Quoi ?” “Le Napalm !” “Parfait ! Allez chercher les lances flammes !”.

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Que dire d’autre sinon que Le Lac des Morts vivants est une perle dans le cinéma bis français. Sans nul doute l’un des plus mauvais films réalisés dans l’Hexagone – avec La possibilité d’une île de Michel Houellebecq peut être. Mais le film est surtout marqué par une collaboration quasi-exclusive et plus ou moins réelle entre Jésus Franco qui est le scénariste de cette histoire, et Jean Rollin qui l’a réalisé. Décédé le 15 décembre dernier à l’âge de 72 ans, il fallait bien qu’Intervista rende un léger hommage à ce fer de lance du cinéma bis français qu’était ce vieux briscard. Et rien de mieux alors que de vous proposer ce film de Rollin que lui-même semblait considérer comme une bonne grosse daube étant donné qu’il avait choisi un pseudonyme pour le signer. Malgré cela, Monsieur Rollin, les cinéphages vous saluent bien, et là où vous êtes, embrassez Vampirella pour nous : on est grave fans d’elle.

 


A propos de Joris Laquittant

Sorti diplômé du département Montage de la Fémis en 2017, Joris monte et réalise des films en parallèle de son activité de Rédacteur en Chef tyrannique sur Fais pas Genre (ou inversement). A noter aussi qu'il est éleveur d'un Mogwaï depuis 2021 et qu'il a été témoin du Rayon Bleu. Ses spécialités sont le cinéma de genre populaire des années 80/90 et tout spécialement la filmographie de Joe Dante, le cinéma de genre français et les films de monstres. Retrouvez la liste de ses articles sur letterboxd : https://boxd.it/sJxKY


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